Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 15 Octobre 2010
Depuis la parution d'Un drôle de père, les éditions Akata/Delcourt n'ont eu de cesse de publier des titres fortement orientés sur la famille. Ce mois d'octobre ne déroge pas à la règle en voyant sortir deux nouvelles oeuvres sur ce thème: Plus forte que le sabre de l'incontournable Hiroshi Hirata, et Mon vieux, oeuvre en trois volumes signée Tsuru Moriyama, auteur dont nous avons déjà pu apprécier le talent et l'engagement dans l'excellent one-shot Un bol plein de bonheur, publié dans nos contrées en début d'année. Et après la mère, le mangaka s'intéresse ici à la figure du père.
Takeshi Kumada vient de purger une peine de 16 ans de prison suite au massacre pur et simple de yakuza qui s'en étaient pris à sa famille. Une fois sortie, cette montagne de muscles ne pense qu'à une seule chose: rentrer chez lui, retrouver sa femme, ses enfants, et reprendre leur éducation, où la dérive guette.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appellation de "coup de poing" que l'éditeur donne à ce titre n'est pas usurpée: pendant presque 200 pages, Tsuru Moriyama ne cherchera aucunement à faire dans la dentelle. Mon vieux est violent, Kumada n'hésitant pas à massacrer quiconque s'en prend à sa famille, et il ne faudra donc pas s'étonner, par exemple, de voir un yakuza décapité à coups de pelle ou un autre passer par la fenêtre. On peut se poser des questions face à cette violence crue et très exagérée, mais au final, elle ne fait que renforcer la force du message de l'auteur sur l'importance du père de famille, de l'éducation de ses enfants, et de l'exemple de force et de virilité qu'il doit montrer.
Car s'il y a quelque chose à retenir de l'oeuvre, c'est bien ce message, mis en exergue par ce héros atypique. Kumada est violent, renfermé, macho, mais cache au fond de lui un profond amour pour sa femme et ses enfants, amour qu'il n'extériorise qu'en les protégeant comme il le peut, c'est à dire avec fermeté. Le plus parfait exemple de cet amour est ce sacrifice de 16 ans de sa vie, ces 16 années de prison écopées pour avoir protégé les siens. L'imposant "vieux" est très loin d'être parfait, mais affiche d'inébranlables convictions proches de l'esprit du bushido qui le rendent, derrière son air bourru et son physique peu attrayant, profondément touchant et charismatique. Un charisme qui ne cesse de s'accentuer au fil de la lecture, lorsque Kumada reprend en main l'éducation de ses enfants d'une main de fer, quand se dévoilent les évènements l'ayant conduit en prison, ou, mieux encore, lorsque nous est montrée brièvement son enfance dominée par un mauvais père qui le maltraitait, lui et sa mère. Ce dernier point est peut-être le plus fort, tant il nous fait comprendre la force des convictions de Kumada, désireux de ne pas faire subir à sa famille ce que son père lui-même faisait, de ne pas commettre les mêmes erreurs que ce paternel indigne.
Visuellement, si l'on a déjà évoqué la surenchère de violence de Tsuru Moriyama, il faut également signaler que l'excès passe aussi à travers le trait des personnages. Loin des beaux héros aseptisés que l'on voit absolument partout, les personnages de Moriyama sont physiquement exagérément laids (il suffira de regarder la couverture de ce premier tome pour s'en convaincre), et les scènes de vie que l'auteur nous montre ne sont guère plus appétissantes, à l'image du passage ou l'on voit Kumada manger très goulument. Et pourtant, c'est cet aspect visuel qui fait entièrement ressortir le réalisme du fond. Le milieu social de la famille de Kumada est très populaire, cette famille n'a pas forcément les moyens de s'embellir, ou, en tout cas, les parents y sont avant tout plus préoccupés par la protection des leurs que par quelques artifices secondaires. Pour les deux parents de Mon vieux, et avec plus de force pour le père, seule la famille compte. Le coup de crayon met parfaitement en avant cela, car l'une des principales forces de Tsuru Moriyama est probablement de réussir, derrière ce style pas forcément accrocheur au premier abord, à faire passer un message d'une rare humanité porté par un héros à des années-lumière des beaux gosses de base, un héros avant tout fort de ses convictions et de ses principes.
Les éditions Akata/Delcourt nous offrent ici une édition standard. Bonne traduction, impression correcte, onomatopées traduites et globalement bien intégrées. On signalera, en fin de volume, une postface dans laquelle l'éditeur explique les raisons qui l'ont poussé à publier ce titre. Et si chacun pensera ce qu'il veut de cette postface qui peut paraître un peu exagérée, on ne peut que saluer, à l'heure où la plupart des éditeurs se sont lancés dans la course au nouveau shôjo à beaux gosses à succès ou au nouveau blockbuster shônen de baston, la démarche de l'éditeur, fidèle depuis des années aux mêmes convictions, aux mêmes engagements. Et malgré son style peu accrocheur et exagéré, à l'heure où ne cessent de fleurir des manga plus aseptisés les uns que les autres, voir débarquer un titre tel que Mon vieux fait réellement du bien.