Goggles - Manga

Goggles : Critiques

Goggles

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 07 Novembre 2013

Critique1
Remarqué en France et en Belgique avec la parution d'Undercurrent qui reçut à son époque de nombreux prix dans ces deux pays, Tetsuya Toyoda nous revient enfin en France avec un recueil de six nouvelles nommé Goggles, du nom de la nouvelle qui a lancé sa carrière d'auteur de manga en lui offrant le prix 4 Saison de Kôdansha.

La première nouvelle du recueil, nommée « Slider » et publiée en janvier 2008, nous propose, le temps d'une petite soixantaine de pages, de suivre les aventures de trois laissés pour compte : un chômeur, et intérimaire fauché et un écolier qui, un jour, découvrent dans une maison abandonnée une vieillard qui n'est autre que le dieu de la misère ! Décidé à se venger de ceux qui ont fait de lui ce qu'il est devenu, le chômeur Kôhei, accompagné de ses deux camarades, embarque le vieillard pour le présenter au fils prétentieux du patron du pachinko où il a l'habitude d'aller, puis au directeur de l'usine qui l'embauchait autrefois avant de le virer. Sous couvert d'humour et d'une pointe de fantastique tout juste esquissée, Tetsuya Toyoda dresse un petit portrait assez lisse mais criant de vérité sur le monde du travail et sur la manière dont les hauts placés, tel le directeur de l'usine, utilisent les personnes les plus modestes comme Kôhei. Du fait des quelques années de la nouvelle, les dessins restent assez simples, mais déjà portés par une mise en scène posée et des personnages à l'expressivité subtile.

Parue en avril 2011, la nouvelle « Mr, Bojangles » nous fait retrouver le détective privé Michio Yamazaki, déjà présent dans Undercurrent. Cette fois-ci, le détective part sur la trace d'un vieil homme qui se fait surnommer Mr. Bojangles, sur demande de sa cliente, une jeune femme qui a été marquée par ce gentil homme dans son enfance, et qui souhaiterait l'inviter à son mariage. De fil en aiguille, au gré de quelques rencontres, Yamazaki est amené à retracer les grandes étapes de la vie de cet homme. Se dresse alors le portrait d'un homme qui a connu des drames que tout le monde peut vivre et qui a cherché le réconfort comme il le pouvait, par exemple en s'occupant de fillettes lui rappelant sa propre enfant, tout en restant profondément énigmatique et quasiment insaisissable. Le ton est posé et réaliste, les dessins plus aboutis, et en seulement 26 pages, cette nouvelle se dresse comme un petit bijou d'émotion retenue.

Parue en septembre 2003, la nouvelle « Goggles », en plus d'offrir son nom au recueil, est aussi celle qui a permis à Tetsuya Toyoda de remporter le prix 4 Saisons de Kôdansha et de lancer sa carrière d'auteur de manga. On y retrouve Kôichi, l'intérimaire de « Slider », à une époque où, déjà fauché, il vit chez un dénommé Murata. L'histoire commence alors que Murata a recueilli une fillette d'une dizaine d'années, Hiroko, et qu'il a chargé Kôichi de s'en occuper pendant son absence. Seulement, Kôichi ne sait pas trop comment s'y prendre avec Hiroko, qui ne dit jamais rien, ne change jamais de vêtements, et ne se sépare jamais d'une paire de lunettes de protection fixées constamment sur ses yeux et qui constitue son plus cher souvenir de son grand-père décédé. Faisant du mieux qu'il peut, sans insister, Kôichi finit peu à peu par apprendre le parcours familial chaotique de la fillette qui l'a amenée à se replier sur elle-même.
Sur un ton calme, quasiment nonchalant et un rien mélancolique, le mangaka livre une histoire d'une petite soixantaine de pages tout en sensibilité et en délicatesse, qui soulève avec une émotion retenue le drame d'une fillette qui est la première victime des échecs sentimentaux et professionnels de ses parents, et où seule la présence de son grand-père était une consolation. Alors que la petite ne dit pas un mot, on se surprend à s'attacher tout naturellement à elle, tant le ton est juste. Et bien que la dernière page achève la nouvelle sur une petite note d'optimisme, c'est bien le ton réaliste qui l'emporte, soulevant avec beaucoup de subtilité un problème de société loin d'être rare. Du côté des dessins, malgré les doutes que le mangaka émet dans sa postface, on a droit à une œuvre de jeunesse qui visuellement a très bien vieilli, et qui excelle dans les expressions des visages, tout en nuances. Tout simplement, le nouvelle « Goggles » est un bijou, qui justifie à elle seule l'achat du recueil.

Publiée en janvier 2007, la nouvelle « Nouvelles acquisitions à la bouquinerie Tsukinoya » s'ancre dans un projet paru dans un numéro spécial du magazine « Hôsho Gekkan » ayant pour thème les livres d'occasion. Le temps de seulement deux pages, Tetsuya Toyoda nous propose d'y retrouver les personnages d'Undercurrent s'ils étaient devenus bouquinistes ou disquaires. Appuyée par une petite note finale humoristique, cette très courte nouvelle n'a d'intérêt que si vous connaissez Undercurrent. Et si vous n'avez jamais lu ce dernier, voici une lacune à combler de toute urgence !

S'étalant sur 26 pages, « Aller voir la mer » est une préquelle de « Goggles » publiée en novembre 2012, qui nous croque l'un des petits instants de bonheur de Hiroko en compagnie de son grand-père. Le temps d'un petit voyage en Desmo jusqu'à la plage, Tetsuya Toyoda nous invite à découvrir une Hiroko plus souriante, riant même aux éclats, tout en croquant de manière aussi limpide qu'évasive la mer. Un petit instant de bonheur fugace comme il en existe tant dans une vie, et qui complète à merveille « Goggles », tout en laissant le temps au grand-père de revenir sur la manière dont il a éduqué sa fille, la mère de Hiroko.

Parue en octobre 2012 la sixième et dernière nouvelle, nommée « Tonkatsu », nous invite à suivre pendant 46 pages des vies qui, quelques part, se ressemblent. Chiaki Fuwa est chargée d'aider un ancien employé de la banque où elle travaille, Mr Sakai, à retrouver un restaurant de tonkatsu où il allait souvent manger autrefois. Entre deux recherches, la jeune femme déjeune également avec son frère, qui connaît quelques problèmes dans son travail lié au milieu de l'édition, et aimerait également que sa sœur viennent à la cérémonie commémorant les deux ans de la mort de leur père. De fil en aiguille, au gré des recherches du tonkatsu, les problèmes familiaux et professionnels de chacun des trois principaux protagonistes sont soulevés, et à l'arrivée, chacun tirera des leçons de ses rencontres et de ses erreurs passées. Le ton est toujours aussi posé, bien que ponctué de quelques notes d'humour et d'une légère pointe de mélancolie autour du passé de Sakai. Une jolie manière de refermer le recueil, qui se boucle ainsi sur une histoire regroupant tous les thèmes chers à Toyoda : les problèmes familiaux et professionnels, ainsi que les errances et regrets plus personnels, tout juste esquissés.

Le retour en France de Tetsuya Toyoda est donc gagnant. On y retrouve toute la subtilité d'un auteur qui aborde ses thèmes de prédilection avec toujours autant de finesse que dans Undercurrent. Un recueil de très bonne facture, dont on aurait tort de se priver, d'autant que l'édition offerte par Ki-oon est très satisfaisante, avec une bonne qualité d'impression et une traduction sans fausse note.

koiwai


Critique 2

Ayant déjà remporté un grand succès avec Undercurrent, Tetsuya Toyoda revient dans nos vertes contrées avec un recueil d’histoires courtes empli de charme et de mélancolie.
Parmi les six que l’on trouve dans ce recueil, on trouve notamment celle qui a permit à l’auteur de commencer sa carrière de mangaka en recevant le prix Afternoon de Kodensha des mains même de Jiro Taniguchi, rien que ça !

En apparence les six histoires n’ont pas de liens entre elles, ou alors ces derniers sont assez subtils. Par de cohérence, pas de chronologie, juste six histoires pleine de belles choses à savourer indépendamment ou tel un ensemble.

L’histoire donnant son titre au recueil, à savoir Goggles, la troisième parmi les six, nous présente Koichi un jeune intérimaire vivant chez un salary man nommé Murata. Ce dernier se voit confier la garde d’une jeune fille qu’il confit lui même à Koichi. A priori aucun lien n’unit les différents protagonistes de cette histoire, mais au fil des pages on va apprendre à les connaître quelque peu, et notamment on va revenir sur l’histoire tragique de Hiroko, la jeune fille. Totalement mutique, cette dernière reste prostrée et silencieuse, en état de choc. Ne sachant que faire Koichi va essayer de l’occuper dans un premier temps avant d’essayer de lui rendre le sourire, voir carrément le goût à la vie.
Cette histoire est clairement la plus touchante du recueil, et pourtant Toyoda la traite tout en simplicité sans artifice. On découvre deux jeunes gens perdus dans un pays dont ils ne maîtrisent pas les codes qui vont tenter de s’en sortir ensemble malgré une errance qui ne semble les mener nul part. Très touchante, ce récit se termine sur une fin ouverte mais optimiste qui laisse entrevoir l’espoir pour la jeune Hiroko. Si jusque là, les histoires précédentes étaient agréables et maîtrisées, on comprend l’engouement provoqué par celle ci tant elle est mêlé habilement poésie, mélancolie, détresse et espoir.

Le lien le plus direct entre les différentes histoires se fait entre Goggles et la cinquième :« Aller voir la mer ». On y retrouve la jeune Hiroko avant les évènements dramatiques mentionnés le récit précité. Elle est alors en compagnie de son grand-père, la personne la plus proche de la jeune fille dont le décès provoquera le renfermement de cette dernière. Mais ici il est encore bien vivant et on assiste à un beau moment d’échange entre lui et sa petite fille. Un moment de petits bonheurs basés sur des choses simples. Le fait de retrouver ce grand père dont on connaît le destin le rend immédiatement attachant. Au passage sera évoqué la mère de Hiroko et la façon dont son père (le grand père donc) l’a élevé. Ici l’intérêt n’est pas d’expliquer les évènements qui conduiront à Goggles, mais bel et bien de profiter d’un moment heureux. Cette histoire s’avère d’autant plus touchante qu’on sait que la joie de vivre qui apparaît sur le visage de la jeune Hiroko est amené à disparaître !

La première histoire du recueil, « Slider », celle qui ouvre le bal est très certainement la plus étrange et peut être la moins accessible. On y découvre pour la première fois Koichi accompagné de deux de ses camarades aussi perdus que lui dont un chômeur. En jouant au base ball, ils envoient une balle casser un carreau dans une maison apparemment à l’abandon. Ils y découvriront un vieillard qui prétend être le dieu de la misère… Le chômeur, véritable héros de ce récit va alors se servir de lui pour se venger de ceux qui l’ont conduit à cette condition précaire.
On pourrait voir dans cette histoire une critique de la société capitaliste Japonaise, sur ses inégalités, y voir un regard plein de tendresse pour ses laisser pour compte, mais l’aspect fantastique et irrationnel du récit le rend difficile d’accès. Et malgré l’humour apporté par l’auteur on n’accroche pas forcément. Le fait de placer cette histoire en ouverture du recueil n’est peut être pas la meilleure idée qui soit car elle pourrait freiner d’entrée de jeu certains lecteurs (ce qui a failli être mon cas).

Et ce sera tout pour les liens concrets entre les différentes histoires.

Le second récit « Mr Bojangles », lui fait le lien avec Undercurrent en mettant en scène le détective Michio Yamazaki déjà présent dans le titre précité. Une jeune fille sur le point de se marier lui confie la mission de retrouver un vieil homme qui habitait à coté de chez elle autrefois et à qui elle doit beaucoup. Elle souhaite l’inviter à son mariage mais a perdu sa trace.
Au fil des pages on découvre la vie de ce fameux Mr Bojangles en même temps que le détective, cet homme n’était pas vraiment celui que la jeune fille croyait être, mais malgré l’absence de ce dernier sur tout le récit on ne s’empêcher de le trouver attachant de par un parcours atypique, une vie riche en événements. L’auteur nous propose ici une histoire pleine de sensibilité qui fait mouche immédiatement et vient contraster avec la première histoire, redonnant envie au lecteur de se plonger plus profondément dans ces histoires humaines et touchantes. Encore une fois tout en simplicité l’auteur arrive à nous toucher sans artifice. La fin de ce récit à elle seule pourrait résumer ce que l’auteur a tenté de faire passer au fil de ses histoires : liens unissant les être.

La quatrième histoire nous présente elle aussi des personnages de Undercurrent. S’étalant sur uniquement deux pages, ce récit est le résultat d’un projet sur les librairies d’occasions. Purement anecdotique, cette histoire amusante n’apporte absolument rien et n’est là que pour le clin d’œil.

Enfin la dernière histoire du recueil, la seule à n’avoir aucun lien ni avec les autres ni avec Undercurrent nous propose de suivre une jeune employée de banque accompagnant un retraité à la recherche d’un restaurant de Tonkatsu. Si dit comme ça, l’histoire ne s’avère pas passionnante, la recherche de ce restaurant est avant tout la recherche d’un passé perdu et la recherche d’une rédemption qui apparaît désormais impossible. Là encore on est touché par le talent narratif de l’auteur qui développe ses personnages peu à peu au détour de scènes pas forcément utiles en apparence pour le récit mais qui les rend humains. Ce vieil homme apparaissant excentrique se dévoile terriblement attachant et touchant. Là encore un ton mélancolique accompagne les pages plaçant le lecteur dans des dispositions adéquate.

Bien qu’inégales la majeure partie des histoires de ce recueil se révèlent extrêmement touchantes. Elles s’insèrent dans un Japon devenu égoïste et individualiste et tentent d’insister sur le lien unissant les gens et démontrent que ce lien n’a pas besoin d’être un lien de sang. Le respect et l’entraide sont les valeurs prônés par un auteur au talent justement reconnu qui se fait trop rare !

erkael
 

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Erkael

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs