Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 31 Mai 2011
Libéré du bagne après avoir purgé une peine de 19 ans, Jean Valjean prend un nouveau départ et décide de s'engager vers la voie du bien, suite à sa rencontre avec l'évêque Myriel. Mais suite à un malentendu, le voilà déjà accusé de récidive.... Quelques années plus tard, l'ancien détenu a changé d'identité et est devenu le maire respectable de Montreuil-sur-Mer, jusqu'au jour où son passé refait surface : Javert, un de ses bourreaux, est devenu inspecteur de police dans cette même ville. Alors qu'il cherche à fuir cet homme qui n'a jamais cessé de le poursuivre, une affaire concernant Fantine, une jeune mère les pousseront à une nouvelle confrontation. Valjean parviendra-t-il un jour à fuir son passé, et à prouver aux yeux du monde qu'il est un homme respectable ? Sa rencontre avec Cosette, fille de Fantine, pourrait bien être décisive...
Cette histoire, ces noms, vous les aurez sans doute reconnu très rapidement : nous sommes bien dans la plus grande œuvre de Victor Hugo : Les Misérables. Et pourtant, il s'agit également d'un synopsis de manga, à savoir le troisième titre de la collection Classiques de Soleil Manga, après Le Capital et Le Rouge et le Noir, ce dernier étant sorti simultanément. Nous sommes toujours dans le catalogue de l'éditeur japonais East Press, plus précisément dans les productions du studio Varietty Artworks qui s'est fait une spécialité dans l'adaptation de romans intemporels. L'avant-propos du manga soulève la question que le lecteur curieux se sera déjà posé : comment retranscrire un roman aussi colossal de mille cinq cents pages en à peine plus de deux centaines de planches en noir et blanc ? L'éditeur ne cache pas son enthousiasme quant au succès de ce pari, mais nous resterons plus modérés.
Bien sur, accordons au format de nombreuses ellipses et modifications dans le récit de Hugo pour rendre l'ensemble de l'histoire dynamique et cohérent malgré les troncatures de-ci de-là. Notons d'ailleurs, comme ce fut le cas dans Le Rouge et Le Noir, que certaines scènes sont annotées d'une remarque pour expliquer les différences avec le roman. Que les plus réticents soient rassurées : la lecture est nullement barbante ou austère, le rythme est efficace, et les évènements se succèdent de manière aisée. Sans que l'on s'en rende compte, on arrive rapidement au bout de ce one-shot sans en décrocher, avec le sentiment d'avoir passé un agréable sentiment de lecture.
Le hic, c'est que sorti de ce moment de satisfaction, il n'y a pas grand-chose d'autre à retenir du manga si ce n'est, bien sur, l'envie de se replonger dans le roman original pour explorer les choses bien d'avantage en profondeur. La principale qualité de cette adaptation est également son plus grand défaut : en allant très vite pour ne pas perdre le lecteur, on perd beaucoup de la richesse originale. Prenons tout d'abord les personnages : là où Julien Sorel, et même Robin(personnage totalement inédit de l'adaptation du Capital), étaient dépeint avec une grande finesse, le Jean Valjean que nous découvrons ici ne semble animé que par une seule direction : fuir son passé, et aller vers un nouveau confort qui ne sera que temporaire. Les nombreux personnages de cette saga se retrouvent toujours ainsi cantonnés dans un seul trait de caractère, s'appréciant alors jusqu'à leur expression graphique : Fantine est l'incarnation même de la pitié, les Thénardiers ont les yeux remplis d'avarice, Gavroche remplit le contrat du gamin édenté, joufflu, et jovial... Mais la palme du plus caricatural est sans contexte décernée à Gargam... euh, je veux dire Javert, manichéen au possible et jamais présenté autrement que dans une dimension cruelle et obsessionnelle.
Ainsi, cette version imagée donne surtout l'impression que le roman n'est composé du début à la fin que d'une gigantesque course-poursuite à travers les époques. Les autres thématiques très fortes, comme la peinture de l'époque, la pauvreté, les révoltes qui grondent,... sont bien là mais traitées de manière si expéditive qu'elles ne passent qu'au plan secondaire, au mieux. Ces tentatives seront d'ailleurs bien vaines, tant le lecteur restera plongé dans le face à face entre Valjean et Javert, mais qu'il est dommage de résumer Les Misérables à celà. Aussi, un format plus long (en deux tomes) n'aurait pas été de refus pour offrir d'avantage de perspectives...
Graphiquement, hormis le design des personnages précédemment évoqué, il n'y a pas grand-chose à redire sur les travaux de Varietty Artworks, offrant des dessins à la fois modestes et agréables. Les décors sont également assez réussis, sans être profondément marquant ni faire ressentir un quelconque aspect "à la française". Mais après tout, le but du studio n'étant pas de trop s'écarter de l'œuvre originale, on comprend aisément cette sobriété générale. Du côté de l'édition, on appréciera également l'adaptation totale des onomatopées, conséquence directe (mais non négligeable) d'un support en sens de lecture occidental.
Au final, cette adaptation des Misérables constitue un bon petit moment de lecture, avec une course poursuite assez prenante, mais n'ira hélas pas plus loin dans notre subconscient une fois le volume refermé. Faute d'un rythme narratif privilégiant l'efficacité, les nombreux personnages et intrigues n'ont pas suffisamment de temps pour se développer. Pour en savoir plus, il faudra donc bien se résoudre à se tourner vers l'œuvre de Victor Hugo, et en cela, cette version manga remplit finalement, mais de peu, son pari !