Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 06 Novembre 2025
Chronique 2 :
Voici déjà une douzaine d'années que Haruka Kawachi nous avait complètement séduits avec la sortie, aux éditions Komikku, du bijou de sensibilité "Les fleurs du passé" (alias "Natsuyuki Rendezvous" en version originale), superbe série ayant même connu une adaptation animée. Depuis, la mangaka a bien sûr soigneusement poursuivi sa carrière au Japon, en devenant même là-bas une figure assez importante dans une registre de mangas féminins plus adultes, mais malheureusement son actualité en France est trop longtemps restée inexistante... jusqu'à cette année 2025 où deux éditeurs nous ont fait l'immense plaisir de lui offrir la remise en avant qu'elle méritait amplement. Ainsi, du côté des éditions Kana, on a profité du mois de septembre pour lancer "Sérénade pour une Pluie de Larmes", alias "Namida Ame to Serenade" en version originale, plus longue série de la carrière de Kawachi à ce jour, qu'elle a démarrée en 2014, et qui va trouver sa conclusion au Japon en ce mois de novembre. Quant aux éditions naBan, elles ont eu l'excellente idée de tout d'abord offrir une nouvelle édition aux Fleurs du passé, en proposant en prime le tome 5 jusque-là inédit dans notre pays et qui, loin de n'être qu'un simple volume bonus, apporte réellement beaucoup de magnifiques choses en plus à l'oeuvre. Et en cet automne, elles lancent à présent la dernière série en date de la mangaka, qui a déjà tout pour conquérir les fans.
Lancé au Japon en août 2020 dans l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha (magazine josei parmi les plus importants et qualitatifs, dont proviennent aussi, par exemple, Les fleurs du passé, ou encore L'éveil de Hibari et Entre les lignes de l'illustre Tomoko Yamashita), Musashino Rondo compte là-bas cinq volumes à l'heure où ces lignes sont écrite, et a connu une adaptation en drama cette année. En France, naBan propose la série sous le nom "Le ballet des coeurs", titre poétique particulièrement bien trouvé puisqu'il fait impeccablement écho à la profession de l'héroïne ainsi qu'à l'entremêlement de sentiments amoureux vécus par les différents personnages.
Ici, tout commence dans la maison des Musashibara où Hitomi, professeure de ballet célibataire de 35 ans, doit soudainement composer avec le retour en catastrophe de son petit frère Bunta, largué par sa petite amie Sayoko après dix ans de relation. Les retrouvailles sont plutôt houleuses puisque la soeur et le frère, dont les parents sont morts dans un accident il y a quelques années, s'étaient embrouillés deux ans auparavant si bien que Bunta avait quasiment coupé les ponts. Voila, alors, qui a de quoi animer la maison, sous l'oeil des proches des Musashibara. Car autour d'eux, il y a aussi Marina, meilleure amie de Hitomi depuis l'adolescence, et mère divorcée qui prend soin d'élever seule son fils Renji, qui vient juste de fêter ses 4 ans. Et, surtout, il y a Ryû Agawa, 25 ans, employé dans le restaurant familial, et voisin ainsi qu'ancien élève de Tamaki qu'il aime profondément depuis des années, malgré la différence d'âge, et bien que celle-ci l'ait déjà rejeté à deux reprises par le passé. Tamaki, qui voit sans doute toujours Agawa comme un petit frère, elle qui s'est occupée de lui depuis tout petit, lui a clairement fait comprendre qu'il perdait son temps, si bien que le jeune homme a souhaité s'éloigner progressivement d'elle et ainsi tourner la page. Mais quand le coeur d'artichaut de Tamaki commence à s'emballer pour Tamotsu Kinugasa, un collège et ami de Bunta, Agawa sent qu'il peine à nouveau à étouffer ses sentiments.
