Main Gauche de Dieu, la Main Droite du Diable (la) Vol.1 : Critiques

Kami no Hidarite - Akuma no Migite

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 16 Mai 2024

La suite de Makoto Chan a beau se faire attendre depuis désormais un peu plus d'un an, Le Lézard Noir n'oublie pas pour autant de continuer à explorer la bibliographie du maître de l'horreur Kazuo Umezu alias Umezz, pour notre plus grand plaisir ! En ce mois de mai, c'est donc le premier volume de La Main Gauche de Dieu, la Main Droite du Diable qui arrive enfin, après quelques reports. Il s'agit d'une oeuvre que l'auteur a entamée en 1986, peu de temps après avoir achevé l'une des pièces maîtresses de sa carrière, Je suis Shingo (série déjà intégralement disponible en France). Et tout comme Je suis Shingo, elle a pour petite particularité d'avoir été prépubliée dans le magazine catégorisé seinen Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan, là où la très grande majorité de ses précédents travaux avaient été proposés dans des magazines surtout orientés shôjo et parfois shônen (ce qui, nous le verrons plus tard dans cette chronique, a son importance). Riche de six volumes dans son édition japonaise originelle, l'oeuvre a ensuite connu là-bas plusieurs autres éditions. Pour la version française, Le Lézard Noir se base sur le matériel de l'édition de 2011 issue de l'anthologie "Umezz Perfection!", afin de proposer l'ensemble de la série en quatre jolis pavés d'environ 300 pages chacun.

La Main Gauche de Dieu, la Main Droite du Diable est en réalité une succession de cinq histoires dont l'unique liant se trouve dans ses personnages principaux récurrents, à savoir une jeune fille du nom d'Izumi et, surtout, son petit frère Sô, un gamin qui se découvre l'étrange capacité de prévoir des événements surnaturels dans ses rêves et même d'opérer dessus des changements qui finiront par se produire dans la réalité. Nommée "Les Ciseaux Rouillés", la première histoire occupe l'intégralité de ce tome 1, et commence fort avec un rêve terrible où le petit garçon voit des lames de vieux ciseaux percer de l'intérieur les yeux de sa grande soeur, avant d'en sortir, en déchirant son visage dans une gerbe de sang et dans des cris de souffrance insoutenables. Après ça, Noriko, une camarade de classe, vient frapper à leur fenêtre pour les informer de la mort soudaine d'un de leurs professeurs, emporté par une crue de la rivière. En décidant d'enquêter sur ce drame, ils découvrent, dans un souterrain par lequel la rivière est passée, une paire de ciseaux rouillés semblables à ceux qui ont perforé les yeux d'Izumi dans le rêve de Sô. Ce dernier a alors le sentiments que sa soeur est en grand danger, mais il n'imagine pas encore tous les événements hors du communs et terrifiants par lesquels son entourage et lui vont passer pour devoir la sauver...

Ce manga est arrivé au Japon à une époque où Umezz n'avait déjà plus rien à prouver, en ayant déjà plus de 30 ans de carrière à son actif, et en ayant déjà accouché de ses oeuvres les plus renommées (L'école emportée, Orochi, Baptism... ou encore, tout récemment, Je suis Shingo). Après l'oeuvre ambitieuse, plus orientée vers la science-fiction et très métaphysique que fut Je suis Shingo, le mangaka semble surtout désireux de revenir à son premier amour, à savoir l'horreur pure, et c'est donc ce qu'il fait avec La Main Gauche de Dieu, la Main Droite du Diable, mais dans une tonalité peut-être plus trash que jamais dans sa carrière. Il n'est donc pas anodin que la série ait été proposée dans le Big Comic Spirits, magazine plus adulte où il peut donc laisser libre cours à ses envies les plus gores !

Car ce qui caractérise en premier lieu cette première histoire de la série, c'est bien son accumulation de séquences particulièrement cracras, à commencer par la scène d'ouverture décrite précédemment, où rien n'est caché, et qui donne donc immédiatement le ton. A partir de là, au fil du parcours horrifiant du petit Sô pour tenter de sauver sa soeur, le maître va enchaîner les séquences visuellement affreuses et sans concession, où on le sent très libre de faire ce qu'il veut, et où l'on sent qu'il s'amuse bien: Izumi qui vomit toutes sortes de choses impensables (de la boue, un crâne humain...), un oeil sortant par l'oreille de la fillette en la déchirant, la gamine qui se dessèche sur place... et on vous passe bien d'autres joyeusetés que l'on vous laisse découvrir et où l'auteur surfe très volontiers sur du body horror à la fois un peu grotesque et très malaisant. Et bien sûr, c'est d'autant plus efficace et dérangeant que, comme très souvent dans la bibliographie du maître, les principales victimes de tout ça sont des enfants, que ceux-ci soient rendus terrifiés par les horreurs qu'ils traversent, maltraités physiquement ou carrément tués et massacrés. Toutes ces séquences se veulent très graphiques, même si Umezz ne néglige pas pour autant certains de ses gimmicks typiques (les petites cases homogènes, les expressions d'effroi exacerbées et si souvent reprises ou parodiées par d'autres artistes, les jeux sur le noir et l'obscurité...).

Toutefois, limiter cette première histoire à ses accumulations d'horreur trash serait une erreur, car le récit peut aussi compte sur la fameuse capacité surnaturelle et étrange de son jeune personnage principal. D'un côté, il est difficile pour lui de parler de ses rêves gores prémonitoires, car bien souvent on le traite systématiquement de menteur. De l'autre côté, lui-même peine à comprendre pourquoi il se retrouve avec ce don certes utile mais terrifiant pour un gosse de son âge. Et surtout, il est complexe pour lui, et donc pour le lecteur, de toujours fixer précisément la frontière entre la réalité et ses rêves, si bien qu'il est souvent difficile de cerner ce qui est vrai ou faux dans toutes les horreurs qui se passent. Ce parti pris pourra éventuellement laisser sur le carreau une part du lectorat et donner une impression de confusion, cependant le résultat est là: en perdant volontairement son lectorat autant que son jeune personnage principal, Kazuo Umezu offre une expérience de lecture assez folle, parfois presque parano, et toujours cauchemardesque.

Voici donc une première longue histoire de 300 pages facilement efficace dans son genre, où l'on sent un Umezz qui est très libre et qui s'amuse bien à lâcher sans la moindre concession toute l'horreur dont il est capable. Cela promet pour la suite !

Enfin, côté édition, on a en premier lieu droit, bien sûr, à la charte graphique habituelle des oeuvres d'Umezz chez Le Lézard Noir (bandes blanches et rouges sur le dos du livre, couverture stylisée, etc), et au grand format sans jaquette ni rabats typique de l'éditeur. Soulignons aussi la bonne qualité de papier et d'impression, les quatorze premières pages en couleurs et bichromie, le lettrage soigné et la traduction efficace de Yohan Leclerc, et on obtient un bon rapport qualité/prix pour ce joli premier pavé.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs