Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 21 Novembre 2024
Mangaka dont le talent n'est plus à prouver (notamment via sa saga boy's love à succès Doukyusei et son chef d'oeuvre Utsubora), Asumiko Nakamura vient de faire son retour dans le catalogue des éditions Akata avec ce que l'autrice présente elle-même comme la toute première série girl's love de sa carrière : L'internat des Fleurs, de son nom original "Mejirobana no Saku", une oeuvre suivant tranquillement son cours au Japon depuis 2017 dans l'inclassable magazine Rakuen Le Paradis des éditions Hakusensha.
Cette histoire nous immisce dans un internat pour filles dont l'origine n'est pas précisée, mais que l'on aura facilement envie de situer en Europe voire en Angleterre au vu de certains possibles indices. C'est là que Ruby Canossa, une élève de deuxième année somme toute assez ordinaire, vient de subir un petit choc qui l'attriste et l'agace: à l'approche de Noël, ses parents ont décidé de partir seuls en voyage afin de donner une dernière chance à leur couple qui bat de l'aile, si bien que l'adolescente ne pourra pas rentrer chez elle pour les fêtes. Est-elle alors condamnée à passer totalement seule Noël au lycée ? Eh bien, ce n'est pas si sûr, car une autre fille est vouée à rester sur place pendant les fêtes: Stephanie "Steph" Nagy, élève de troisième année, dont la grande taille, l'allure princière, l'intelligence et le côté très strict et dur (lui valant le surnom de "dame d'acier") la rendent immensément populaire auprès de beaucoup de filles de l'établissement. Mais en tant que "star" malgré elle de l'école, Steph est également le sujet de certaines rumeurs. Et en passant les fêtes seule avec elle puis en découvrant ses côtés plus bienveillants derrière sa carapace de froideur, Ruby n'imagine aucunement qu'elle sera bientôt, à son tour, la cible de bien des ragots...
Reprenant la bon vieux cadre de l'établissement scolaire pour filles, ce qui est assez courant dans ce type d'oeuvre, Asumiko Nakamura en fait rapidement un microcosme aussi fascinant que compliqué. Fascinant, car l'univers en huis-clos exclusivement féminin de la série se prête parfaitement au style de la mangaka: dans un cadre pareil, on se délecte facilement de son habituelle narration tout en subtilité, de sa manière de suggérer certaines choses plutôt que de les dire franchement, de son trait fin et légèrement anguleux, de ses compositions de planches, et surtout de sa manière de croquer des héroïnes aux mouvements gracieux, aux yeux perçants, aux long cils, et dont les amples robes de l'uniforme scolaire contrastent délicieusement avec l'aspect fin, tantôt élancé tantôt plus frêle de leurs silhouettes. Et compliqué, car un tel microcosme, un tel quotidien dans un milieu confiné, ne peut que donner lieu à des relations tantôt pures et sincères tantôt plus toxiques, entre premiers émois amoureux (très souvent tournés vers la star Stephanie) et ragots et autres rumeurs pouvant s'installer et s'accentuer en un rien de temps.
C'est donc dans ce cadre et dans cette ambiance impeccablement rendues que doit évoluer Ruby, plus particulièrement par rapport aux choses ambigües qu'elle commence à ressentir au sujet de Stephanie, cette dernière intriguant au plus haut point dans ses faces les plus mystérieuses: pourquoi ne rentre-t-elle jamais chez elle ? Qu'est-ce qui se cache derrière sa froideur et sa tendance à blesser les autres avec nonchalance, elle qui est pourtant capable d'une vraie bienveillance sans le montrer ouvertement ? Qu'a-t-elle pu vivre par le passé pour être comme ça ? D'où vient-elle ? Tandis que certains petits indices sont déjà distillés pour entretenir de plus belle l'énigme, c'est aussi la figure de Ruby elle-même qui séduit facilement: dans un cadre où les rumeurs et messes-basses vont bon train, celle qui semble être l'unique brune du volume (toutes les autres ont les cheveux clairs, comme pour mieux marquer sa différence) n'est jamais hypocrite, se montre toujours franche y compris dans ses élans les plus positifs (par exemple sa cagnotte pour le sapin), se montre même énervée quand elle n'a pas d'autre choix que de se soumettre à des décisions prises uniquement par les autres (ses parents en tête)... Elle a un petit côté à fleur de peau et "rebelle" qui nous charme sans mal, et gageons que son émancipation sera d'autant plus intéressante à suivre sur la longueur.
Retrouver la plume unique d'Asumiko Nakamura est donc, comme toujours, un véritable enchantement dans son genre. S'essayant pour la première fois à un manga girl's love, l'autrice séduit autant pour sa patte visuelle si personnelle et fine que pour le petit univers et les personnages qu'elle met en place.
Qui plus est, si l'on excepte une légère translucidité du papier par moments, Akata a eu à coeur d'offrir une très belle édition: la jaquette reste proche de l'originale japonaise, le logo-titre conçu par Tom "spAde" Bertrand est à la fois raffiné et superbe avec son effet métallisé argenté, sous la jaquette on découvre une couverture en couleurs affichant de beaux croquis, les faces intérieures de la couverture sont elles aussi imprimées comme pour mieux nous enfermer dans l'internat avec les héroïnes, les quatre premières pages en couleurs sur papier glacé sont un plaisir, le papier allie épaisseur et souplesse, l'impression est très bonne, le lettrage effectué par Elsa Pecqueur est très propre, et la traduction assurée par Miyako Slocombe retranscrit avec limpidité toutes les subtilités se dégageant chez les personnages.