Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 08 Septembre 2025
Gou Tanabe nous revient avec une nouvelle salve d'adaptations de nouvelles de Lovecraft pour notre plus grand plaisir! Et cette fois, plus encore que les précédentes, il met la barre sacrément haute en choisissant d'adapter des nouvelles assez complexes à mettre en scène!
Désormais tout le monde connaît le maître de l'horreur qu'est Lovecraft, on ne compte plus les références à son œuvre dans multitudes de médias (films, séries, jeux vidéos, peintures, littératures...) mais Gou Tanabe vient sublimer cela avec des adaptations à la fois fidèles mais également très personnelles; comment ne pas s'impliquer personnellement quand il s'agit de mettre en scène visuellement des éléments qui sont à peine décrits ou trop fortement imagés?
Et c'est bien là le plus surprenant de ce tome qui porte si bien son nom!
"Indicible: qu'on ne peut dire ou exprimer"
Avant tout chose, il faut que je vous fasse partager une frustration que j'ai vécu "à cause" de ce tome. Avant la lecture de chaque adaptation de Gou Tanabe, je relis la ou les nouvelles qui se trouvent dans le volume en question; et je pensais sincèrement que j'avais lu, dans différentes éditions, au fil des ans, toutes les nouvelles de Lovecraft! Et je me suis rendu compte que je n'avais jamais lu "Le terrible Vieillard", courte nouvelle qui se trouve ici adaptée! Ce fut donc la première fois que je découvrais réellement une adaptation de Tanabe sans pouvoir la comparer avec l'originale, et cela occasionna une sacrée frustration (je m'en suis remis).
En relisant les nouvelles qu'on trouve dans ce tome, à chaque fois je me demandais "mais comment il va pouvoir adapter ça?", et cette question m'a semblé plus importante encore que les fois précédentes tant ces fameuses nouvelles se veulent obscures et très imagées, celles ci renvoyant aux "contrées des rêves" et non pas aux mythes des Grands Anciens. J'étais d'autant plus étonné qu'il reste encore un certain nombre de nouvelles, plus ou moins longues sur lesquelles Gou Tanabe pourrait se pencher. Bon, il fait bien ce qu'il veut! Et comme à chaque fois, il démontre ici un talent non discutable et a réalisé un travail superbe en adaptant l'impossible!
On trouve pas moins de six récits dans ce tome qui se veut bien plus riche qu'on pourrait le croire à première vue, ceux ci étant plus ou moins reliés (et tous faisant référence aux contrées des rêves donc).
La premier, le plus anecdotique et le plus nébuleux, "Polaris" nous présente les rêves d'un voyageur (ici quand je parlerai de "voyageur" ce ne sera pas dans le sens littérale mais bien dans le sens de "voyageur des rêves") qui se retrouve dans la sublime cité d'Olathoé et qui va en causer sa chute.
Comme dit plus tôt, ce récit est assez nébuleux et pour la première fois, il m'a semblé que les écrits de Lovecraft étaient plus accessibles que cette adaptation...mais à la décharge de Gou Tanabe, il n'avait pas grand chose à se mettre sous la dent.
Ensuite on arrive à la fameuse nouvelle que j'ai découvert avec ce présent opus: Le terrible vieillard. Il s'agit d'un récit vraiment passionnant bien que court et qui pour le coup se veut horrifique sans être trop obscur et nébuleux! Tout ne nous est pas dévoilé, mais on comprend suffisamment de choses pour savourer pleinement ce qui nous est présenté. On y découvre trois voleurs, trois criminels (qui étrangement, portent des noms étrangers...on ne reviendra pas sur le coté problématique de Lovecraft) qui souhaitent s'aventurer dans la demeure d'un vieil homme pour le détrousser...ce qui va s'avérer être une très mauvaise idée!
Le troisième récit renvoi au deuxième puisqu'on y retrouve la fameux terrible vieillard qui ici va jouer le rôle de témoin et donner des informations (et avertissements) au protagoniste: un homme de bonne famille qui s'ennuyant dans son quotidien, et après un emménagement dans la petite ville de Kingsport, décide de gravir la falaise abrupte pour s'approcher d'une maison faisant face à l’abîme, maison abandonnée dont personne ne s'approche depuis des lustres...une maison peut être pas si abandonnée puisqu'elle laisse apercevoir de la lumière par ses fenêtres de temps à autres!
