Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 11 Octobre 2024
Chronique 2 :
Hokuto no Ken, aka Ken le survivant, est l'une des œuvres les plus emblématiques des années Dorothée, et tout simplement l'un des mangas majeurs du Shônen Jump. Pensé par Buronson et dessiné par Tetsuo Hara, le titre a une histoire particulière dans le paysage éditorial français. D'abord publié chez J'ai lu tardivement, dès l'automne 1999, il fut repris par Kazé manga en 2008, d'abord par une réédition au format simple avant d'être proposé dans une très jolie Deluxe, dite "Ultimate edition", qui combinait grand format, papier de bonne qualité et pages couleurs de la prépublication. Seulement, les tomes sont tombés en rupture de stock avec les années, et l'éditeur a fini par ne plus les réimprimer. Voilà qui a fait le malheur des lecteurs qui souhaitaient compléter leur collection, mais le bonheur des spéculateurs véreux.
C'est en 2002, après être devenue Crunchyroll, que la maison décide de remettre un sacré coup de projecteur sur Hokuto no Ken. Non pas seulement sur l'œuvre initiale, mais bien sûr l'ensemble de la saga, exception faite de Sôten no Ken qui a auparavant été réédité chez Mangetsu. Intitulée "Édition extrême", cette nouvelle mouture se base sur l'édition "kyûkyoku-ban" (ou édition ultime) en 18 volumes sortie par Coamix en 2013. Une version inédite puisque, en dehors des couvertures, le manga a été retouché par Tetsuo Hara, des planches corrigées, et un chapitre supplémentaire inclus. Il est d'ailleurs amusant de noter que quelques mois plus tard, en septembre 2023, Coamix a sorti une autre version dite "shinsô-ban" (ou nouvelle édition), reprenant les exactes mêmes couvertures que la précédente monture, mais sur fond doré.
Cette nouvelle édition présente donc une plus-value indéniable, s'adressant tant aux éternels fans de la saga qu'aux nouveaux lecteurs. Là où le bât blesse, c'est que l'on passe d'un grand format à une version poche standard. Finie donc la deluxe de Hokuto no Ken, il n'y en a tout simplement plus sur le marché, et les lecteurs qui cherchaient à compléter leur Ultimate édition n'ont plus que leurs yeux pour pleurer. Pour en revenir à cette version, force est de constater qu'elle est particulièrement chic en main. Le grain particulier sur les couvertures (qui ne sera malheureusement pas repris sur les spin-offs) couplé à des effets de dorure, et additionné à un papier intérieur de belle qualité, aboutit à un ouvrage élégant. Un ouvrage qui a un prix : celui de 14.99€. Si on reste dans certains standards actuels, surtout quand on tient compte de la belle conception du livre, l'idée de passer à un plus petit format par rapport à l'Ultimate édition a de quoi piquer, surtout pour arriver à un prix plus important puisque celui de la version précédente était de 13.29€. La volonté d'aboutir à une jolie édition est là, mais Crunchyroll a manque d'honorer certaines attentes.
Cette longue présentation de cette édition étant faite, parlons plus concrètement du contenu de ce premier tome.
En l'an 199X, la Terre est désormais une terre aride, ravagée par les guerres nucléaires. L'Homme a fait de sa planète un enfer, et les quelques survivants se soumettent aujourd'hui à la loi du plus fort. La violence est maîtresse, et les bandits sans foi ni loi n'hésitent pas à dépouiller, massacrer voire violer les honnêtes gens et les plus démunis. L'humanité a besoin d'un sauveur, et celui-ci pourrait bien être Kenshirô, un homme à la carrure solide qui arpente le monde sans objectif apparent. Affublé de sept cicatrices sur le torse, il est l'héritier du Hokuto Shinken, un art martial ancestral et destructeur qui, entre les mains d'un homme pur, sera utilisé pour faire le bien. Et effectivement, Kenshirô a un sens accru de la justice. Aussi, il n'hésite pas à mettre ses poings au service des laissés pour compte, face aux brigands qui abusent de leur force.
