Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 27 Août 2024
De Magical Girl of the End à Magical Girl Holy Shit en passant par Magical Girl Boy ou encore Looking Up to Magical Girls, voici déjà plusieurs années que l'on voit régulièrement arriver des oeuvres s'amusant à détourner le registre des magical girls, et depuis cet été l'heure est venue pour les éditions Vega-Dupuis d'avoir leur représentant du genre avec Magical Quadra, un manga pour lequel tout est dans le titre !
En cours au Japon sous le titre "Mahô Chûnen" depuis 2022 dans le magazine Young Animal des éditions Hakusensha (le magazine de Berserk, Holyland, March comes in like a lion, Peleliu...), cette série est scénarisée par Maki, prolifique spécialiste de la comédie depuis quelques années. Et la partie dessins, elle, a été confiée à Nemumi Haiba, mangaka dont c'est la deuxième série tout public professionnelle, qui s'est d'abord fait la main sur quelques hentai, et qui semble en avoir gardé un certain goût pour les choses coquines puisque sa toute première série ( "Ashigei Shoujo Komura-san" ) était une comédie ecchi traitant du fétiche des pieds, tandis que sa dernière oeuvre en date ( "Harem Ou no Isekai Press Manyuuki" ) est un isekai aux élans érotiques.
Dans cette série, l'espèce humaine est régulièrement menacée par les Sorcières, et des magical girls sont alors chargées d'intervenir pour protéger le peuple. Leurs plus terribles adversaires sont les Familiers, des créatures invoquées par les sorcières. Quand une sorcière meurt, ses serviteurs deviennent enragés et leur force augmente en les rendant presque inarrêtables, puis ils se mettent à traquer sans relâche la magical girl qui a éliminé leur maîtresse. Ce job dangereux vaut toutefois le coup pour la plupart d'entre elles, car en plus de ça leurs combats ont été érigés en spectacles par le marché du travail des magical girls, et elles ont ainsi l'occasion de devenir de véritables icônes publiques ! Aussi, pour les protéger des menaces pesant sur elles, un autre type de "magical girls" a été mis en place : les hommes d'âge mûr magique,qui agissent dans l'ombre en restant inconnus du grand public pour des questions d'image.
Sur le papier, le pitch de base est assez séduisant dans sa façon de détourner les codes du récit de magical girl. Tout d'abord, parce que même si ces filles dotées de capacités magiques combattent les méchants quotidiennement, on en a fait un facteur économique en organisant autour d'elles tout un business pour les ériger en starlettes remplaçables, ce qui est aussi un peu l'occasion pour les auteurs de taper gentiment sur nos sociétés de divertissement. Le concept n'est pas du tout nouveau (rien que ces dernières années, on pourrait notamment relever le manga No Longer Rangers, qui a un peu la même idée de base mais en détournant les héros de tokusatsu), mais a toujours de quoi plaire s'il est bien traité. Ensuite, parce qu'il y a l'idée d'ajouter à ces mignonnes jeunes filles pailletées leur exact contraire: des hommes d'âge mûr qui n'ont rien pour eux physiquement et qui ont plutôt l'allure de salarymen nippons lambdas. Et c'est totalement dans cette catégorie que se range le personnage principal Tanaka, banal jusque dans son nom de famille ultra commun. Petit, bedonnant, bientôt chauve, ayant des maux de dos ainsi que la vue et l'ouïe qui commencent à baisser, il se contente d'exercer son travail de "magical boy" comme s'il était employé de n'importe quelle entreprise lambda, avec ce que ça peut impliquer aussi d'heures supplémentaires. Et pourtant, derrière son apparente absence de charisme, dès qu'il se transforme il prend une allure de jeune beau gosse,en mode bishônen !
Voila, donc, pour les idées de départ qui sont assez emballantes. Mais ces idées, encore faut-il réussir ensuite à bien les exploiter, et c'est là que les auteurs se vautrent malheureusement, pour l'instant. Car au bout de ce premier volume, la constatation qui s'impose, c'est que côté développements c'est presque complètement vide. Maki a beau installer vite fait quelques personnages voués à être récurrents (Sakura Moon la magical girl en perte de popularité qui veut faire de Tanaka son mentor, Marine Tsukishima l'ex magical girl numéro 1 qui veut rabaisser notre héros mais qui s'éprend de lui quand il est en mode bishônen...), ceux-ci manquent totalement de substance et peine à apporter plus de consistance. Et finalement, on a l'impression que rien n'est vraiment fait avec les concepts initiaux, si bien que le récit donne l'impression de déjà tourner en rond. Et on ne peut s'empêcher d'être un peu frustrés par l'accumulation d'actes manqués, de situations qui auraient pu être beaucoup plus fun si elles avaient été faites différemment (par exemple, franchement, pourquoi faire de Tanaka un jeune beau gosse quand il se transforme, alors qu'une des plus chouettes promesses humoristiques était de voir un petit bonhomme d'âge mûr lambda en tenues féériques ? ).
Mais ce n'est pas tout, puisque sur le plan visuel aussi, l'oeuvre déçoit. Non pas que ce soit laid: Nemumi Haiba offre un rendu propre. Mais justement, c'est trop propre pour une comédie de ce type, censée être WTF: à l'exception de Tanaka dont la dégaine de petit binoclard bedonnant peut parfois faire sourire, tout le reste est désespérément lisse, des magical girls aux jolis physiques stéréotypés jusqu'aux créatures trop classiques,en passant par les découpages et mises en scène certes clairs mais sans originalité, sans audace, sans folie.
Au final, on s'ennuie ferme sur ce premier volume qui fait juste esquisser quelques sourires au tout début, quand on découvre les concepts de base. Manquant de développements et d'enjeux intéressants, donnant l'impression de déjà tourner en rond, s'avérant beaucoup trop sage et lisse visuellement, l'ensemble nous fait dire que Maki et Nemumi Haiba passent en très grande partie à côté de leurs possibilités. N'enterrons pas la série trop vite: l'idée de base est vraiment plaisante, et il est largement possible que la suite soit meilleure. Seulement, il va falloir que les deux mangakas nous prouvent ça très vite !
Saluons tout de même l'édition française, soignée: la jaquette est fidèle à l'originale japonaise, le logo-titre est plutôt bien pensé, le papier est souple et assez opaque, l'impression est très correcte, la traduction d'Odilon Grevet est propre, et le lettrage effectué par Daphné Belt est soigné.