A l'image des Fleurs du passé, mais d'une manière différente, Haruka Kawachi entame un nouveau récit d'amours contrariés, deux mots que l'on prend soin de mettre au pluriel car, comme le laisse deviner le titre de l'oeuvre, l'autrice sera loin de se limiter ici aux difficultés amoureuses d'Agawa. Car bien que celui-ci, posé comme le personnage principal au début, et Tamaki soient les plus en vue, la mangaka commence déjà à distiller beaucoup d'autres ressentis chez les autres personnages se dévoilant petit à petit, de Marina à Kinugasa en passant par Bunta et Sayoko. Dans chaque cas, Kawachi nous fait bien sentir qu'aucun personnage ne sera oublié, que chacun aura son histoire, son parcours de vie et, évidemment, ses tourments sentimentaux contrariés, que ces sentiments aient été vécus avant de prendre fin, ou qu'ils aient été longtemps étouffés par les principaux concernés.
Pour porter ce récit choral, la mangaka fait montre de toute son expertise dans l'art de magnifier ces amours contrariés, au travers d'une tonalité toujours réaliste, avec son lot de pointes d'humour, de discussions et réparties naturelles, et de pensées qui en disent long. Jonglant entre le présent et les petits instants de flashback pour nous faire découvrir et comprendre chaque personnage à petites doses, Kawachi, décidément très fine, se plaît aussi à dévoile petit à petit chacun d'eux à travers leur entourage: le regard d'Agawa sur Tamaki, celui de Marina sur Bunta, celui de Bunta sur Sayoko, celui de Tamaki sur Agawa, celui de Kinugasa sur les Musashibara soeur et frère… en explorant alors sous toutes les coutures la complexité de leurs relations et de ce qu'ils peuvent ressentir. Et à cette écriture subtile, bien pensée, soigneusement mûrie, elle ajoute son inimitable dessin fin, élégant, porté entre par des motifs floraux souvent présents dans ses oeuvres et par d'authentiques élans de grâce que, naturellement, les brèves incursions dans l'univers du ballet appuient.
Votre serviteur ne va pas cacher que Musashino Rondo - Le ballet des coeurs était une de ses plus grosses attentes de 2025, et le résultat est là: Haruka Kawachi livre un premier volume riche en émotions et sentiments plus ou moins contenus, et entame un récit choral où chacun des personnages, par leur histoire, leurs relations, leur ressenti et leur complexité, ont déjà toute notre attention, le tout étant magnifié par une grande finesse dans l'écriture et les dessins.
Côté édition française, si l'on a déjà salué le choix du titre français, soulignons aussi la charte graphique bien pensée pour être suffisamment en osmose avec la nouvelles éditions des Fleurs du passé, grâce au logo imaginé par Raf. A part ça, la jaquette conçue par Florent Faguet reprend fidèlement l'illustration de l'originale japonaise, le lettrage d'Elsa Pecqueur est très propre, la traduction de David Pollet est impeccable en retranscrivant avec le plus grand naturel al finesse d'écriture de la mangaka, le papier se veut assez épais, souple et plutôt opaque, et l'impression effectuée en France chez Dupliprint est très bonne.
Chronique 1 :
Abandonnée pendant dix années dans nos contrées, la mangaka Haruka Kawachi semble, plus que jamais, être sous le feu des projecteurs. Suite à la fin de son œuvre Les fleurs du passé chez Komikku, une décennie s’est écoulée avant la réédition du titre aux éditions naBan, complétée par la sortie du cinquième volume, un tome d’histoires courtes qui n’avait jamais été inclus dans l’édition précédente. Outre cette ressortie, ce sont deux autres séries de l’autrice qui nous parviennent, en quasi simultanée. Les éditions Kana ont lancé Sérénade pour une pluie de larmes au mois de septembre tandis que naBan nous proposent un autre titre en cours de la mangaka : Le ballet des cœurs.
La série est publiée depuis 2020 dans la revue Feel Young des éditions Shôdensha et a atteint les 5 volumes en juillet dernier, dans les librairies nippones. Malgré un petit nombre de tomes à l’heure actuelle, un drama de 10 épisodes a déjà été diffusé entre avril et juin de cette année, une adaptation uniquement accessible chez nous via la plateforme SVOD Viki du géant nippon Rakuten.
Agawa, un jeune adulte de 25 ans, est amoureux depuis toujours de Tamaki, 35 ans, sa voisine et professeure de danse. Un jour comme un autre marque le retour de Bunta, le petit frère de Tamaki, au sein de la demeure familiale. Séparé de sa petite amie après une longue relation, Bunta amène avec lui un certain tumulte… mais aussi des inquiétudes pour Agawa. Car quand Tamaki fait la rencontre de Kinugasa, l’ami de son petit frère, c’est presque un coup de foudre. Tandis que les deux adultes se rapprochent, Agawa va tenter de faire valoir ses sentiments. Mais est-ce qu’un amour est possible entre lui et celle qui l’a vu naître et grandir, puis choyé comme un petit frère ?
Quand on ressort de l’excellent Les fleurs du passé, on retrouve dans ce premier tome des paternes dramatiques propres à Haruka Kawachi via un cercle relationnel complexe, ponctué d’amours qui soulèvent parfois bien des questionnements. Au programme cette fois-ci, ce sont cinq personnages qui forment le récit, dont trois qui s’illustrent tout particulièrement dans ce premier opus. Tout le long de la lecture, la mangaka plante avec soin son décor, introduisant ses protagonistes et les alchimies qui les lient les uns aux autres, tout en soulevant systématiquement les dilemmes qui hantent leurs cœurs et leurs esprits. Dans sa simple forme, le récit est prometteur et très intelligemment mis en place, de manière à déjà créer une accroche chez ces différents héros de l’histoire qui ont tous leurs vécus humains à nous conter, et quelques fantômes du passé à confronter pour pouvoir aller de l’avant.
C’est tout particulièrement le trio formé par Tamaki, Agawa et Kinugasa qui nous intéressant dans cet opus de démarrage. La professeure de danse trentenaire est au centre des intérêts amoureux, un intérêt transmis au lecteur par la grâce qu’elle dégage et qui la rend aussi saisissante à nos regards. D’un côté, un coup de foudre naturel entre deux adultes, avec une profonde sincérité mutuelle. De l’autre, un Agawa touchant qui court après une relation qui semble perdue d’avance. La portée dramatique de ce triangle nous impacte immédiatement tant elle évolue au fil des pages pour s’enrichir du regard de Tamaki en plus de celui d’Agawa, avec quelques non-dits qui constituent un programme toujours intrigant pour des sentiments pas forcément résolus. Puis, c’est aussi l’idée que souligne la mangaka qui donne à ce triangle relationnel une profondeur certaine : dans une relation si particulière marquée par la différence d’âge, et où la protagoniste a littéralement vu grandir celui qui est épris d’elle 25 ans plus tard, un amour est-il possible, logique, légitime et moralement acceptable ? Haruka Kawachi ne donne pas de réponse, mais elle développe subtilement des pistes grâce aux réflexions de ses personnages, le tout appuyé par une narration forte, souvent belle et lourde de sens.
Car la force visuelle de ce premier tome fait indéniablement son charme. On sent que de l’eau a coulé sous les ponts depuis Les fleurs du passé, et que la mangaka a gagné en finesse. Exit certaines maladresses de style, son trait est ici plus maîtrisé et expressif, tandis que ses planches et ses compositions fourmillent de petites idées distillées ci et là pour donner du sens à ce tumulte sentimental. En un tome, Le ballet des cœurs nous emporte aux côtés de ses personnages, de ses doutes et de ses émois. C’est une force qui nous emporte le temps de plus de 170 pages et qui fait de cette tranche de vie une lecture à la saveur particulière.
Côté édition, naBan reste fidèle à ses standards avec un papier solide et d’excellente facture, puis une couverture mate d’un bel effet. Signée David Pollet, la traduction est habile dans sa manière d’instaurer le ton du récit à travers les émotions verbales des personnages. Le lettrage d’Elsa Pecqueur est solide et assure un immense confort de lecture tandis que le travail graphique de Florent Faguet nous donne une couverture fidèle à la version originale, mais aussi dans le ton de ce qui a été proposé avec Les fleurs du passé pour conserver une certaine harmonie dans les œuvres de Haruka Kawachi chez l’éditeur.
28/11/2025
27/02/2026