Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 13 Novembre 2024
Teasées en janvier dernier lors du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême puis fermement annoncée lors de Japan Expo, la saga Gundam s'implante concrètement en cet automne 2024 aux éditions Vega. Une véritable victoire pour cette licence qui, si elle est légendaire au Japon, a toujours connu un accueil tiède dans nos contrées. Les éditions physiques des anime tels que Gundam Wing, Gundam SEED ou Gundam 00 n'ont que peu porté leurs fruits tandis que les éditions Pika se sont cassé les dents en tentant de publier The Origin, École du Ciel ou encore les mangas Wing et SEED. Il est possible que le public francophone ne fût pas encore prêt, car mal préparé. Néanmoins, avec l'essor des plateformes de simulcasts qui foisonnent de Gundam, les éditions Blu-ray d'All the anime de plus en plus nombreuses et le gunpla qui s'est correctement installé dans nos étalages, le timing pour publier de nouveau des mangas Gundam est le bon. Après le lancement de l'édition Deluxe de The Origin, Vega nous propose un autre morceau de la saga : Mobile Suit Gundam Unicorn.
Si on pense en premier lieu à l'excellente série d'OVA, Gundam Unicorn est à l'origine un light novel écrit par Harutoshi Fukui et illustré par l'incontournable Yoshikazu Yasuhiko. Publiée dès 2006, la série de romans dénombre 10 tomes pour son histoire principale auxquels s'ajoute un 11e opus qui, côté anime, fut adapté dans le film Mobile Suit Gundam Narrative.
Le manga Gundam Unicorn est donc l'adaptation de ces light novel et non de l'anime, même si les deux projets sont sortis approximativement au même moment, début 2010. Totalisant 17 volumes, cette version est sortie sous le titre Mobile Suit Gundam Unicorn : Bande Dessinee, particulièrement amusant pour les lecteurs francophones. Un titre que Vega a choisi d'adapter en Mobile Suit Gundam Unicorn : Comic Book Version, certainement pour éviter le ressenti cocasse. À la barre du manga s'illustra Kôzô Ômori qui, s'il n'avait jamais été publié dans nos contrées jusqu'à aujourd'hui, est l'un des auteurs contemporains importants de mangas Gundam. Il fit ses débuts de mangaka en 2005 et s'attaque dès 2008 aux versions manga de Gundam 00. Actuellement, il œuvre toujours sur Gundam à travers une adaptation de Mobile Suit Gundam Narrative largement enrichie puisque celle-ci, toujours en cours, a atteint le nombre de 13 volumes publiés.
Pour sa version française, Vega opte pour des tomes au format double pour une édition qui en totalisera 9. Afin d'assurer une cohérence avec l'édition Deluxe de The Origin, l'éditeur propose un grand format aux dimensions similaires, mais sans la couverture rigide, le papier de haute qualité et le nombre impressionnant de pages couleur. Le format est particulièrement agréable tandis que la version française s'assure la traduction de Kevin Stocker, un traducteur en terrain connu puisqu'il a déjà assuré plusieurs traductions d'anime Gundam. On relèvera néanmoins une curiosité déjà présente dans le premier volume de The Origin : Le lettrage est assuré par Vibrant Publishing Studio, un studio... indien. Non pas que le travail soit mauvais, mais le choix paraît étonnant quand il existe de très bons lettreurs dans nos contrées. Volonté d'économie de coûts ? Volonté de Kadokawa qui est désormais actionnaire majeur de Vega ? À ce jour, l'éditeur ne s'est pas exprimé sur ce choix.
Les présentations avec le chapitre Unicorn étant faites, parlons plus en profondeur de cette histoire et de ce premier volume...
Siècle Universel, année 0096. Les décennies dernières ont été secouées par des conflits répétés entre la Fédération terrienne et les forces de Zeon. Vaincues et déchues, ces dernières sont reléguées à une faction nommée "Manchettes". Aujourd'hui, la Fédération continue d'asseoir son autorité. Mais sur la colonie spatiale Industrial 7, le cours des événements pourrait bien changer. Cardeas Vist, le président de la Fondation Vist étroitement liée à la Fédération, décide de donner à l'humanité la possibilité de bouleverser le Siècle Universel. La fondation détient la Boîte de Laplace, une véritable boîte de Pandore qui pourrait ébranler l'univers, et est en voie de la remettre aux Manchettes. Audrey Burn, une jeune fille infiltrée sur le vaisseau de ces dernières, décide de prendre de l'avance pour empêcher la rencontre. Banagher Links, jeune étudiant sur Industrial 7, assiste à la chute d'Audrey sur la colonie. Pour lui qui ne parvenait pas à trouver sa place dans le monde, cette rencontre bouleverse sa destinée. Sans le savoir, le garçon est entré de plain-pied dans la lutte pour la Boîte de Laplace, entre la Fédération terrienne et les survivants de Neo-Zeon...
Fidèle au roman, ce premier tome de Gundam Unicorn ouvre un contexte qui a de quoi déstabiliser les nouveaux lecteurs découvrant la saga avec le manga The Origin. Nous sommes près de 17 ans après le conflit entre la Fédération et Zeon, et de l'eau a coulé sous les ponts depuis. Le lecteur s'en rend aisément compte puisque des conflits sont cités tandis que le récit offre la promesse d'un univers fragile dans ses rapports géopolitiques. Pour un nouveau lecteur, difficile de savoir que les événements ont été relatés dans pas moins de trois séries et un film. Et outre les termes qu'il convient d'assimiler, ce contexte constitue le principal frein à l'immersion dans l'histoire d'Unicorn.
Pour quiconque parvient à s'affranchir de cet obstacle, le récit qui se présente à nous se révèle particulièrement intéressant. Sur fond d'un monde fragilisé par les conflits incessants entre la Terre et les plus révoltés des colonies spatiales spoliées, Unicorn a pour originalité d'amorcer un scénario à mystère qui réside autour d'un unique élément : La Boîte de Laplace. Quel secret renferme-t-elle ? Comment les deux forces en place se confronteront mutuellement pour s'en emparer ? Comment les deux héros Banagher Links et Audrey Burn trouveront leur place dans ce nouveau conflit ? Les éléments proposés sont particulièrement prometteurs et ont de quoi titiller l'intérêt de tout lecteur qui parvient à se plonger dans l'ouvrage malgré les complexités initiales.
Et si, et on y revient, l'univers se veut déstabilisant pour un nouveau venu, le lecteur a donc de quoi se raccrocher à un fil plus simple : l'aventure de ses deux protagonistes. Véritable parcours initiatique, Unicorn se présente comme le périple de deux jeunes gens diamétralement opposés qui ont tout à découvrir du monde qui les entoure, y compris la réalité du cruel destin du Siècle Universel. Si cet aspect sera largement creusé dans les opus suivants, il trouve déjà une certaine place dans ce premier tome, aux côtés de bon nombre d'éléments dramatiques et d'une représentation de la guerre telle que Gundam l'a toujours voulue : violente, atroce et sans morale.
L'autre frein de ce premier ouvrage sera peut-être son petit temps de décollage. Les premières pages insistent sur les bases du contexte et l'entrée en scène des différentes factions, mais la suite redynamise l'ensemble avec un bon cocktail entre le périple de Banagher et les batailles qui vont secouer la colonie Industrial 7. À ce titre, le style de Kôzô Ômori s'avère extrêmement différent de celui de Yasuhiko. Mais parce que les contextes ne sont pas les mêmes, leurs styles sont deux visions différentes. Le côté rondouillard de la patte d'Ômori apporte un côté plus contemporain et si ses batailles sont parfois plus confuses, il représente avec beaucoup d'efficacité les mobiles suits comme des géants de fers synonymes d'engins de mort et de destruction. La dimension mécanique du manga Unicorn reste donc alléchante tandis que les planches sont sans cesse assez fournies pour nous plonger dans l'action.
Passé le cap des complexités du lore, le premier tome de Mobile Suit Gundam Unicorn se révèle donc tout à fait attrayant, porté par une quête initiatique pleine de mystère, des personnages déjà rendus complexes, un univers aux enjeux solides et un style très complet qu'est celui de Kôzô Ômori. Il est difficile de dire si Unicorn est le meilleur choix pour publier du Gundam après The Origin. Néanmoins, il est indéniable que le titre est déjà plein de promesses, et que celles-ci devraient se renforcer au même titre que son intrigue, un véritable parcours initiatique et philosophique au cœur du Siècle Universel.