Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 03 Juin 2024
Sorti en France aux éditions Hana au mois d'avril dernier, Je te donne la moitié de moi est la toute première publication française d'Arashi Arima, une mangaka active professionnellement au Japon depuis 2018 et dont la carrière compte à ce jour quatre oeuvres, toutes dans le registre du boy's love. De son nom original Hanbun Ageru (dont le titre français est une traduction proche), cette mini-série en six chapitres fut initialement prépubliée au Japon en 2022 dans le magazine numérique Mimosa des éditions Leed, avant de paraître là-bas le 10 janvier 2023 en un unique volume agrémenté d'un petit chapitre bonus en forme d'épilogue, pour un total frôlant les 220 pages.
L'histoire nous plonge dans un lycée japonais comme les autres de Hiroshima, où Shiraki attire pas mal l'attention: populaire, calme, toujours souriant, supposé riche par pas mal de ses camarades de classe, il est très apprécié. Kurokawa, un autre élève, ne fait pas exception: il ressent une sorte de fascination pour ce garçon qui semble parfait... et en même temps, il est le seul à trouver que son regard cache quelque chose d'effrayant. Malheureusement, il n'imaginait pas si bien penser, jusqu'au jour où, alors qu'il rentre chez lui, Kurokawa croise en pleine rue un Shiraki paniqué, uniquement vêtu d'une chemise tâchée de sang, conspué par quelqu'un qui lui ordonne avec colère de revenir... n'écoutant que son instinct, Kurokawa emmène alors avec lui Shiraki, qui lui avoue la sordide vérité: depuis le collège, sa famille pauvre l'oblige à vendre son corps contre de l'argent auprès de différents clients, il n'a pas son mot à dire, mais face au client du jour bien trop violent il s'est échappé. Bouleversé, Kurokawa prend une décision radicale: fuguer avec son camarade de classe, loin de sa famille qui lui fait subir tant d'horreurs, et quitte à lui-même laisser derrière lui sa propre famille qu'il aime tant. Mais concrètement, que pourront faire deux adolescents seuls dans une telle fugue, face à une telle situation ?
L'autrice propose ici une histoire clairement divisée en deux parties, la première des deux ayant forcément quelque chose d'à la fois dramatique au vu de la situation de Shiraki, et de doux-amer de par la façon dont Kurokawa va, pour la première fois de son existence, lui faire vivre quelques instants de bonheur légers le temps de leur fugue. Même si l'on pourrait éventuellement se dire que les personnages auraient pu trouver d'autres solutions face à l'horrible situation de Shiraki, c'est avec une certaine émotion qu'on les suit dans leur escapade passant par quelques étapes salvatrices: aller voir la mer, trouver où passer la nuit avec leurs maigres finances et sans éveiller les soupçons, se confier l'un à l'autre jusqu'à même voir certains sentiments naître entre eux (élément rapidement amené mais plutôt bien dosé)...mais d'un autre côté, ils savent bien que cette parenthèse ne pourra pas durer: bientôt, leurs familles vont signaler leur disparition, la police va commencer à les rechercher...
C'est alors là qu'arrive la deuxième moitié du récit, intéressante en ceci qu'Arashi Arima, après la rupture un peu triste et réaliste du milieu de volume, choisit de nous présenter les conséquences dans le temps de ces quelques jours à-part, de cette main tendue par Kurokawa qui, mine de rien, a su bouleverser la vie atroce de Shiraki, alors même que Kurokawa regrette de ne pas avoir pu faire plus. Entre regrets, découverte encore un peu plus prononcée de l'enfance de Shiraki, et retrouvailles prédestinées, on va éviter d'en dévoiler beaucoup plus afin de ne pas spoiler, mais on peut au moins dire que, jusqu'au bout, l'autrice gère assez joliment son récit, surtout en cristallisant bien ce que Kurokawa, par son simple geste d'autrefois, a apporté à Shiraki.
Visuellement, c'est assez simple dans les décors et classique dans le découpage, mais efficace dans ce que les personnages principaux dégagent: les silhouettes ont beau être peu détaillées, elles restent fines et assez expressives, en particulier quand Arashi Arima joue sur les regards si particuliers de Shiraki. Dans tous les cas, cela accompagne bien, d'un bout à l'autre, cette histoire tour à tour dramatique, douce-amère et belle, suffisamment crédible pour nous émouvoir facilement.
Enfin, du côté de l'édition française, il n'y a pas grand chose à redire: ma jaquette reste assez fidèle à l'originale japonaise, le papier et l'impression sont tout à fait corrects, la première page en couleurs sur papier glacé est appréciable, le lettrage est assez propre dans l'ensemble, et Laurie Asin livre une traduction claire et s'adaptant bien à la tonalité de l'oeuvre, même si certains gimmicks pourront toujours agacer (laisser des "sensei" au lieu de "professeur" dans une traduction française professionnelle, ça n'a aucun sens).