Hôtel de l'autre monde (L') : Critiques

Meikai Hotel

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 12 Novembre 2025

Auteur japonais "maison" des éditions Ki-oon qui est bien connu pour ses séries Leviathan et Dragon Hunt Tribe, Shiro Kuroi est tout récemment revenu chez l'éditeur avec une nouvelle création originale: L'Hôtel de l'Autre Monde. En guise de création originale toutefois, il s'agit en réalité de la toute première oeuvre de la carrière de l'auteur, et d'une anthologie de six histoires courtes en couleurs qu'il a commencé à vendre en conventions sous forme de fanzines à partir de 2016. Cette édition française est, ainsi, une sorte d'exclusivité mondiale, puisque les récits qui la composent ne sont à ce jour jamais sortis dans le cadre professionnel au Japon et à l'international.

Le temps d'environ 150 pages, ces six chapitres indépendants nous plongent chacun auprès de nouveaux personnages qui ont tous pour unique point commun de se retrouver à l'Hôtel de l'Autre monde après leur mort. Situé sur la rive de la rivière Sanzu qui sépare le monde des vivants et celui des morts, ce refuge accueille les âmes souhaitant faire une dernière halte avant, normalement, de franchir le cours d'eau sur la barque du passeur afin d'atteindre l'Au-delà. Mais ce court moment de répit est aussi l'occasion de mises au point, de rencontres, de retrouvailles et d'explications témoignant souvent des tourments qu'ont pu vivre ces différentes âmes.

Une jeune fille présente dans l'hôtel depuis très longtemps et attendant inlassablement quelqu'un, deux camarades de lycée ne se connaissant pas mais étant quelque part liés par une mélodie, une jeune fille pensant que personne ne la regrettera, une fillette maltraitée, des enfants n'ayant aucunement confiance de la situation... Les profils des différents pensionnaires de l'hôtel ont au moins le mérite d'être assez variés, d'être immédiatement touchants quand ils impliquent d'innocents enfants ne comprenant parfois même pas qu'ils sont morts, et de permettre à l'auteur d'évoquer diverses choses sur la condition humaine et sur les sentiments humains, généralement sous un jour assez sombre et difficile au vu de ce qui pourra être évoqué: deuil, solitude, traîtrise, maltraitance sur des enfants... mais en filigrane, Kuroi tâche plus d'une fois d'apporter des notes humaines plus positives, grâce aux regrets que pourront développer certains personnages, ainsi qu'à certains liens bâtis entre humains ou même entre humain et animal.

Bref, on a envie de dire que, dans l'ensemble, les idées sont là sans être originales pour un sou, tant ce principe de bâtiment "purgatoire" entre la vie et la mort a déjà été vu une infinité de fois. Mais lesdites idées sont-elles bien et suffisamment exploitées ? Eh bien, c'est plutôt un non catégorique qui l'emporte selon nous, et cela pour certaines raisons dont la première n'est autre que le format court des récits: l'histoire courte demande effectivement une grande exigence de construction pour toucher là où il faut en un nombre limité de pages, et ici le fait est que Shiro Kuroi peine très souvent à bien équilibrer ses récits qui ne dépassent jamais les 30 pages (voire, parfois, n'excèdent pas les 20 pages). Certaines ellipses trop abruptes donnent l'impression que le mangaka expédie beaucoup trop les choses, qui plus est en n'apportant jamais certaines précisions quand ce serait nécessaire. Par exemple, on n'a rien contre le fait que certains hôtes traversent bel et bien le fleuve pour rejoindre le monde des morts tandis que d'autres font demi-tour et reviennent chez les vivants, mais concrètement comment ça marche ? Et le passeur les pousse à venir avec lui par pur souci pécuniaire, mais à quoi peut encore servir de l'argent dans ce contexte ? A cela, difficile de ne pas souligner le fait qu'une des histoires offre à l'arrache une vision de la justice qui peut être très dérangeante, quand bien même le principal concerné est une ordure.

A cela s'ajoute un style graphique qui risque de ne pas du tout convaincre tout le monde. On préfèrera mettre ça sur le compte du format fanzine initial et sur le fait que ce fut la première oeuvre de l'auteur, et loin de nous l'idée de critiquer le style-même de Kuroi qu'il a ensuite su peaufiner un peu plus dans ses autres titres (d'autant qu'il a la bonne idée de justement changer d'éléments stylistiques d'un récit à l'autre, pour un désir de variété et d'expérimentations bienvenus), mais il faut bien avouer qu'il y a ici un paquet de limites: quelques effets de flou peu convaincants, regard souvent désespérément vides ou vitreux, absence d'émotion dans les designs, découpages de planches en permanence très, très plat, beaucoup de raccourcis/ellipses d'une case à l'autre... Pourtant, plusieurs designs ont beaucoup d'idées très influencées par la BD franco-belge notamment, et certains environnement sont sublimés par une meilleure gestion des couleurs, mais ces bons points sont généralement occulté par les limites qui prennent le dessus.

A l'arrivée, on ressort de cette lecture avec un avis très maussade... et ce n'est pas la présence en fin de livre de "La planète de la brume", récit de SF ayant posé certaines bases de Leviathan, qui va changer ce bilan, tant celle-ci est elle aussi bien trop rushée pour marquer. Dans l'ensemble, L'Hôtel de l'Autre monde transpire vraiment trop le manque d'expérience d'un auteur qui avait des idées mais qui a eu du mal à les concrétiser, et on aura alors tendance à conseil cet ouvrage uniquement aux plus grands fans de Shiro Kuroi. Quant aux personnes cherchant un très bon manga récent ayant un peu le même genre de concept, on leur conseillera plutôt de se tourner vers L'auberge des saisons perdues, poignante et aboutie série de Hozumi dont le troisième et dernier volume vient juste de paraître aux éditions naBan.

Enfin, côté édition, la copie est propre de la part de Ki-oon: le grand format se prête assez à ce genre d'oeuvre en couleurs, le papier allie souplesse et opacité en plus de permettre une qualité d'impression convaincante, la traduction de Damien Guinois est assez claire, et l'adaptation graphique effectuée par Quentin Matias est soignée. 


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
8.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs