Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 03 Février 2015
Lyéen, Nokuaki Kanazawa reçoit, en pleine nuit, un message stipulant que deux élèves de sa classe doivent s’embrasser. L’expéditeur du SMS se présente comme le « Roi » et invite la classe à un King’s Game dont nul ne peut se soustraire. L’assemblée croit d’abord à une farce et s’amuse sur les premiers gages presque innocents, mais progressivement, tous se rendent compte de l’horreur : ceux qui faillissent aux ordres du Roi meurent. Respecter le jeu et découvrir l’identité du meneur, voici ce que tenteront de découvrir les élèves. Mais plus la partie progresse et plus les cadavres s’accumulent, de même que la classe éclate progressivement. Nobuaki et ses amis plongent, contre leur gré, en enfer…
On connaît bien la saga King’s Game, manga découpé en plusieurs saisons publié depuis 2013 et dont le troisième chapitre est sur le point de paraître. A l’origine, il s’agit d’un roman que les Japonais ont pu lire par leurs téléphones portables avant de paraître sous forme de livres. Et rapidement, la saga en cinq volumes de Nobuaki Kanazawa est devenue un phénomène de société, si bien qu’une adaptation cinématographique vit le jour, bien qu’elle n’adapte que le premier des cinq livres. Quant au manga, le système est simple : chaque saison de cinq volumes adapte un roman.
L’histoire ne change pas vraiment par rapport au manga et propose la descente du jeune Nobuaki et de sa classe en enfer lorsque débute le King’s Game, à l’origine un simple jeu populaire pratiqué par les jeunes en soirée, mais qui vire à l’horreur lorsque ceux qui n’accomplissent pas les ordres sont voués à mourir de manière aussi mystérieuse que sanguinolente. Le charme du récit vient alors du mélange entre mystère et horreur, car deux intrigues se superposent. D’abord, il y a évidemment l’enquête sur l’identité du Roi qui est souvent présent, mais qu’elle ne s’illustre véritablement que vers la fin du roman, mais à ceci s’ajoute la manière dont la classe de Nobuaki tentera de survivre, par tous les moyens. Et dans cette optique, l’auteur dresse habilement le portrait de l’Homme en décortiquant les différentes réactions des participants au jeu. Il y a certes ceux qui se sacrifieront avec noblesse, mais aussi ceux qui enverront les autres à la mort pour se protéger eux et ceux qui leur sont chers, voire certains qui feront preuve d’indifférence face aux terribles évènements. Il n’en faut pas tellement plus pour nous captiver tant la recette est simple et efficace, et l’intrigue rondement menée. Dans son style et sa narration, l’écrivain nous conforte dans l’idée qu’il sait où il va et comment il doit découper son récit. C’est d’autant plus évident que nombre d’éléments sont reliés entre eux et tombent sous le sens. Certains diffèrent même des éléments du manga ou sont alors « inédits », un terme curieux quand on sait que c’est le roman qui a engendré le manga et non l’inverse. Nous nous retrouvons ainsi avec une intrigue qui, dès la seconde partie du récit, sait évoluer progressivement et ne se contente pas d’apporter toutes ses révélations en une seule fois.
King’s Game marque une certaine psychologie, plus que dans la monture manga. En effet, le système de narration permet, à l’instar de Battle Royale, de développer un minimum chaque élève de la classe, en explicitant son passé ou bien sa manière de penser. Au final, la version d’origine nous permet de nous attacher à chaque participant du Jeu du Roi, mais pas que. On assiste ainsi au développement de portraits divers et variés qui, comme dits plus hauts, peuvent constituer différents pans de la psychologie humaine. Chaque individu ne réagit pas au jeu de la même manière que ses congénères, et c’est bien ce qu’il est intéressant de constater puisque ces appréhensions affectent le relationnel entre les uns et les autres, ce qui jouera bien évidemment sur la mentalité de Nobuaki qui parvient à respecter le schéma du héros classique en se détachant parfois de ce rôle. Le protagoniste cherche ainsi une issue au jeu et à sauver tous ses camarades, mais être le héros de l’œuvre ne suffit pas et c’est rapidement que Nobuaki se montrera dépassé par les évènements, qu’il lui arrivera de fléchir voir de faire des choix diaboliques pour protéger son cercle d’amis. L’écrivain parvient ainsi à faire le juste milieu entre le héros idéal et l’humain qui ne peut porter toute la situation sur ses épaules et qui est même doté d’une part sinistre.
Parler du travail d’adaptation du manga en ces lignes n’est pas un choix maladroit puisque le roman apporte son lot d’innovations quand on passe d’abord par la version proposée par Ki-oon. Le livre d’origine est ainsi plus sombre, déjà parce qu’il développe davantage la psychologie des personnages, mais aussi parce que certains de ses choix sont édulcorés dans la première saison du manga. L’impact sur le lecteur est efficace puisque celui-ci est parfois pris à contrepied et lui qui pensait avoir affaire à deux versions conformes, voilà que le roman chamboule sa vision de l’œuvre, faisant que le lecteur ne sait plus forcément à quoi s’attendre quant au récit. Dans cette optique, on soulèvera l’apparition d’éléments scénaristiques nouveaux, et importants. De même que les dernières révélations, celles qui ont fait débat lors de la parution du dernier tome de la saison 1 du manga, sont traitées de manière différente si bien que nous ne leur accordons plus autant d’importance et qu’on s’attend bien à voir ces différentes pistes développées dans le tome suivant du roman. Lire cette version d’origine a donc un véritable intérêt et ne fait que bonifier la vision que l’on avait déjà de l’œuvre, ce qui permet alors de savourer aussi bien le manga que la monture littéraire sans avoir cette impression de redite totale.
King’s Game est un roman ciblant les adolescents, les jeunes adultes ou tout simplement ceux qui aiment les intrigues horrifiques simples et efficaces. Le style de Nobuaki Kanazawa (qui a d’ailleurs donné son nom au protagoniste de son œuvre) est assez simple dans le sens où il fait un juste milieu entre les phases de narration, souvent courtes, et les dialogues qui sont très présents. Cela donne une dynamique à la série, ce qui est d’autant plus efficace que le roman était à l’origine diffusé sur les téléphones portables. Le rythme est donc soutenu par ce style, si bien que lâcher son volume est parfois chose difficile et que la lecture se fait en un temps record. Gageons toutefois que lorsque l’écrivain s’attarde sur des phases de narration et de description, ce qui a notamment lieu vers la fin de l’œuvre, il sait entretenir un style agréable à lire, très imagé par moment, si bien que nous n’aurions peut-être pas dit non à un tome plus dense pour davantage de séquences narratives.
L’édition française nous est proposée par Lumen, un jeune éditeur de littérature fantastique à destination d’un lectorat jeune qui prend plaisir à visiter différents univers. Il s’est par exemple attardé sur quelques déclinaisons de la saga Final Fantasy, et l’univers nippon nous revient maintenant à travers le phénomène King’s Game, un roman que nous ne pensions pas voir sur le sol français, mais qui nous est finalement rendu accessible. Lumen nous propose ainsi un livre grand format de près de 400 pages pour un tarif très honnête. Le livre fait ainsi office de bel objet qui bénéficie d’une couverture au visuel inédit qui sait présenter d’entrée de jeu l’ambiance de l’œuvre. Le seul défaut constitue les rares coquilles qui se sont glissées dans les pages de l’ouvrage, mais globalement, ce jeune éditeur nous livre une excellente copie.
Bilan très positif, donc, pour ce premier volet. Roman d’angoisse rythmé et efficace grâce à son intrigue teintée de mystère et ses rebondissements incessants, King’s Game constitue une lecture captivante, et ce même si on est déjà passé par la case « manga » au préalable. Gageons que l’histoire se développera sur quatre volumes supplémentaires et, fort heureusement, le second est déjà disponible pour prolonger l’horreur un peu plus longtemps.