Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 25 Juillet 2023
près Hare-Kon à la fin du mois de mai, le deuxième titre de la nouvelle collection Xplicit des éditions Noeve Grafx n'est autre que The Idaten Deities Know Only Peace, une série qui a été plus ou moins popularisée à l'international via son adaptation animée, celle-ci ayant été initialement diffusée pendant l'été 2021 et étant toujours disponible en France sur la plateforme Crunchyroll à l'heure où ces lignes sont écrites.
A l'origine de cette oeuvre, on trouve un webcomic lancé au Japon en 2008, avant ses débuts en tant que professionnel, par Amahara, un mangaka que l'on connaît assez bien en France pour ses histoires abordant généralement le sexe sous des angles fantaisistes, à l'image de Chastity Reverse World (édition Meian) et d'Interspecies Reviewers (éditions Ototo). C'est ensuite en 2018 que débute un remake dans le magazine Young Animal des éditions Hakusensha (magazine où l'oeuvre côtoie les mangas Berserk, Peleliu et Step Up Love Story entre autres), pour lequel Amahara est accompagné au dessin par un auteur que l'on connaît bien: Coolkyousinnjya, qui s'est doucement installé comme une figure-phare de Noeve avec les séries Miss Kobayashi's Dragon Maid (où il est au scénario et au dessin) et Peach Boy Riverside (où il n'est que scénariste). Toujours en cours actuellement, ce manga compte à ce jour 7 volumes dans son pays d'origine, avec généralement un rythme d'un nouveau tome tous les 8-10 mois.
Cette histoire nous immisce dans un monde où les Idaten, des divinités protectrices, sont apparues il y a plusieurs siècles suite aux prières des humains pour les sauver de terribles démons qui menaçaient alors de détruire le monde. Depuis, bien du temps est passé, si bien que 800 ans après ce conflit où les démons ont été défaits, les Idaten n'ont plus grand chose à faire. A vrai dire, la menace démoniaque est devenue si absente qu'il n'y a eu quasiment aucun nouvel Idaten pendant environ 700 ans. Mais depuis quelques décennies, quelques nouveaux Idaten ont été extraits par leurs semblables suite à de nouvelles prières humaines dues à une terrible guerre qui sévit. Parmi ces nouveaux Idaten figurent notamment Hayato, qui s'entraîne depuis 80 ans avec la très expérimentée Rin, Ysley qui se pose pas mal de questions sur la condition des Idaten, ou encore la toute jeune Paula qui, du haut de ses 16 ans, a absolument tout à apprendre.
Ce premier volume, dans sa majeure partie, nous invite tout simplement à suivre le quotidien de cette poignée d'êtres divins débutants, qui ont tout à apprendre à une ère de paix pour eux, mais où les démons pourraient bien refaire surface prochainement, le tout nous donnant un résultat... eh bien, pas franchement passionnant au départ, car les deux auteurs nous balancent rapidement dans le vif du sujet en ne présentant pas grand chose de leur univers ni de leurs personnages. Ce genre de choix peut être très payant quand on a une narration immédiatement emballante et parvenant à distiller tout ce qu'il faut d'éléments intrigants, le tome 1 de Tsugai nous l'ayant encore prouvé la semaine dernière. Mais ici, on à deux premiers tiers de tome qui manquent beaucoup trop d'enjeux et de développements pour vraiment captiver, si bien qu'il faut s'accrocher un peu dans ces premiers instants de la série où l'on se contente de suivre les quelques discussions des Idaten, interrogations existentielles d'Ysley ou entraînements très (très très) spartiates avec Rin. Heureusement, au bout d'un moment différents éléments finissent par bel et bien interpeler sur ce que sont exactement les Idaten, sur leur nature et sur leur rôle. On apprend qu'ils naissent des pensées d'êtres vivants déjà existants, qu'ils ont forme humaine car la pensée des humains est prédominante, qu'ils ne mangent jamais, qu'ils n'ont pas forcément besoin de respirer pour vivre, que leur circulation sanguine peut s'arrêter sans que ça les tue, qu'ils n'ont pas la nécessité de transpirer même s'ils le font, qu'ils ne meurent pas même si on leur transperce le coeur... Ces spécificités expliquant aussi pourquoi ils n'hésitent pas, même s'ils ressentent quand même la douleur, à avoir des entraînements au combat extrêmement violents, où ils repoussent les limites de leur corps, avec ce qu'il faut d'organes mis en bouillie et d'os brisés. Enfin, il y a, dans le dernier tiers du tome, une idée qui apporte bien plus de curiosité au récit, au point d'en devenir volontiers un peu dérangeant: le fait que les Idaten n'existent pas pour protéger les humains face à d'autres humains (étant nés des prières humaines, comment pourraient-ils prendre parti pour un camp humain en particulier ?), mais uniquement pour les protéger d'éventuels démons qui reviendraient, ce qui fait qu'ils posent un regard assez "neutre" sur des choses comme la guerre d'invasion menée depuis un moment par l'armée de Zoble, et que cela nous invite de manière suffisamment malaisante et interpellante à nous questionner sur différents aspects négatifs de notre espèce.
Cela nous permet alors d'évoquer un autre aspect assez intéressant qui finit par émerger de ce premier tome: ses changements d'ambiance très soudains. Démarrant un peu comme une tranche de vie surnaturelle parfois emprunte de légèreté, la série donne aussi dans un certain humour noir, et est également capable de partir dans une réelle violence et dans des passages se voulant réellement malaisants et beaucoup plus sombres, l'exemple le plus marquant arrivant dans le dernier chapitre (qui met en scène un viol collectif très graphique, soyez en averti(e)s pour celles et ceux qui ne le supporteraient pas). Avec son style graphique si reconnaissable et expressif, Coolkyousinnjya n'a aucune difficulté à s'adapter à ces changements d'ambiance (qui arrivent même parfois en une seule page).
A l'arrivée, il est difficile de se prononcer sur le potentiel de la série après un seul volume. Les premières dizaines de pages pourraient presque apparaître barbantes auprès d'une partie du lectorat, mais le tout finit petit à petit par intriguer, surtout grâce à ses changements d'atmosphère parfois très soudains et aux possibilités qui se dessinent autour du statut des Idaten et du regard qu'ils nous permettent de poser sur notre espèce humaine. Affaire à suivre, donc.
Côté édition, on reprochera juste une impression pas impeccable, puisqu'un certain nombre de moirages parsèment les pages. A part ça, Noeve livre une copie satisfaisante avec une jaquette proche de l'originale japonaise et dotée d'un logo-titre soigné ainsi que d'un vernis sélectif, un papier souple et sans transparence, et un lettrage propre ainsi qu'une traduction claire de la part du Studio Charon.