Joker of Destiny Vol.1 : Critiques

Kami-sama no Joker

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 10 Février 2023

Voici déjà un paquet d'années, plus précisément depuis le lancement français du manga My Girl en 2010, que l'on est particulièrement fan de la mangaka Mizu Sahara et de son style doux et sensible immédiatement reconnaissable, si bien qu'on la retrouve toujours avec beaucoup de plaisir quand l'une de ses oeuvres débarque dans notre langue. En ce mois de février, c'est du côté de Pika Edition que l'artiste revient, avec une série en trois volumes qui n'est pas forcément parmi ses plus connues: Kamisama no Joker, alias Joker of Destiny dans notre pays, une oeuvre qui a été prépubliée au Japon dans le magazine Evening des éditions Kôdansha en 2015-2016.

Pour cette série, Mizu Sahara met en images un scénario signé Michiharu Kusunoki, mangaka vétéran dont la carrière dure depuis le tout début des années 1980, qui était jusqu'à présent inédit en France, et qui a surtout acquis une belle popularité dans les années 1990 avec son manga-fleuve en 42 tomes Wangan Midnight, auquel il a ensuite offert quelques suites/spin-off. L'histoire de Joker of Destiny a pourtant été imaginée avant le début de carrière professionnelle de Kusunoki: dès 1979, il avait conçu et dessiné ce récit pour le proposer à un éditeur qui ne lui donna jamais de réponse. Plus de 35 ans plus tard, c'est Mizu Sahara qui en a hérité pour le dessiner, en ayant quasiment carte blanche pour le mettre en scène comme elle le voulait et pour piocher ce qui l'intéressait dans la version non-publiée d'origine.

Dans Joker of Destiny, on commence par suivre Kiwa Ogata, garçon en fin d'études, qui tâche de s'activer pour trouver un emploi, mais qui est refusé partout. Alors pour l'instant, il vivote grâce au petit boulot à temps partiel qu'il occupe depuis déjà un bon moment dans une bouquinerie. Le jeune homme a néanmoins la fâcheuse tendance à se montrer pessimiste sur une possible embauche, au grand dam de la fille qu'il aime, Mahiro, qui était son aînée d'un an à la fac, avec qui il est en couple depuis trois ans, et qui semble bien mieux réussir que lui en ayant été embauchée au service marketing d'une grande maison d'édition.

Cette situation compliquée pourrait s'arrêter là, en ressemblant finalement à ce que beaucoup de jeunes adultes peuvent vivre à l'heure où il faut entrer pleinement dans la vie active. Mais dans le cas de Kiwa, il y a une donnée supplémentaire étonnante, qui explique en partie son pessimisme: depuis qu'il a l'âge de dix ans, il a remarqué que, quand il prie très fort pour qu'un de ses voeux se réalise, celui-ci s'accomplit vraiment, mais non sans une contrepartie qui arrive généralement dans la foulée et qui a un lien avec lui. Au fil du temps et des quelques voeux qu'il a osé faire, il a vu son vélo se faire voler, son chien mourir, son père se blesser... si bien qu'il vit désormais plutôt cette capacité comme une malédiction qu'il refuse d'utiliser à nouveau. Mais lorsque, dans le fil d'une conversation animée, il se confier à Mahiro sur ce fameux pouvoir, leur vie à tous les deux va basculer...

On va volontairement éviter d'en dire beaucoup plus que ce pitch, car dans Joker of Destiny l'intrigue évolue assez vite, au gré de ce que Kiwa et Mahiro vont faire ou non de ce fameux pouvoir, surtout à partir du moment où la jeune femme suggère à son petit ami de postuler dans la même entreprise qu'elle, ce qui ferait son bonheur. En s'appuyant sur sa vision personnelle de la version originale de Kusunoki, Mizu Sahara fait ce qu'elle effectue de mieux: un approfondissement sensible et nuancé de ses deux personnages principaux, qui vont être confrontés à bien des dilemmes, notamment la possibilité de forger leur bonheur ensemble, ou encore l'envie de faire payer tous ses méfaits à un supérieur hiérarchique horrible sur tous les points (égoïste, hautain, manipulateur envers les femmes, pervers...). La mangaka va alors interroger avec suffisamment de profondeur les possibilités offertes par ce possible pouvoir, ses origines s'il existe vraiment, l'obligation d'assumer les contreparties néfastes si on l'utilise... avec, à la clé, pas mal d'interrogations humaines et un peu philosophiques. Ce don existe-t-il vraiment ou n'est-il qu'un prétexte pour justifier ses échecs personnels comme s'il s'agissait du destin ? Serait-on prêt à éventuellement attirer le malheur sur quelqu'un pour faire son propre bonheur ou le bonheur d'un être cher ?

Sous le coup de crayon toujours aussi fin et sensible de Sahara mais également un poil plus mature, on s'interroge en même temps que Kiwa et Mahiro sur ce que l'on ferait à leur place, tout en s'attachant facilement à ce couple dont on découvre vite et bien la relation forte depuis leur première rencontre, quand bien même tout semble être parti d'un voeu de Kiwa. On reste également intrigué par la place que prendra la dénommée Yuri Kawashina dans la suite de l'oeuvre. Et, surtout, on reste facilement estomaqué par le bouleversement de la dernière page, le genre d'événement qui devait forcément avoir lieu pour booster l'intrigue, et qui fait ici très bien son effet.

On attendra donc avec intérêt la suite de cette histoire qui, en plus de plutôt bien traiter son sujet, est servi par l'habituelle sensibilité de cette autrice quand il s'agit de décortiquer avec soin ses personnages.

Enfin, quelques mots sur l'édition, dont les lacunes se limitent à des moirages trop réguliers dans l'impression et à quelques petites coquilles dans les textes qui ont échappé à la relecture (le genre de chose qui pourra être corrigé dans une future réimpression. A part ça, le papier reste assez agréable de par sa souplesse et son absence de transparence, les quatre premières pages en couleurs sur papier glacé sont un plaisir, la traduction de Nathalie Lejeune est toujours claire, et l'effet brillant argenté de la jaquette est sympathique.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.25 20
Note de la rédaction