Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 15 Février 2024
Alors que Renge, fille de la défunte Ayame, s'apprête à prendre ses fonctions de cheffe du village au sein de son palais, la situation au sein du bourg isolé vire petit à petit à la psychose. D'un côté, Sutekichi, bien que gravement blessé, a capturé l'enfant monstrueuse qui avait attaqué le cortège funéraire d'Ayame et qui n'est autre qu'Anne, sa propre fille qu'il avait abandonnée en sacrifice aux Kamis quand elle était toute petite. Enfermée, la petite fille est désormais vouée à être exécutée. De l'autre côté, Ann, la jumelle épargnée, s'est envolée en s'accrochant aux pattes d'un milan noir, guidée par l'énigmatique Kazune avec qui elle a entrevu le fameux "Autre Monde", celui-là même dont on dit qu'il est réservé aux mort mais qui, en réalité, s'avère être tout autre chose.
A partir de ces deux événements voués à se rejoindre, Kazumi Yamashita commence à sérieusement emballer son récit, après un épais premier volume d'introduction particulièrement immersif et intrigant. Et ici, l'un des enjeux principaux est clairement, pour la mangaka, de commencer à faire ressortir toute les tares de la condition humaine. Face à la situation, la part sombre des villageois explose, en étant principalement nourrie par la peur que suscite en eux les quatre Kamis, leurs propres divinités auxquelles ils se sont toujours pliés. La crainte de provoquer leur colère à cause des interdits bravés par Ann entre autres, leurs peurs diverses dictées par leurs croyances, leur besoin de trouver à tout prix un coupable à exécuter, sont autant d'éléments montrant en eux une psychose confinant à la folie et conditionnée par les règles strictes qu'ils suivent depuis toujours, un peu à l'image d'une secte. Avec, en point d'orgue, le cas de Mari dans une fin de tome intense: elle qui a toujours respecté soigneusement les règles comme une villageoise modèle, la voici elle-même mise face aux absurdités de ces règles, en la poussant à lâcher quelques mots lourds de sens: les humains sont décidément bien pathétiques.
Cependant, la mangaka ne s'arrête pas à cela, bien sûr, et entretient efficacement nos attentes autour de différents personnages qui, parfois, se retrouvent bousculés dans leurs convictions. Il y a bien sûr la situation dans laquelle se retrouve Mari, comme déjà dit, mais on pense aussi au cas du jeune Heita, aux incertitudes sur Sutekichi, à l'énigme persistante sur le cas de Kazune, à la clique de personnages masqués entourant Renge... sans oublier le cas de nos deux héroïnes, jumelles à la fois connectées et opposées par la force du cruel destin qu'on a décidé pour elles. Et même si l'on suit avec intérêt les quelques tourments d'Ann après avoir entrevu l'autre monde (ce qu'elle espère y trouver, son sentiment de culpabilité après ce qu'elle a fait) ainsi que l'émancipation qui risque d'en découler, c'est surtout le petit travail fait sur l'enfant sauvage Ann qui interpelle le plus, puisque l'on découvre dans les grandes lignes ses années passées dans le groupe de Ginji "entre les deux mondes", avec ce qu'il faut de moments difficiles expliquant sa haine pour ce monde, mais aussi d'éléments étonnants faisant bien sentir qu'elle n'est pas comme les autres.
Au bout de ce deuxième tome de plus de 280 pages nous laissant une nouvelle fois sur un cliffhanger particulièrement prenant et tendu, la mangaka affirme plutôt bien les qualités de son récit. On a hâte de voir ce qui attend les captivantes jumelles et leur entourage, dans cet univers teinté de croyances obscures et de mysticisme, où les grandes silhouettes des quatre Kamis perchés en haut des montagnes semblent exercer en permanence leur emprise...