Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 20 Avril 2023
Pour notre plus grand plaisir, Le Lézard Noir continue d'explorer la vaste carrière du grand Kazuo Umezu, en se basant sur les différents volumes de la fameuse anthologie en 30 tomes "Umezu Perfection" qui est sortie au Japon entre 2005 et 2011. Mais cette fois-ci, l'angoisse est mise de côté, et c'est une tout autre facette de l'auteur, plus méconnue en France, que l'on va pouvoir découvrir avec Makoto Chan.
Makoto Chan, c'est une oeuvre qui a su entretenir une vraie popularité dans son pays d'origine pendant des années. Initiée en 1976 dans le magazine Shônen Sunday de Shogakukan avec une première série en 24 volumes, l'oeuvre connut ensuite en 1988-1989 une deuxième série en 4 tomes, Chô! Makoto-chan. Et c'est cette deuxième série que l'éditeur poitevin nous propose de découvrir en France, par le biais de trois gros tomes basés sur les 12e, 13e et 14e opus de l'Umezu Perfection.
Le concept de la série est simple: à chaque chapitre de ce premier volume d'environ 240 pages, on suit les facéties de Makoto Sawada, un petit garçon en classe de maternelle, très emblématique avec sa coupe au bol, sa régulière goutte au nez et ses mimiques, et qui est toujours prêt à faire des petites bêtises en aimant particulièrement tout ce qui a trait à l'humour pipi-caca. Le problème supplémentaire pour son entourage étant que ses petites facéties prennent souvent une ampleur imprévisible...
Vous l'aurez peut-être déjà deviné après ces quelques lignes: nous sommes ici dans un pur gag manga, et sommes donc assez éloignés de ce pour quoi on connaît généralement Umezz ! Et dans le registre de l'humour, les frasques du petit Makoto s'inscrivent quelque part entre la part loufoque du pipi-caca d'Arale de Dr Slump, le comique scato absurde de Docteur Toilette de Kazuyoshi Torii, et les farces piquantes du Soichi de Junji Ito. Cependant, c'est dans une tonalité bien à lui que Kazuo Umezu inscrit son manga humoristique puisque, ici, les gags sont capables de vite partir en vrille à partir de situations presque banales (un séjour aux thermes, une journée à la plage...), en poussant assez loin des situations loufoques qui misent sur du vulgaire et du trashouille volontairement excessifs. Il ne faudra donc pas s'étonner de voir, entre autres, un paquet de scènes à base de caca, une jeune fille avec une grosse verrue en forme de pénis sur la tête, ou une interprétation un brin décalée de la crucifixion du Christ. Ce qu'il faut retenir de manière générale, c'est qu'Umezz ne se pose pas de limites et laisse vagabonder son esprit entre un comique très gamin et un humour quelque part plus adulte, pour un résultat assez provocant.
Evidemment, ce type d'humour plaît ou non, le comique étant de toute façon l'une des choses les plus subjectives qui soient, tant il dépend des goûts de chacun. Mais dans tous les cas, il faut savoir le porter, bien l'amener, et de ce côté-là la patte d'Umezu s'en sort étonnamment bien. Réputé notamment pour ses faciès de personnages apeurés jusqu'à l'extrême, le mangaka met cette fois-ci cette expressivité presque caricaturale au service de son humour, et dans l'ensemble ça rend très bien: sans avoir besoin de dénaturer son style typique qui reste bien reconnaissable, Umezz livre un paquet d'expressions marquantes (en tête celle d'un Makoto dont l'allure est unique) qui font leur effet quand elles sont couplées à l'humour des situations. De plus, l'ensemble est mine de rien assez bavard, avec pas mal de répliques savoureuse dans leur genre, et des petites cases qui s'enchaînent en faisant en sorte qu'il y ait quelque chose à retenir à quasiment chaque page. De plus, on peut assurément dire que la traduction de Miyako Slocombe est un atout majeur dans l'édition française: celle-ci se montre particulièrement à l'aise dans la retranscription du côté gamin de Makoto, avec ses zozotements et ses "caca-boudin" à foison entre autres choses.
A l'arrivée, ce premier volume est une expérience de lecture intéressante. On ne va pas émettre de jugement sur le style d'humour de l'oeuvre, très porté sur le scato et sur des choses gentiment trashouilles ou provocantes, car tout dépendra des goûts de chacun en matière d'éléments comiques. En revanche, il faut avouer qu'il y a un certain plaisir à découvrir cette autre facette de la carrière de Kazuo Umezu, où l'auteur adapte son style typique sans le dénaturer, et où il ose pas mal de petites choses. Il ne s'agit clairement pas du manga à conseiller à un néophyte qui voudrait découvrir l'auteur, mais plutôt, avec nos yeux d'aujourd'hui, d'une curiosité qui satisfera en premier lieu les inconditionnels de l'auteur et qui est bien inscrite dans tout un pan de mangas humoristiques de son époque.
Enfin, en plus de l'excellente traduction, l'édition française s'avère très satisfaisante en possédant les atouts typiques de la collection Umezu du Lézard Noir: grand format, couverture travaillée, dos rouge et blanc reprenant les rayures typiques du style Umezu, papier et impression de bonne qualité, lettrage, présence de huit pages en couleurs, et illustrations couleurs sur le verso des pages de couverture.