Jun Mayuzuki Anthologie 2007-2017 - Actualité manga
Jun Mayuzuki Anthologie 2007-2017 - Manga

Jun Mayuzuki Anthologie 2007-2017 : Critiques

Sayonara Daisy

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 26 Janvier 2023

En seulement deux magnifiques séries emblématiques que sont Après la pluie et Kowloon Generic Romance, Jun Mayuzuki s'est assurément imposée comme une mangaka phare de la collection Big Kana des éditions Kana, jusqu'à même avoir été sollicitée pour concevoir, l'année dernière, l'une des affiches (somptueuse) du Festival International de la Bande Dessine d'Angoulême 2022. En plus d'avoir été joliment retranscrite en anime, la subtilité visuelle poétique d'Après la pluie a su charmer nombre de fans, avant que l'autrice ne récidive avec la maestria graphique et le mélange de tons de Kowloon Generic Romance, meilleure nouveauté manga de 2021 en France selon votre serviteur. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir Kana, éditeur généralement fidèle à ses auteurs de coeur, continuer son exploration de la jeune carrière de l'artiste en publiant en France, en ce mois de janvier 2023, son tout premier recueil d'histoires courtes !


De son nom original Sayonara Daisy (du nom de la dernière histoire du recueil qui est aussi la toute première publication professionnelle de Mayuzuki), cet ouvrage de plus de 270 pages est sobrement renommé dans notre pays "Jun Mayuzuki Anthologie: 2007-2017" (on ne peut pas faire plus clair), et regroupe six récits d'un, deux ou trois chapitres que la mangaka a conçues pendant la première décennie de sa carrière. Et l'on peut y suivre différents moments de vie de personnages se retrouvant à un moment important de leur vie.


Ici, un homme incapable de garder bien longtemps un petit boulot se met à fricoter avec une jolie jeune femme, jusqu'à découvrir que celle-ci cache un petit quelque chose en plus, mais il se sent si bien en sa compagnie que ses sentiments et convictions sont hésitants, alors saura-t-il voir au-delà de l'apparence pour comprendre ce qui est vraiment important ? Là, une femme médiatisée aux convictions féministes complexe pourtant beaucoup sur le plan sexuel en n'ayant jamais été capable d'avoir d'orgasme, mais pour quelle raison ? Une peur de l'acte sexuel ? La nullité de ses partenaires ? Pourra-t-elle y changer quelque chose avec ce voisin du dessous, qui l'attire étonnamment alors qu'il s'agit d'un gars mûr, banal et peu avenant ? On suivra ensuite une jeune employée maladroite et un peu obsessionnelle (mais pas méchante pour un sou) qui peine à communiquer normalement ses sentiments envers son crush, une jeune fille qui voit son couple s'user mais qui trouve une forme de réconfort chez sa voisine artiste qui risque de dévoiler sa vraie "elle", une serveuse adepte des forums coquins où elle poste des photos anonymes d'elle pour se sentir désirée tandis que son pseudo "couple" bat de l'aile, et une sorcière optimiste et persévérante qui va voir son premier grand amour mis à l'épreuve par la distance, le temps et la futilité masculine.


Chacun de ces récits témoigne de facettes différentes de Jun Mayuzuki: là où la mangaka propose en premier lieu dans ses séries longues un énorme travail de découpage, de graphisme, de rythme, où l'on est constamment guidé par la maestria de sa narration visuelle pour mieux profiter de chaque moment, dans ses histoires courtes elle affiche un côté plus direct, jusque dans certains moments érotiques et certains textes un peu crus, ce qui fait que la mention "pour public averti" en quatrième de couverture n'est pas exagérée. Et cela, même si l'on distingue déjà régulièrement ses dons caractéristiques pour les découpages (à l'image de la scène avec les lunettes dans "Fraîcheur psychédélique"). Et cette différence de ton et de rythme par rapport à ses séries longues n'est évidemment pas du tout gratuite: elle permet d'aborder de façon frontale les personnages, jusqu'à réellement mettre à nu leurs tourments, leurs doutes, leur caractère. Et à travers ces figures variées généralement féminines mais pas que, généralement adultes mais pas que, Mayuzuki partage pas mal de réflexions sur ce qui nous entoure dans la société de tous les jours: la transidentité, le féminisme, le sentiment que les efforts ne paient pas, la définition du bonheur qui est forcément propre à chaque être, la complexité d'être soi-même et de ne pas se sentir vide, la difficulté de jauger sa valeur notamment en tant que femme... Et à plusieurs reprises, ce sont particulièrement les relations de couple homme/femme qui sont abordées, à travers le regard des personnages féminins: l'une a vu son couple s'enfermer dans une routine où elle semble désormais juste bonne à préparer les repas pour un copain pas communicatif, l'autre va devoir oser mettre fin à une relation qui n'a rien d'amoureuse avant que tous deux ne s'y enlisent trop, une autre encore va devoir faire face à l'inconstance masculine... sans oublier la relation transgenre et le cas de cette femme ayant besoin d'une relation où elle pourra s'épanouir sexuellement pour briser le complexe dans lequel elle est prise. On remarquera donc que Mayuzuki n'hésite pas à briser différents tabous féminins, qui le sont moins ces dernières années mais qui peuvent encore perdurer, ce qui rend ses histoires assez "avant-gardistes" et résolument actuelles quand on pense que certaines datent d'il y a plus de dix ans.


Enfin, quelques mots sur l'édition française, qui change un peu de la version japonaise puisque Kana, pour mieux coller au contenu de cette anthologie, a imaginé ne jaquette inédite plus chorale et plus mature, donnant une idée un peu plus nette de ce qui nous attend, là où la jaquette japonaise est certes magnifique mais moins parlante. Mais pas de frustration pour autant, puisque celles et ceux préférant la jaquette originale auront la bonne surprise de la retrouver au verso ! A part ça, il y aura quelques petits regrets découlant sans doute de l'édition japonaise: il n'y a aucune postface détaillée de la mangaka (ce qui aurait été top pour connaître ses envies et états d'esprits selon les récits), et ni les magazines de prépublication des histoires ni leurs dates ne sont indiquées. Sur ce dernier point, une petite recherche rapide sur le net permet d'apprendre que les six histoires datent respectivement de 2008, 2012, 2009-2011, 2017, 2014 et 2007. Pour le reste, le format standard de la collection Big Kana permet de ranger l'anthologie aux côtés des autres oeuvres de l'autrice, le papier fin mais peu transparent permet ne qualité d'impression honnête sans être exceptionnelle, la traduction de Misato Raillard est dans l'ensemble convaincante et assez mûre (loin du côté parfois trop mièvre et peu naturel de certaines de ses traductions de shôjo), et le travail de lettrage est suffisamment convaincant même si certaines pages pourront paraître un peu surchargées à cause des onomatopées sous-titrées.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs