Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 29 Octobre 2010
Eric Corbeyran n'en est pas à son coup d'essai avec les artistes coréens puisqu'on avait déjà eu l'occasion de découvrir l'excellent Première neige voici quelques temps. Cette fois-ci, le scénariste français nous revient avec un nouveau partenaire encore inconnu par chez nous mais, vu son talent, cela ne devrait guère durer.
Louis Levasseur est un écrivain qui a passé la quarantaine et à qui plus grand chose ne réussit. Criblé de dettes, il vit dans un petit appartement minable en cherchant désespérément l'inspiration pour son prochain bouquin. Et ce, depuis des années. Le déclic se fera alors qu'il ramasse maladroitement le contenu d'une poubelle devant chez lui. Il y trouve, en effet, le journal intime d'une jeune femme prénommée Léa qui vivait jusqu'à ce qu'il y a peu dans le même immeuble que lui. En lisant ce journal, il se rend compte que Léa souffrait d'un mal bien étrange: elle était incapable de faire fonctionner le moindre appareil ménager ! Voila le point de départ que notre héros recherchait pour son nouveau roman...
D'emblée, Corbeyran nous séduit grâce à son style toujours aussi soigné et efficace. Il n'y a pas à dire, quand c'est bien écrit, la différence est tout de suite palpable. De plus, le scénariste découpe son récit de manière très intelligente. Prenant d'abord le temps de nous familiariser avec Levasseur, il s'attache ensuite à nous faire voyager entre le quotidien de ce dernier et celui de Léa, toujours en gardant une fluidité irréprochable et en développant peu à peu son propos. Il décrit les rapports humains, le comportement mécanique et faussement attentif des gens qui nous entourent avec précision et savoir-faire. En point d'orgue, on retrouve évidemment le duo que forme Léa et son mari, Xavier. A l'instar de Première neige, on se trouve en présence d'une jeune femme qui a du mal à s'affirmer et qui ne parvient pas à tenir tête à son conjoint. Celui-ci ne lui prêtant qu'un minimum d'attention et la traitant davantage comme un objet qu'autre chose. Il ne considère pas le fait qu'elle puisse avoir envie de travailler elle aussi, qu'elle se sente mal dans sa peau.
Par la suite, une fois que Louis aura connu la réussite grâce à son roman, ce sont d'autres sujets qui seront traités. Autopsie d'un succès brutal et des conséquences sur la vie du principal intéressé dans un premier temps et, une fois que l'écrivain aura rencontré celle qui l'a fait, bien involontairement, devenir célèbre, un tout autre problème récurrent et tragique de notre société mais dont je ne parlerais pas ici, tant cela gâcherait la surprise lors de la lecture. Une chose est en tout cas certaine, les auteurs auront mené leur histoire de main de maitre afin de nous surprendre et faire passer de manière d'autant plus efficace leur message. Si, à première vue, on pourrait voir en cette amnésie singulière de Léa une trouvaille certes originale mais surtout assez saugrenue, tout est en réalité parfaitement réfléchi.
Le seule petit point noir au niveau de l'intrigue se situe entre le moment où Louis rencontre Léa et celui où il apprend la vérité à son sujet. Leur relation évolue vite, de manière un peu maladroite, pas forcément très convaincante. Néanmoins, si cela gène lorsque l'on est plongé dans l'ouvrage, on se rend compte par la suite que ce n'est pas là que se trouve le principal intérêt du titre.
Au niveau du dessin, Gwangjo ne met pas longtemps à convaincre. Entièrement crayonné, le rendu se marie excellemment bien avec l'univers dépeint. Réaliste, le trait place au premier plan les éléments importants tout en occultant parfois les décors afin de renforcer la solitude qui pèse sur les différents personnages. Il n'hésite pas à utiliser des pages entières pour un seul croquis, à faire varier son style pour retransmettre au mieux le ressenti des protagonistes et l'ambiance, souvent très froide, qui plane autour d'eux.
L'édition de Dargaud se montre de bonne qualité. Le livre n'est pas spécialement épais mais bénéficie d'une couverture cartonnée soignée et de papier de bonne qualité.
Corbeyran et Gwangjo nous livrent ici un récit à la fois intimiste et universel qui gagne en ampleur au fil du temps. Porté par un graphisme soigné, voici un rappel que la réalité est souvent bien moins rayonnante que la fiction et que tous les échappatoires, aussi improbables soient-ils, sont bons à prendre lorsque l'espoir n'est plus permis.