Classique éternelle, toujours légendaire aujourd'hui, Hokuto no Ken pâtit d'une singulière réputation chez nous, ce à cause du doublage français d'époque du Club Dorothée. Tournant en dérision les situations pour donner une ribambelle de calembours qui désamorcent le récit, cette VF est une œuvre à part entière, une sorte de parodie sans lien avec l'œuvre de Buronson et de Tetsuo Hara. Depuis, beaucoup ont découvert le récit tel qu'il est, et cette réédition est une autre porte ouverte pour le savourer.
Rapidement, le voyage de Kenshirô nous prend au trip par sa tragédie de tous les instants et son désespoir permanent face auquel se dresse le combattant aux sept cicatrices. Dès le début, le manga se montre accrocheur par son ambiance, son cadre digne de Mad Max et sa narration parfaitement équilibrée qui jongle habilement entre les différentes facettes de ce début d'épopée. Car l'aventure se complexifiera et profitera de développements ô combien passionnants, mais la formule doit encore être posée. L'amorce se fait donc de manière efficace, plantant progressivement les codes de l'œuvre, tout en amenant déjà quelques éléments qui feront date dans la grande mythologie de la saga.
Car si les premiers chapitres laissent croire à une succession de péripéties au schéma répétitif, où chaque épisode constitue une halte dans un nouveau lieu terni par les barbares qui hantent ce monde post-apocalyptique, un premier arc se met rapidement en place et présente un premier grand ennemi pour Ken, mais aussi l'un des plus symboliques. Les auteurs plantent aussi une vraie dualité martiale avec l'opposition entre le Hokuto Shinken et le Nanto Seikei, deux arts aussi opposés que complémentaires qui contribueront à forger le passionnant fil rouge de l'œuvre. Il y a donc à faire et à découvrir dans ce premier opus de plus de 300 pages, tant dans les clés scénaristiques que dans l'atmosphère volontairement tragique qui nous émeut très rapidement. Certes, son agencement peut avoir un poil vieilli aujourd'hui. Mais la sincérité des sentiments des personnages nous happe encore, et les cris de colère de Kenshirô face aux injustices de ce monde ont toujours de quoi nous faire frissonner. Aussi, alors que les univers affiliés à Tetsuo Hara n'auront peut-être jamais aussi présent qu'actuellement dans nos librairies, découvrir le style d'époque du mangaka constitue aussi une expérience particulière. Ses designs paraissaient plus quelconques et moins imposants, et l'œuvre n'a pas encore trouvé toute sa majesté esthétique. Pourtant, la patte a déjà quelque chose d'attrayant tandis que les scènes d'explosions organiques et de déchiquetages humains présentent déjà un charme certain.
Finalement, seul le prix (incohérent vis-à-vis d'un format poche) pourra rebuter. À côté, Crunchyroll offre une nouvelle version particulièrement élégante et agréable en main. Certains préfèreront peut-être même un format poche plutôt que de grandes dimensions. La redécouverte de l'œuvre phare de Buronson et de Tetsuo Hara est un délice, les premiers éléments de l'univers font mouche sans aucun mal, et ce constat est d'autant plus terrifiant que l'œuvre n'a pas encore montré le quart de son vrai potentiel. Que l'on soit sur une découverte ou une relecture, le plaisir est là !
Chronique 1 :
Survivant aux éditions J’ai lu, Asuka et Kaze, Ken revient des enfers pour être publié en France une quatrième fois. Il découvre un monde post-apocalyptique nommé Crunchyroll, incendié depuis ses débuts sur les réseaux sociaux, principalement en ce qui concerne le changement radical de la charte graphique des titres depuis le rachat de Kaze. C’est dans cette ambiance polémique qu’est publié Hokuto no Ken, une édition qui cristallise une nouvelle fois les critiques. En effet le manga est publié dans un petit format classique, avec une pagination moindre que l’édition deluxe précédente et coûte pour autant plus cher. Chaque tome étant proposé à 15 euros. Une incompréhension nait alors chez les lecteurs qui ne manquent pas de le faire savoir sur les réseaux sociaux, mais aussi chez les libraires et journalistes spécialisés.
Maintenant que les polémiques sont énoncées, revenons sur le manga car nous avons tout de même affaire à une série culte issue du magazine Weekly Shônen Jump et débutée en 1983. Elle est dessinée par Tetsuo Hara qui revient en force en France grâce aux éditions Mangetsu qui publient Sôten no Ken, Keiji et prochainement Ikusa no Ko. Et au scénario on retrouve Buronson qui est lui aussi de retour chez nous puisqu’il scénarise Sanctuary sous le nom de Sho Fumimura, dont la nouvelle édition est publiée chez Glénat. C’est donc dans ce contexte favorable où les gloires d’antan sont remises en lumière que les éditions Crunchyroll proposent la quatrième version française du manga Hokuto no Ken.
Le manga prend place dans un monde post-apocalyptique. La Terre ayant été ravagée par des flames atomiques durant les années 90. Dans décors désertiques et en ruines, la société telle qu’on la connait n’existe plus. Ici l’argent n’a pas de valeur, seule la loi du plus fort compte. Des gangs se forment et terrorisent la population pour s’approprier de l’eau, de la nourriture, des femmes... C’est dans cet océan de violence qu’ère un homme : Kenshirô. Maître du Hokuto, dieu de la mort, il navigue de village en village sans jamais se poser. Sur son passage, il se fait justicier et règle les différents problèmes grâce à son art martial détruisant les corps de l’intérieur. À la recherche des dernières onces d’humanité dans les yeux de ses congénères, il vient en aide aux orphelins comme aux vieillards. Un Bruce Lee au pays de Mad Max qui retrouve dans sa quête d’errance une vielle connaissance s’étant construit une ville. Ce duel est au centre de ce premier tome finement écrit en dépit de ce qu’indique son degré de violence. On assiste à une montée en puissance de la confrontation entre Kenshirô et son rival, en passant par des combats contre des sbires qui les mènent indubitablement à se rencontrer. Et lorsque les retrouvailles arrivent, elles sont majestueusement tragiques. Marquantes à la fois par la dramaturgie et la grandeur d’âme, elles lancent merveilleusement le manga.
Si le scénario est d’une maitrise rarement égalée, que dire des dessins de Tetsuo Hara. On ressent toute la force et la brutalité de la série dans son trait d’un noir profond. Cela se voit dans les personnages, de Kenshirô aux gueules cassées qu’il affronte mais aussi justement dans les combats. Ils sont dépeints avec beaucoup de précision mais surtout avec une jouissive violence de tous les excès. Il ne fait pas bon vivre dans le monde de Hokuto no Ken, et c’est parfaitement représenté par les décors sales et désertiques. On découvre des ruines d’anciennes villes ou même de statues bouddhistes conférant une aura puissante à l’environnement dans lequel évolue Kenshirô. En outre, le manga brille par sa mise en scène où l’on retrouve des plans iconiques d’une beauté ténébreuse et des scènes profondément marquantes.
Du côté de l’édition, le manga est proposé en petit format, pour un livre qui avoisine les 300 pages. Le problème étant surtout le prix, il devrait coûter 5 ou 6 euros de moins, ce qui est tout de même colossal. Reste que le livre est de bonne qualité, que ce soit au niveau de la texture de la couverture, du papier ou même de l’impression. On retrouve Tristan Brunet à la traduction, faisant le choix de garder un style old school fait de “keuwâ”. Une décision légèrement contrastée par le même type de personnages utilisant également une syntaxe parfaite, ce qui est un peu étrange. Mais on s’y fait vite, c’est du chipotage car globalement la traduction est excellente. Il en est de même pour le lettrage du studio Mala qui propose du très bon travail, notamment dans le sous-titrage des onomatopées. Il est parfaitement réalisé tant il est fidèle à la version d’origine. De plus, on retrouve des nombreuses pages en couleurs et une postface de Nobuhiko Horie, éditeur ayant travaillé sur la série et proche de Tetsuo Hara.
Si le prix peut logiquement rebuter, il fait nul doute que Hokuto no Ken est un incontournable du manga. Il fait preuve d’une maîtrise exceptionnelle aussi bien dans son scénario que dans ses dessins. On assiste à un modèle de narration qui se construit autour d’un personnage emblématique. La série de Buronson et Tetsuo Hara marque également par son propos sombre sur l’humanité, tout en en ajoutant une touche d’espoir bienvenue. Mais ce que l’on retient principalement de ce premier tome, bien plus que la puissance des coups, c’est celle du tragique. D’une beauté absolue faisant même couler des larmes sur les joues du plus fort des hommes.