Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 31 Octobre 2013
Critique 1
Yoshitoshi ABe fait partie de ces génies discrets. Adulé au Japon et très apprécié en France par certains fans pour ses illustrations très détaillées, quasiment analytiques et dotées d'une colorisation numérique très nuancée et souvent sombre avec ses tons gris-vert, l'auteur est également celui qui se cache derrière le chara design des séries animées Lain, Texhnolyze, Ailes Grises/Haibane Renmei qu'il a lui-me^me adaptée de l'un de ses dôjinshi, et NieA_7 qu'il a en personne adapté en manga papier. Pourtant, ce n'est qu'en cette année 2013 qu'il débarque pour la première fois en France avec un manga, qui plus est avec sa dernière série en date, toujours en cours au Japon avec 7 tomes : Ryushika Ryushika, renommé Lucika Lucika par les éditions Ki-oon.
Lucika Lucika, c'est l'histoire de... Lucika, une fillette comme les autres, à ceci près qu'elle a tendance à s'inventer des histoires et de folles péripéties avec tout et n'importe quoi. Jouer à 1,2,3 Soleil avec un Daruma qu'elle s'imagine vivant et qu'elle va martyriser ? Ca ne lui fait pas peur. S'imaginer perdue dans un labyrinthe en mangeant son bol de nouilles ? La routine. Imaginer dans une paire de chaussures un être invisible avec lequel elle va discuter ? Rien de plus normal. Petite pile électrique bourrée d'imagination et déformant la réalité au gré de son inventivité tout enfantine, elle ne manque pas de provoquer diverses catastrophes autour d'elles, et emmène parfois dans son sillon ceux avec qui elle habite, Masaru (alias Marou) et Yukiko (renommée par ses soins Yukiki), qui ont bien du mal à la suivre !
Les folles aventures d'une gamine qui se fait une aventure ou un petite histoire à partir de tout et n'importe quoi. Avec ce simple synopsis, difficile de ne pas penser à Yotsuba&!, mais la comparaison s'arrête à peu près là, l'oeuvre de Yoshitoshi Abe étant beaucoup plus perchée... au risque de déstabiliser les lecteurs dans un premier temps. En effet, dans ce premier tome, l'auteur nous jette dans le bain dès le premier chapitre, et ne sort jamais d'un schéma spécifique : des chapitres très courts (plus ou moins dix pages) et indépendants, où Lucika commet à chaque fois une nouvelle facétie. Contrairement à Yotsuba&! ou toute la galerie de personnages autour de Yotsuba suit la fillette dans ses aventures, dans ce premier tome les deux seuls autres personnages sont très en retrait, pour l'instant on ne sait d'ailleurs pas précisément qui ils sont par rapport à Lucika (on cerne que Masaru semble être le grand frère, et c'est à peu près tout), et tout repose réellement sur les différents trips de la petite fille, trips qui vont parfois très loin, mais qui sonnent souvent juste. Sincèrement, qui, étant enfant, ne s'est jamais inventé un ami ou imaginé diverses choses en regardant son dîner ? Une chose est sûre : pour que les adultes adhèrent totalement, il faudra accepter de retomber en enfance, ce qui ne fait franchement pas de mal de temps en temps ! Quant à savoir si la série pourra plaire justement aux enfants, la question est délicate. Si certains trips sont très perchés, ils peuvent éventuellement parler aux enfants, d'autant que les délires et bêtises de la fillette sont vecteurs d'un humour simple très communicatif. Sans omettre le fait que les quelques références typiquement japonaises, comme le daruma, bénéficient de notes de traduction qui aideront les plus jeunes à s'y retrouver.
Visuellement, Yoshitoshi ABe troque ici ses habituelles nuances de couleurs sombres et ses personnages ultra précis pour un rendu plus coloré, sans être non plus tape à l'oeil. Les couleurs sont très variées, chaque chapitre bénéficiant d'ailleurs d'un coloris de fond spécifique, mais l'ensemble conserve des subtiles nuances pour garder un certain réalisme, surtout au niveau des décors et des deux personnages adolescents quand ils sont calmes. Au milieu de ce cadre, le design de Lucika ressort subtilement, sans jurer. Sa colorisation reste dans les mêmes tonalités, mais son design un peu plus relâché permet bon nombre de mimiques caricaturales très amusantes. La curiosité se lit parfaitement dans ses grands yeux ronds (il suffit de voir la couverture pour s'en convaincre), ses bouilles effrayées, souriantes ou colériques sont franchement amusantes dès qu'on s'y est habitué, et il n'en faut alors pas plus pour se laisser embarquer dans son univers farfelu.