La encore tout repose sur le mystère, bien plus que sur ce qui est montré, bien que l'ascension en elle même, et l'aspect impossible d’accès vient grandement renforcer le mystère et l'étrangeté de cette maison et donc du récit. Une fois encore on reste sur une conclusion qui ne nous en dira pas trop et qui laisse place à l'imagination du lecteur et à sa compréhension des contrées des rêves.
Les trois récits suivants introduisent le personnage de Randolph Carter, personnage récurrent dans les écrits de Lovecraft, qui lui sert en quelque sorte d'alter ego (ce qui sera plus marqué dans l'avant dernier récit) et qu'on retrouve notamment dans la cultissime nouvelle "l'Affaire Charles Dexter Ward" (dont j’attends avec impatience l’adaptation de Gou Tanabe, surpris que ce ne soit pas déjà fait).
Pour introduire le personnage quoi de mieux que le citer carrément avec "Le témoignage de Randolph Carter", où ce dernier, romancier et amateur d'occultisme est interrogé par la police suite à la disparition de son ami. Cette nouvelle est la plus impressionnante entre le ratio horreur / suggestion! Le récit se veut angoissant et malaisant et pourtant rien ne sera montré, on écoute juste le témoignage d'un homme qui n'a rien vu et rapporte les mots d'un ami avec lequel il communiquait sans avoir partagé son expérience horrifique...du grand art!
Dans l'avant dernier récit, on retrouve Randolph Carter qui échange avec un ami sur les questions de rationalité et d'imagination. On assiste à une mise en abyme avec un personnage qui reproche à Carter (rappelons le, l'alter ego de Lovecraft) d'utiliser bien trop souvent les termes "indicible" et "innommable" dans ses récits...ce qui est factuellement le cas dans les œuvres de Lovecraft, qui malgré tout le bien qu'on peut en penser, se veulent assez redondantes, et plus particulièrement au niveau du vocabulaire employé par l'auteur.
Le débat passe par plusieurs phases, jusqu'à ce que Carter parvienne à faire douter son ami cartésien et jusqu'à ce que l'indicible fonde sur eux.
Pas le récit le plus passionnant mais clairement le plus pertinent quant aux liens qu'on peut faire avec Lovecraft lui même. Et je me permets d'ajouter que si ce n'est pas le récit le plus pertinent, l'adaptation qu'en fait Gou Tanabe est elle par contre irréprochable!
Enfin, "la clé d'argent" met une dernière fois en scène Randolph Carter alors que celui ci a vieilli et ne parvient plus à voyager dans les contrées des rêves. Il se souvient alors d'un coffret possédé par son grand père qui contiendrait la clé des rêves.
Ce récit, le plus long, occupant à lui seul près d'un tiers du volume, se veut justement le plus imagé et revient sur les précédentes nouvelles, justifiant qu'on les retrouve toutes dans le présent opus. C'est aussi le récit qui "explique" le mieux ce qu'est la contrée des rêves dans l'esprit torturé de Lovecraft!
Il est toutefois dommage de ne pas avoir la suite, à savoir "A travers les portes de la clé d'argent", dernière nouvelle de Lovecraft introduisant Randolph Carter, mais celle ci étant beaucoup plus longue (mais moins que "la quête onirique de Kadath l'inconnue" ou encore "l'affaire Charles Dexter Ward) on peut supposer que celle ci mériterait un volume entier et non pas un recueil de nouvelles!
D'ailleurs on peut espérer un cycle "Randolph Carter" avec les futures adaptations des trois nouvelles pré-citées, ce qui serait tout simplement exceptionnel!
En attendant on a un volume riche et inégal, prenant certes, mais certainement pas le plus adapté comme porte d'entrée aux récits de Lovecraft ou de Gou Tanabe; mais qui une nouvelle fois se révèle être un régal pour les amateurs du genre et les connaisseurs des œuvres de ces auteurs!