Jusqu'à ce que je te tue Vol.1 - Actualité manga

Jusqu'à ce que je te tue Vol.1 : Critiques

Boku ga Kimi wo Korosu made

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 26 Octobre 2021

Le yaoi est un genre assez libre, capable d'offrir régulièrement des pitchs originaux et atypiques entre deux romances plus "communes", et la collection Hana Book des éditions Hana semble encore devoir nous le prouver avec la publication, en juin dernier, d'une série en deux volumes dont le sujet ne manquera pas de dérouter une part du lectorat. Prépubliée au Japon en 2020 dans le magazine Reijin des éditions Takeshobo sous le titre Boku ga Kimi wo Korosu made (dont le nom français est une traduction littérale), la série en deux tomes Jusqu'à ce que je te tue est la toute première publication française de Yukio Yanagisawa, un mangaka en activité depuis environ 10 ans, et qui est également connu au Japon sous le nom de Yuushi Tsuchida pour ses manga non-BL.

Ce récit nous plonge dans le Japon contemporain, où toutefois une nouvelle loi sur la peine de mort est passée depuis plusieurs années: celle-ci condamne les meurtriers à être exécutés exactement de la même manière que leur victime par un bourreau désigné. Cela fait 10 ans que cette loi a été renouvelée, et trois ans après l'application de cette loi une "reconstitution des faits" a été mise en place. Mais en guise de reconstitution, il s'agit en réalité d'un véritable spectacle retransmis à la télévision et connaissant un vif succès: dans une fausse ville reconstruite sous terre, le meurtrier, qui n'est pas forcément censé savoir où il est ni qu'il est filmé H24 mais peut le deviner, voit les grandes lignes de sa situation d'avant-meurtre reconstituées, avec nombre de figurants et de policiers camouflés en civils pour surveiller tout ça, et il vit dans ce cadre jusqu'au jour où il sera exécuté. Bénéficiant même d'un scénariste attitré qui en écrit les grandes lignes jour après jour en essayant de la pimenter, l'émission passionne les fans. En somme, on a une télé-réalité quelque part assez sordide et dérangeante puisqu'elle implique des criminels et des morts (mais quand on voit la gueule de certaines télé-réalités actuelles, qui sait, peut-être qu'un truc pareil arrivera vraiment un jour...). Il s'agit d'une sorte de Truman Show qui aurait level up dans le malaise, et c'est donc dans ce cadre monté de toutes pièces que l'on va suivre le dernier criminel du pays.

En effet, le principe de cette nouvelle loi est tel que, depuis son instauration, elle a fortement fait diminuer le nombre de crimes. Le dénommé Kaoru Oda, beau jeune homme semblant si doux qu'il a même des fan clubs dédiés (les jeunes fans parlent de lui comme d'un prince, okay), est le dernier condamné à mort du pays, en étant coupable de deux meurtres: l'un par accident quand il était encore enquêteur, et l'autre où il a vraisemblablement tué son petit ami Junichi Watase en l'étranglant. L'homme est donc voué à être lui-même exécuté par strangulation le moment venu, et la sinistre tâche a été confiée à Kohei Mizutani, un simple gardien de prison qui a été sélectionné simplement parce que sa taille est similaire à celle du défunt Junichi. En effet, l'autre aspect de cette loi/émission de divertissement, il consiste en l'obligation, pour Kohei, de jouer auprès du condamné le rôle de Junichi...

Vous l'aurez compris, Yukio Yanagisawa nous propose là un univers qui sort largement des sentiers battus, et qui semble tout d'abord vouloir pousser à l'extrême les dérives des divertissements type télé-réalité pour peut-être mieux les critiquer, à travers un concept qui aurait pu être très casse-gueule ici, qui peut apparaître hautement improbable (après tout, le criminel n'est pas obligé de jouer le jeu et pourrait déraper), mais qui est globalement bien pensé (on en découvre toute la rigueur au fil des pages) et qui s'avère suffisamment crédible dans la diégèse de l'oeuvre.

Et c'est donc dans ce cadre que l'on suit deux personnages principaux eux-mêmes atypiques car pris dans la spirale de cette loi/émission: d'un côté le fameux meurtrier Kaoru Oda, et de l'autre Kohei Mizutani, contraint de jouer le rôle du défunt Junichi Watase jusqu'au jour où il devra étrangler et tuer Oda. On suit avec intérêt les deux hommes, leurs interactions, l'évolution de leur relation... et petit à petit, en même temps que Kohei, on le sent bien: quelque chose cloche avec Oda. L'homme n'a pas tant que ça le caractère d'un meurtrier, apparaît bien souvent très calme mais également désespéré, semble surtout attendre patiemment de pouvoir rejoindre Junichi, l'homme qu'il aimait, dans l'au-delà... Alors, comment un tel homme aurait-i pu commettre un meurtres ? Quelles ont été les circonstances de la mort de Junichi ? La "reconstitution des faits" télévisuelle pourra-t-elle répondre à ça ? Petit à petit, c'est surtout sur un plan plus personnel que Kohei a envie d'en découvrir plus: il se rapproche d'Oda de façon plus sincère, tente de comprendre ce qu’il peut bien cacher... et cela nous promet un deuxième et dernier volume plus prenant encore.

Car prenant, le récit l'est assurément, tant sa narration est immersive. Qui plus est, Yukio Yanagisawa livre un travail visuel véritablement beau, qui sort volontiers des plus gros carcans du yaoi pour offrir avant tout un trait assez épais, ancré et mature qui donne plus à l'oeuvre des allures de thriller. En plus de ça, c'est très précis, riche autant dans les visages que dans les décors, bourré de petites idées de mise en scène exploitant très bien un découpage de case généralement assez classiques... Du très bon travail, tout simplement.

Après cette première moitié de série, il est alors assez difficile de ne pas avoir envie de découvrir la suite et fin, dans le prochain volume, de ce récit au concept volontairement déstabilisant, au croisement de différents genres entre le yaoi (très, très soft dans ce tome 1), le drame, le thriller et le portrait critique de certaines dérives.

Et côté édition, c'est du bon: la traduction d'Angélique Mariet est efficace, le papier est bien épais et sans transparence, l'impression est très bonne, et la première page en couleurs est appréciable.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction