Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 09 Février 2024
Moto Hagio fait partie de ces grands noms du manga qui n'ont malheureusement eu que trop peu de place dans nos contrées. À l'instar de Shôtarô Ishinomori, la mangaka s'est faite rare chez nous, avec seulement quelques publications très ponctuelles, comme l'anthologie des éditions Glénat ou "Le cœur de Thomas" chez Kazé. Heureusement, depuis l'année dernière, Akata corrige ce manque culturel.
Si l'éditeur a entamé la parution des grandes œuvres de l'artiste avec sa collection Héritages, notamment avec "Le Clan des Poe" et "Barbara : l'entre-deux-mondes", il pense aussi au plus grand public, et a publié en ce début d'année 2024 un titre assez unique de l'artiste : "Leo". Car dans la vie de Moto Hagio, il y a certes le manga, mais il y aussi ses chats. C'est en s'inspirant de l'un d'eux que lui est venue l'idée de cette série d'histoires dont la parution s'est étalée entre 2008 et 2012 au Japon, dans la revue Flowers. En juillet 2012, lors de sa venue très discrète à Japan Expo, l'artiste avait même proposé une version auto-éditée de son manga, dans un texte bilingue japonais et français. L'édition que nous propose cette fois Akata compile 8 des 12 histoires autour de Leo, sachant que certaines présentes dans la version auto-éditée ne le sont pas dans l'édition d'Akata, et vice versa.
Leo, c'est un petit chat qui ne demande pas grand-chose, si ce n'est jouer à la balle et déguster des plats gourmands. Avec sa maman humaine, il ne semble manquer de rien, mais il ne dit jamais non quand de nouvelles opportunités se présentent à lui. Aller à l'école pour manger des flans à la cantine, aider une amie mangaka en faisant l'assistant, tenter de percer au cinéma... Leo fait de son mieux aux côtés des humains, mais il a parfois du mal à les comprendre. Pas facile d'être un chat dans la société humaine !
Le plus souvent dans les mangas félins, la figure du chat est établie comme un animal domestique, mignon, qui ne communique pas directement avec ses maîtres étant donné la barrière de la communication. Tout repose généralement sur ce langage inexistant, dans des moments du quotidien grandement inspirés de la vie que les mangakas ont eux-mêmes eus avec leurs matous.
Mais la formule que nous propose Moto Hagio est bien différente. Leo reste un animal de compagnie, mais il est doué de parole et peut se tenir sur ses deux jambes, ce qui lui permet d'entrer directement en communication avec le monde humain et ne pas rester à sa place de chat domestique. Il en est d'ailleurs de même pour tous les personnages félins de la série, ce qui permet à la mangaka de les insérer directement dans notre monde humain, et de se questionner sur les possibles réactions de ces matous dans notre société très codifiée et où rien n'est jamais simple. L'humain ne sait pas faire simple, et le pauvre Leo va le découvrir à ses dépens au cours de plusieurs histoires !
"Leo" repose donc sur la dichotomie entre la simplicité de ce petit protagoniste animal et les exigences des adultes. En variant les situations, Moto Hagio développe moult idées pour placer Leo face à diverses difficultés, rendant le récit aussi drôle qu'émouvant. Car si l'idée est de créer du décalage par ces nombreuses situations ubuesques, il est difficile de ne pas se prendre d'affection pour le petit Leo qui a bien du mal à nous comprendre nous, humains. L'autrice joue d'ailleurs sur ce tableau pour rendre son protagoniste particulièrement touchant, si bien que ses réactions d'incompréhension et de détresse ont parfois de quoi nous serrer le cœur. L'ouvrage n'y va pas de main morte à ce sujet, le premier chapitre dédié à l'école primaire enchaînant les moments de pure incompréhension pour notre félin qui ne demandait qu'à jouer à la balle et manger des flans, et pas qu'on lui interdise à faire sa toilette en cour...
De nombreuses émotions s'entremêlent donc dans ce qui n'est pourtant qu'un manga animalier comme beaucoup d'autres. C'est par sa formule, ses tonalités et son attachant protagoniste que Moto Hagio propose son propre manga félin, un titre qui revisite le genre avec beaucoup d'idées, dans un résultat qui dresse aussi un certain constat sur notre société ultra codifiée et aux mœurs exigeantes. À noter que le titre vient aussi apporter une certaine fraîcheur pour son absence de conflits entre parent et enfant, chose assez rare dans les mangas de Moto Hagio. Leo aime sa maman et inversement, ce qui en fait une œuvre chaleureuse du registre de l'artiste !
Côté édition, soulignons le très joli travail de fabrication des éditions Akata, via un petit ouvrage à la couverture mate mais appuyée d'un vernis sélectif épais donnant beaucoup de relief aux éléments visuels de l'illustration. Alexandre Goy signe un texte français d'une grande sincérité, appuyant les diverses émotions du tendre Leo, tandis qu'Audrey Martor propose un lettrage bien calibré.