En somme, Lucika Lucika est un trip, pas forcément facile d'accès au premier abord, et auquel tout le monde n'accrochera pas forcément, d'autant que le manque de présence des personnages secondaires et le format en très courts chapitres indépendants laissent interrogateur sur certaines choses (qui sont exactement Masaru et Yukiko par rapport à Lucika ? Et où sont ses parents ? ). Mais pour peu que l'on accepte d'entrer dans le jeu et de retomber en enfance aux côtés de Lucika, le plaisir de lecture semble assuré, d'autant qu'avoir enfin du Yoshitoshi sur papier en version française est un régal, l'artiste y renouvelant en plus joliment sont style sans le trahir.
Du côté de l'édition, la traduction de l'excellente Fédoua Lamodière fait des merveilles, les choix de polices sont très bons, le papier est de bonne qualité et la qualité d'impression est correcte, faisant notamment bien ressortir le travail de colorisation d'ABe. Au niveau du format, on a droit à quelque chose dans la veine de Chi et Roji, avec juste des rabats et une absence de jaquette.
Critique 2
Très attendu par chez nous, Lucika Lucika a fait parler de lui par le biais de son auteur qui bénéficie d’une belle renommée amplement méritée : Yoshitoshi Abe est connu pour être le créateur tant au niveau graphique qu’au scénario d’animés ayant marqués les esprits tels que Serial Experiment Lain, NieA 7 ou encore le superbe Ailes Grises !
Si le trait est ici plus léger et enfantin, on reconnaît immédiatement la patte de l’auteur qui n’a rien perdu de son talent au niveau du trait…pour ce qui est de ses talents de conteur…on y reviendra !
Lucika est une enfant un peu naïve, pleine de vie, véritable boule d’énergie qui se plait à s’inventer des histoires avec un rien. Avec elle tout devient prétexte pour se créer un monde imaginaire, souvent totalement farfelu, complètement barré, et parfois même inquiétant quand on est aussi jeune. Ainsi Lucika aime à se raconter des histoires qui la font rêver, la font rire, lui font peur, histoires que l’auteur partage avec le lecteur qui lui a plus de chances de rester de marbre !
Inévitablement on pense à Yotsuba en lisant ce titre. Le génial manga précité est un concentré de fraîcheur et de bonheur avec les délires de la jeune Yotsuba, un peu crétine mais tellement attachante. Ici Lucika, malgré ses délires, apparaît plus mature pour son âge mais malheureusement bien peu attachante. Ses délires, complètement barrés comme on l’a dit auparavant sont justement bien trop perchés pour que le lecteur puisse y adhérer systématiquement, et s’avère surtout bien peu crédible. Il faudra une bonne dose de « lacher prise », alors que dans Yotsuba tout se fait naturellement de la part du lecteur. Et c’est justement là que le bas blesse, ce qui fait défaut à Lucika, c’est la crédibilité de la chose. Là où Yotsuba nous fait rire avec la naïveté d’une enfant de cinq ans avec ses bêtises qui pourrait nous renvoyer aux enfants du même age qu’on connaît ou que nous étions, Lucika nous entraîne dans des univers trop psychédéliques pour qu’on y retrouve des jeux imaginaires d’enfants. La voir se créer un labyrinthe de nouilles devant son bol passe encore mais la voir transformer une simple addition en scène de crime reste un peu excessif.
Avant de retrouver la naïveté d’une jeune enfant on retrouve surtout les délires d’un auteur de génie mais qui lui se crée des mondes un peu dérangeant et fantasmatiques à la manière de Serial Experiment Lain…les délires de Lucika sont avant tout les siens !
Ainsi Lucika perd toute crédibilité d’enfant lorsqu’elle emploie des mots qui ne devraient pas appartenir au vocabulaire d’une enfant ce cet âge là (il est difficile de dire si cela vient de la traduction ou pas) : ainsi des mots comme « décompresser » ou « mélodie » qui apparaissent simpliste pour les lecteurs que nous sommes ne devraient pas sortir de la bouche d’une enfant de cet âge.
Et d’ailleurs quel âge a t-elle ? Et qui sont Mamoru et Yukiko ? Ses frères et sœurs ? Ou sont ses parents ? L’auteur nous lâche au milieu de rien, au lecteur de se créer son monde un peu à la manière de Lucika…on adhère ou pas, mais cela reste une approche très particulière.
Au final on ne sait pas trop à qui s’adresse ce titre…certainement pas aux plus jeunes qui risquent de passer totalement à coté des délires de Lucika et ne pas comprendre grand chose, mais est ce que ce titre s’adresse véritablement aux adultes tant l’ensemble demeure tout de même très enfantin ?
On ne sait pas non plus trop quoi penser de ce titre qui d’une certaine manière se montre original et possède une certaine fraîcheur mais qui s’avère beaucoup trop perché pour qu’on soit sur d’y adhérer. Clairement, ceux qui s’attendait à un Yotsuba bis risquent d’être surpris, à eux de voir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise surprise.