Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 13 Août 2018
Derrière cette jaquette plus que terrifiante se cache un récit en quête de vérité. Shigeri Mizuki, le prolifique auteur décédé en 2015, créateur du célèbre GeGeGe no Kitarô, a perdu son bras gauche à la guerre. Et alors que par la suite, il estimait les Japonais mal informés sur la réalité de la Seconde Guerre mondiale, il entreprit de réaliser un portrait le plus vraisemblable possible d'une des figures instigatrices de cette horreur, à savoir Adolf Hitler. Mizuki voulait savoir pourquoi il a perdu un bras, pourquoi tant de Japonais et d'hommes à travers le monde avaient souffert le martyre.
Hitler est un récit en quelques centaines de pages qui trace toute l'histoire, du début jusqu'à la fin, du Chancelier du IIIème Reich, persécuteur du peuple juif en Europe, leader de groupuscules d'extrême droite, élu démocratiquement après avoir fortement agité une Allemagne appauvrie par la Première Guerre mondiale et une grave crise économique. On l'observe étudiant déçu en art, on assiste à ses dérives idéologiques, on est éclairé des moyens pervers dont il a usés pour arriver à la tête de l'Allemagne. Et comment son Empire de la soi-disant race aryenne s'est effondré.
Mizuki est très principalement connu pour ses récits sur les Yokai. Marqué par la guerre à laquelle il a participé, il a écrit et dessiné plusieurs récits à ce sujet, principalement autobiographiques. Il est donc plus surprenant de le voir s'attaquer à un tel projet, sur une personnalité par ailleurs éloignée de son pays et sa culture. Et pourtant, il en résulte une œuvre d'une grande pertinence.
Peu de choses échappent au récit de Mizuki, qui est d'une grande exhaustivité. Surtout, il évite l'écueil de le présenter comme quelqu'un d'inhumain ou au contraire, de chercher à amoindrir ses actes en voulant à tout prix le décrire comme trop humain. Hitler était quelqu'un à l'idéologie déviante, fou, peut-on dire, et charismatique. Voilà le cocktail pour obtenir une catastrophe mondiale et on le voit à chaque page du récit de Mizuki. Par exemple, lorsque Hitler menaça de se suicider devant les dirigeants bavarois pour obtenir satisfaction, on ressent parfaitement l'aspect malsain de cet homme. Et on comprend mieux les troubles de cette époque.
On le savait, Mizuki est un formidable conteur. Aussi, on ne s'ennuie pas une seconde devant cette biographie, décrite avec minutie et force. Pour vous donner une idée du type de mise en scène choisie, fiez-vous à la quatrième de couverture, qui nous montre bien le style mortifère opté par Mizuki, quasi gothique. Le dessin est aussi de grande qualité, quoique caricatural au lieu de réaliste, comme souvent à cette époque (le manga date des années 1970).
L'édition de Cornélius est comme à l'accoutumée très qualitative : grand format, couverture cartonnée avec jaquette et papier de bonne qualité, tout comme l'impression. Cornélius ne déçoit jamais. Reste cette couverture très graphique, carrément gênante, mais après tout, pourquoi masquer le contenu ? Nous parlons d'un sujet en particulier, Hitler et le nazisme, et jamais Mizuki ne cautionne cette idéologie dans son ouvrage, bien au contraire.
En bref, Hitler est un manga incontournable, un roman graphique qu'il faut lire pour bien des aspects : pour appréhender le travail de cet immense artiste qu'est Shigeru Mizuki, pour son sujet, de nombreuses fois traités déjà, mais qui est une variante de qualité, et bien sûr le manga en lui-même, complètement captivant.