Gros Chat et la Sorcière grincheuse (le) Vol.1 : Critiques

Isekai Neko to Fukigen na Majo

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 06 Septembre 2023

Dire que les éditions Doki-Doki aiment les mangas félins et isekai est un euphémisme, au vu du nombre de représentants de ces deux genres que l'on trouve dans leur catalogue. Alors quand une oeuvre a l'idée de combiner ces deux registres, elle ne peut qu'atterrir dans le catalogue de l'éditeur mâconnais ! Cela aboutit donc à la publication française, à partir de ce mois de septembre, du manga Le Gros Chat et la Sorcière Grincheuse, une série signée Hiro Kashiwaba (mangaka que l'on découvre en France pour l'occasion), qui est a priori vouée à se finir au tome 5 (ça reste à confirmer), et qui est prépubliée au Japon depuis 2021 dans le magazine en ligne Yawaraka Spirits des éditions Shôgakukan sous le nom Isekai Neko to Fukigen na Majo (littéralement "Le Chat d'un Autre Monde et la Sorcière Grincheuse", la traduction française étant donc plutôt proche dans l'ensemble).

Cette histoire nous plonge d'emblée dans un autre monde quelque peu typé fantasy avec sa magie, ses créatures fictives et ses royaumes. C'est précisément dans l'un de ces royaumes, celui de Grifford, que prend place l'intrigue, et plus précisément aux confins de celui-ci, dans la forêt de Non-retour qui borde la ville de Darmeia. Au coeur de cette forêt désertée par les humains se trouve une habitation unique en son genre: une maison creuse dans le tronc d'un gigantesque arbre, dont on peut déjà saluer le design extérieur et intérieur. Et au sein de cette demeure vit Jeanne, une vieille dame qui, il y a encore peu de temps, était totalement seule, avant d'avoir invoqué une créature d'un autre monde avec sa magie, en guise de nouveau familier. S'agit-il d'un dragon tel qu'elle en avait autrefois ? D'une chimère ? D'un béhémoth ? Rien de tout ça: en guise de monstre, elle a eu la surprise de voir apparaître un énorme chat, bien plus grand qu'elle ! Et en plus d'être têtu, celui-ci est particulièrement encombrant...

Le moins que l'on puisse dire est que le récit semble commencer de manière assez légère, ne serait-ce qu'en détournant un peu les poncifs habituels de l'isekai: ici on est plongés d'emblée dans l'autre monde, et ce n'est pas un héros ou un quelconque humain qui y est transporté mais bien un bon gros matou on ne peut plus banal, à ceci près qu'il apparaît immense dans ce monde où tout est plus petit. Bien sûr, il y a au départ un décalage assez comique en voyant le félin géant se mouvoir dans un cadre souvent étroit pour lui. Et la part humoristique est encore renforcée par la difficulté qu'ont les deux personnages à s'apprivoiser, non seulement parce que le chat fait forcément des trucs de félin (comme se prélasser au lieu d'agir comme un familier), mais aussi parce que Jeanne n'a aucune idée de comment bien s'occuper de cette créature qu'elle n'avais auparavant jamais vue dans son monde, si bien que, par exemple, elle lui donne de drôles de choses en guise de nourriture là où le matou voudrait plutôt de bonnes vieilles croquettes.

On pourrait alors se dire que les choses vont se résumer à ça, que la série va se contenter de jouer sur cette relation avec humour et légèreté pendant quelques tomes et puis basta. mais ce serait un tort énorme. Car assez vite dans ce premier volume, on le sent: Hiro Kashiwaba a d'autres choses à raconter. Et ces choses, on va les découvrir petit à petit, au rythme des souvenirs revenant à la mémoire des deux "colocataires" au fur et à mesure de leurs interactions ensemble. Certains agissements du matou ont effectivement un don pour pousser la vieille dame à ressasser nombre de facettes de son passé: son enfance où elle fut considérée comme un monstre par ses propres parents à cause de sa puissante magie, son heure de gloire passée à vaincre le Roi démon avec son familier dragon et son compagnon le héros... Alors, qu'est-ce qui a amené cette femme à se retrouver seule et maussade dans sa maison au fin fond de la forêt, qui plus est en étant évitée voire conspuée par les citadins qui ne voient en elle qu'une vieille sorcière de mauvais augure et qui ont visiblement tout oublié de ses exploits d'il y a 50 ans ? C'est petit à petit, entre trahison et autres coups durs, qu'on va le découvrir, à travers une narration intelligente, distillant à petites doses ses flashbacks afin de mieux nous faire ressentir avec mélancolie l'existence de Jeanne, pour un résultat particulièrement touchant tant il est bien mené et nous faisant bien comprendre pourquoi et comment elle est devenue cette vieille dame solitaire et (faussement) acariâtre. Mais Jeanne n'est pas la seule à être développée: il a beau n'être qu'un chat, le transfuge félin a, au contact de la sorcière, lui aussi l'occasion de se remémorer sa vie d'avant. Son enfance de chaton abandonné, la présence réconfortante et bienveillante d'une vieille dame qui s'occupait soigneusement de lui, la façon tragique dont ça s'est terminé... avec, à la clé, quelques cases particulièrement touchantes quand elles se centrent sur le regard du chat.

A partir de là, c'est aussi autre chose que l'on ressent à la lecture: au-delà de l'histoire de deux personnages qui vont devoir s'apprivoiser, on a surtout le portrait de deux êtres unis par une difficile solitude, celle du chat ayant débuté récemment tandis que celle de la sorcière dure depuis un demi-siècle. Et ces deux êtres ont alors, ici, l'occasion de combler leur solitude: un lien profond se bâtit petit à petit entre eux deux, pour que l'une re-goûte à un peu de bonheur, de réconfort et de douceur après des décennies de solitude, et que l'autre ne revive pas les aspects les plus tristes de sa précédente vie.

"Je viens de comprendre pourquoi j'ai un si grand corps dans ce monde-ci. C'est afin que je ne sois plus jamais séparé de ma maîtresse."

Que dire de plus ? Eh bien, que visuellement aussi, c'est particulièrement beau dans l'ensemble. En plus de pouvoir compter sur des décors très soignés et immersifs (soulignons encore le charme bucolique de cette maisons-arbre), Hiro Kashiwaba peut compter sur les bonnes bouilles de son chat, sur des designs de personnages bien travaillés, et sur plusieurs planches jouissant vraiment d'un beau travail de composition (à l'image de la scène où l'on voit le chat occuper tout l'espace de la maison depuis l'extérieur, avec son énorme tête devant la fenêtre).

Qui plus est servi dans une excellente qualité d'édition (jaquette fidèle à l'originale japonaise, papier assez épais et opaque, très bonne impression, lettrage soigné du Studio Charon, et traduction très claire de Pascale Simon), ce premier tome hisse Le Gros Chat et la Sorcière Grincheuse parmi les meilleures surprises de 2023 dans sa catégorie, si ce n'est la meilleure surprise. Loin de se contenter de réunir deux genres porteurs (félins et isekai) sous couvert d'humour, cette tranche de vie, sous les talents visuels et narratifs de Hiro Kashiwaba, parvient à distiller un vrai flot d'émotions touchantes, au fur et à mesure que se dévoile le passé de ces deux âmes esseulées. Inutile de dire que l'on attendra avec impatience la suite, en espérant qu'elle confirmera cet excellent début.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs