Garden - Actualité manga

Garden : Critiques

Garden

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 06 Mars 2023

Pas moins de deux années après l'annonce de son acquisition par les éditions IMHO, la sortie française du recueil Garden d'Usamaru Furuya est enfin arrivée en ce tout début de mois de mars 2023, en nous permettant de découvrir plus en profondeur les premières années de carrière de l'atypique artiste, un peu plus de dix ans après la sortie française (elle aussi chez IMHO) de l'inventif et ultra référencé Palepoli qui reste le tout premier tome broché de la carrière du mangaka (pour rappel, il est sorti au Japon en 1996 et regroupe les travaux foisonnants que Furuya put concevoir pour le magazine avant-gardistes Garo depuis ses débuts professionnels en 1994).

Initialement paru dans son pays d'origine en avril 2000, Garden regroupe, sur environ 230 pages, 7 histoires, dont l'une est encore plus particulière que les autres: en nous invitant tout simplement à suivre un homme cherchant à mourir avec le sourire après avoir été poignardé, le tout sur seulement 8 pages composées chacune de 4 cases de taille égale, le tout dans un style visuel assez dépouillé et avec une délicieuse part décalée d'humour noir, "Au revoir avec le sourire" est tout simplement le tout premier manga dessinée par Furuya, avant même ses débuts professionnels, en décembre 1993. Les 6 autres histoires, de longueurs très, très variables (certains ne durent qu'une dizaine de pages quand la dernière, la plus longue, occupe quasiment toute la deuxième moitié du livre), ont été initialement prépubliées au Japon dans trois magazines bien connus pour leur liberté créatrice: le Garo des éditions Seirindô bien sûr, mais aussi le Comic Cue d'East Press, ainsi que le Manga Erotics d'Ohta Shuppan.

Au programme des six autres histoires, pas mal de choses différentes. Une fille rejetée par son entourage parce qu'elle est soi disant différente en n'étant pas née nue, et qui va alors devoir découvrir le plus profond d'elle-même en se débarrassant de chaque coche de son corps. Une adolescente vierge à qui un ange est venue dire qu'elle enfantera d'un bébé spécial, et qui veut alors briser ce destin qu'elle n'a pas demandé en perdant sa virginité. Une lycéenne jalouse de la beauté de son innocente amie et qui va alors essayer de la salir. Une jeune fille qui recueille une bien étrange machine. L'amitié naissante entre un garçon au service de son maître et une fillette vouée à être sacrifiée, sur une île secrète où l'on pratique de très étranges rites depuis bien longtemps. Et une jeune fille qui, en sortant pour la première fois de chez elle pour accomplir une mission confiée par ses proches, tombe directement sur tout l'horreur de l'âme humaine dans une dense forêt.

A chaque fois, les univers imaginés par Furuya, qu'il soient totalement fantaisistes ou qu'ils se raccrochent en partie à notre réalité, ont assurément pour point commun de tous déballer sous nos yeux la part la plus sombre de Furuya, et d'exposer nombre de tares de notre espèce humaine, que ce soit autour de la beauté superficielle et des apparences, du rejet de ce qui est différent, de la religion, du sexe, du désir de choisir son destin, de la jalousie, de la technologie, de la recherche de l'immortalité et autres folies, de la guerre avec toutes ses dérives possibles (prostitution enfantine en tête), et on en passe. Mais quand on connaît déjà ses oeuvres les plus expérimentales et jusqu'au-boutistes comme Palepoli, on se doute bien que l'auteur va dépeindre tout cela d'une manière bien à lui, et ça ne manque pas.

Furuya, qui a été enseignant en Beaux-Arts avant d'être mangaka, met effectivement à profit ses connaissances et ses influences pour multiplier les références, chose qu'il effectuait déjà avec Palepoli mais sur des domaines encore plus diversifiés (en allant piocher jusque dans la culture populaire de ces dernières décennies. Ici, la plus évidente des références est celle du peintre primitif flamand Hyeronimus Bosch (ou Jérôme Bosch) et son Jardin des Délices, qui nourrit fidèlement la toute première histoire du recueil, chose d'autant plus frappante que ladite histoire est entièrement en couleurs. C'est d'ailleurs sur la base de cette peinture que le recueil se nomme Garden, et que chaque histoire a été intitulée "Le Jardin de...", chaque titre renvoyant à une idée: les illusions, le plaisir, l'éveil, les conflits, les sciences, les regrets, et la destruction. Mais Furuya ne s'arrête pas à cela et fait régulièrement écho à des choses religieuses/théologiques, ésotériques (comme l'alchimie) et plus encore, quand il ne cite pas des sources plus contemporaines comme l'historien Andrea Aromatico qui a écrit sur l'alchimie.

Le mangaka puise donc dans ses nombreuses connaissances et influences pour croquer des histoires qui ont également le mérite de beaucoup se diversifier sur le plan visuels. Le découpage peu académique de la première histoire (cases collées, emboîtées mais rarement carrées vire parfois arrondies) donne des impressions de tableaux à la Bosch. La deuxième histoire propose des designs plus "habituels de Furuya" là où la troisième histoire présente des choses plus fines/vaporeuses. L'histoire sur l'île présente un style plus dense, plus noir, avec des encrages et ombrages plus marqués, et un design du maître ayant un peu un rendu digne d'une gravure ou d'une sculpture d'il y a quelques siècles (quelque part entre une silhouette à la Léonard de Vinci et une statue plus ancienne). La plus marquante et la plus déstabilisante reste toutefois la dernière histoire, qui pourrait soulever le coeur de plus d'une personne par sa profonde violence visuelle (en tête, torture et meurtres de petites filles où rien n'est épargné), que le dessinateur rend particulièrement éprouvante voire insoutenable à travers un dessin très riche et brut et surtout via une permanence déconstruction des cases, où le côté anarchique du rendu colle parfaitement avec la folie brutale de ce qui nous est montré. "Petite Emi" fait partie de ces oeuvres qui, quoi qu'on en pense, laissent une empreinte indélébile, plus encore quand on apprend dans la postface de Furuya dans quel contexte de noirceur l'auteur l'a dessinée en roue libre, un peu comme une catharsis pour évacuer ses idées noires à une époque difficile de sa vie. Enfin, de manière plus générale, signalons quand même que, étant donné que ces histoires ont été publiées dans des magazines d'avant-garde laissant une très grande liberté d'expression à ses artistes, Furuya peut se permettre ici beaucoup de choses, y compris dans certaines représentations de la nudité et de l'érotisme. Mais comme le dit un de ses personnages à un moment, ce n'est qu'un manga, et les mangas sont pleins de mensonges.

Garden est un recueil à ranger précieusement à côté du culte Palepoli, parmi les oeuvres de jeunesse de Furuya où l'artiste peut se permettre beaucoup de choses, en laissant libre cour à son inventivité au croisement de multiples influences, et en posant bien souvent un regard particulièrement sombre sur l'humain. L'ouvrage, qui est peut-être le plus torturé du mangaka, n'a pas volé sa réputation, et n'est évidemment pas à mettre entre toutes les mains. Qui plus est, l'édition française que lui offre IMHO est satisfaisante dans l'ensemble, sa principale lacune étant d'avoir laissé passer bien trop de petites coquilles d'inattention dans les textes. A part ça, on retrouve le grand format sans jaquette ni rabat typique de l'éditeur, avec une très bonne qualité de papier et d'impression. En gros plus, il y a évidemment la première histoire entièrement en couleurs, et la postface où Furuya revient un peu sur chaque histoire entre autres choses.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs