Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 28 Juillet 2025
Prévue en librairies dans le courant du mois d'août, mais avec une avant-première de ses deux premiers volumes sur le stand de Noeve Grafx à Japan Expo début juillet (d'où l'arrivée en avance de cette chronique), Je ne suis pas populaire, et c'est de votre faute ! et l'une des nouvelles séries ayant le plus fait parler d'elle sur les réseaux sociaux lors de l'annonce du retour de l'éditeur après un an de pause, et pour cause: comme l'auront sûrement déjà compris certaines personnes, on retrouve derrière ce nom "Watashi ga motenai no wa dô kangaete mo omaera ga warui!" (dont le titre français est une traduction assez fidèle), souvent abrégé en "Watamote" (un terme que l'on reprendra sûrement dans nos chroniques, ce titre abrégé étant bien plus pratique), un manga qui a connu une belle popularité à l'international il y a une douzaine d'années grâce à son adaptation animée, cette dernière datant de 2013 et restant actuellement disponible en France sur la plateforme ADN.
La série est la toute première publication française de Nico Tanigawa, un duo de mangakas composé d'un homme au scénario ainsi qu'au storyboard et d'une femme au dessin, et qui a débuté sa carrière professionnelle dans la deuxième moitié des années 2000. Preuve de sa popularité, elle a connu au fil des années un court spin-off centré sur la meilleure amie de l'héroïne, un fanbook ou encore une anthologie collective. Et encore aujourd'hui, l'oeuvre reste au Japon un indéboulonnable et une figure de proue du site Gangan Online de Square Enix, où elle continue sa prépublication depuis 2011 en ayant donné lieu, à ce jour, à pas moins de 27 volumes brochés.
Cette tranche de vie adolescente nous immisce auprès de Tomoko Kuroki, jeune fille qui, quand elle était en dernière année de collège et avait 15 ans, était d'ores et déjà prête à vivre ses plus belles années en arrivant au lycée. Se rêvant déjà hyper populaire, elle se voyait trop mignonne, faisant fondre les garçons, sortant avec un beau gosse, vivant une première fois idyllique... Après tout, dans son esprit comment pourrait-il en être autrement, puisqu'elle n'a cessé d'exceller dans les otome game et autres jeux de drague érotiques pour filles ? Seulement, entre ses fantasmes nourris par les jeux et la réalité, il y a un véritable gouffre, et après deux mois de lycée Tomoko reste constamment seule et est incapable d'aller vers les autres et de discuter. Pire encore, son ego fait qu'elle tend à mépriser intérieurement et à prendre de haut ses camarades qui vivent une adolescence normale, et à plonger de plus belle dans son côté asocial...
Ainsi, au fil des neuf chapitres occupant les 130 et quelques pages de ce premier volume, Nico Tanigawa nous offre déjà un petit florilège de situations où Tomoko, que ce soit au lycée, à la maison ou à l'extérieur, enchaîne des situations de tous les jours où sa personnalité compliquée ressort. Et au bout de tout ceci, le moins que l'on puisse dire est que, dans sa globalité, ce premier volume a de quoi déranger et déstabiliser, au vu de la nature qui semble être celle de cette adolescente, jeune fille qui n'a au départ rien de spécialement sympathique, la faute notamment à sa tendance à insulter dans sa tête ses camarades vivant une adolescence plus épanouie que la sienne (y compris sa meilleure amie Yû, une otaku tâchant de mieux prendre soin d'elle depuis son arrivée au lycée) et à être parfois gênante dans ses fantasmes nourris par les jeux érotiques et autres magazine douteux. Dans le fond, on peut tout à fait comprendre cet aspect comme un portrait de choses qu'on a tous ressenties à l'adolescence, période où l'on s'éveille au sexe. Mais dites-vous bien que le duo de mangakas choisit d'aborder ça de manière assez déroutante voire parfois un peu crue dans les textes, ce qui plaira ou rebutera totalement selon les gens.
Et pourtant, on sent déjà que derrière cette personnalité asociale et parfois presque détestable, on a une jeune fille qui a surtout d'énormes difficultés relationnelles ainsi qu'un manque flagrant de confiance en elle-même, et qui est alors enfermée dans une espèce de spirale sans fin dont on lui souhaite de sortir pour enfin trouver un épanouissement sain. Par instants, dans certaines de ses pensées, on voit qu'elle a elle-même conscience de ses tares, mais pour l'instant, plutôt que de pleinement les affronter pour évoluer, elle campe encore sur ses "acquis", ne change pas vraiment, camoufle ses difficultés sociales derrière ses mauvaises pensées, ses fantasmes, et sa vision des relations amoureuses parfois très inquiétantes (comme quand, sur la base d'un magazine, elle se dit qu'elle doit à tout prix pratiquer le sexe pour devenir plus féminine)... quitte à même embêter régulièrement son petit frère Tomoki en donnant même lieu à quelque séquences d'autant plus malaisantes (comme quand elle croit que son frangin fantasme sur elle, hum).
Dans le fond, ce tout début de série nous rappelle un peu une autre oeuvre plus récente, à savoir The Dangers in my Heart, dont le héros Kyôtarô a au départ énormément de similitudes avec Tomoki, et où la tonalité globale est relativement similaire. Mais là où Kyôtarô évolue en bien et devient de plus en plus attachant grâce à son rapprochement avec la lumineuse Anna Yamada, on se demande si, ici, Tomoko connaîtra la même chance, saura se remettre en cause, et trouvera l'épanouissement dont elle a besoin... C'est tout ce qu'on lui souhaite ! Et pour ça, il faut espérer que la longueur de l'oeuvre (à ce jour 27 tomes pour une histoire de ce type, quand même...) soit exploitée à bon escient par le duo de mangakas, mais seule la suite nous le dira.
Tour à tour agaçant, amusant, triste, touchant et surtout très cringe, ce premier volume est typiquement le genre de lecture sur laquelle il est difficile de poser un avis clair. On espère avant tout que de vraies évolutions vont avoir lieu au vu de la longueur de l'oeuvre, que les deux mangakas ne vont pas se contenter de cette recette au fil des tomes... car dans le fond, on a vraiment envie de voir avancer cette adolescente en manque de confiance en elle, nulle en relations sociales, et biaisée par ses jeux de drague et autres diktats de la société. En cela, la parution simultanée du deuxième volume n'est sans doute pas une mauvaise idée, en espérant que celui-ci nous aide déjà à y voir plus clair.
Enfin, du côté de l'édition française, la copie est suffisamment bonne, sans être excellente. La principale lacune découle d'une constatation: avec une trentaine de sorties prévues chaque mois jusque fin 2026 et la réimpression de très nombreux titres, il y avait de quoi se demander vers quel imprimeur l'éditeur s'est tourné pour pouvoir gérer tout ça sur un marché déjà saturé, et la réponse est simple: la grande majorité des titres, dont celui-ci, ont été imprimés à des milliers de kilomètres de chez nous, chez InkWize en Chine, ce qui non seulement n'est vraiment pas fou sur le plan écologique, mais en plus se révèle très inégal en terme de qualité d'impression et de papier. Dans le cas de la série de Nico Tanigawa, malheureusement l'impression est moyenne (ni bonne ni mauvaise, juste moyenne), et le papier est un peu transparent malgré son épaisseur. Heureusement, Noeve Grafx se rattrape via une traduction claire de Christophe Maertens, un lettrage assez convaincant de Maxime Osorio, et une jaquette soigneusement adaptée de l'originale nippone par Emma Poirrier avec un logo-titre qui ressort bien et des éléments dotés d'un sympathique vernis sélectif.