Froid glacial : Critiques

Itô Junji Kessaku-shû: Umeku Haisuikan

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 31 Octobre 2025

Sorti chez Mangetsu dans les derniers jours de ce mois d'octobre pour coller au mieux à l'arrivée de Halloween, Froid Glacial ( "Umeku Haisuikan" en version originale ) vient achever une année 2025 particulièrement riche pour Junji Ito en France, le point d'orgue ayant bien sûr été sa venue à Paris en juillet dernier en tant qu'invité d'honneur de Japan Expo. Mais la portée symbolique du présent ouvrage va plus loin que ça, puisqu'il s'agit aussi du dernier volume de la collection "Junji Ito Masterpiece" à être proposé dans notre langue. Avec celui-ci, cette vaste anthologie du maître est désormais au complet, ce qui signifie que quasiment toutes ses histoires courtes sont à présent disponibles en France, et que les publications françaises d'Ito vont désormais se faire plus rares... Alors, en clou du spectacle, il fallait bien un volume de la carrure de Froid Glacial, particulièrement bon !

S'inscrivant chronologiquement juste après le recueil "Dans l'ombre" (sorti en France en avril dernier), Froid Glacial regroupe huit histoires initialement publiées par Ito entre juillet 1993 et mai 1994, les six premières ayant vu le jour dans le magazine de shôjo d'horreur Halloween, et les deux dernières provenant de son dérivé le Nemuki. Au fil de ces récits, il est tour à tour question d'un club d'adeptes de phénomènes paranormaux troublé par l'arrivée d'un nouveau membre très étrange qui semble être à l'origine d'événements incompréhensibles en ville, de sinistres râles s'échappant de tuyaux de canalisation, d'une sorte de forêt dont les fruits gorgés de sang se font trop envahissants et parasitaires, de personnes agressées par des ballons de baudruche ressemblant trait pour trait à leur propre visage, d'un spectacle de marionnettes peu rassurant où ce sont les pantins qui semblent tirer les ficelles, d'un enfant dont la chair et l'épiderme font froid dans le dos, de la disparition soudaine d'un avion en plein ciel, et d'une capsule temporelle de mauvais augure.

Ancrées dans une période où l'imagination d'Ito était particulièrement foisonnante, ces récits ont tous de quoi susciter l'inquiétude pour une raison simple et très récurrente chez l'auteur, à savoir sa faculté à puiser son idée de départ dans le moindre petit élément (des canalisations telles qu'il y en a dans beaucoup de maisons, des ballons, un spectacle de marionnettes normalement innocent, le déterrage d'une capsule temporelle qui est normalement symbole de bons souvenirs nostalgiques...) pour ensuite faire dériver les choses vers l'incompréhensible, l'impensable, jusqu'à des chutes tantôt dramatiques, tantôt soudaines et toujours glaçantes... jusqu'à même faire ressortir certaines des pires affres des émotions humaines.

Car ici, très souvent, et quelle que soit la manière, les humains, qu'ils soient bourreaux ou victimes, sont rarement étrangers aux événements qui se déroulent. Les actes des "bourreaux" peuvent découler de sentiments très négatifs, comme la curiosité malsaine ou la jalousie, quand ils ne sont pas dus à leur nature même, à l'image du nouveau membre du club de paranormal dans la première histoire ou du "vampire nouvelle génération" du troisième récit. Quant aux victimes, elles ont vite fait de céder à la peur, à la panique, à la rage, au dépit ou à la folie, quitte à envenimer les situations plus d'une fois.

Cela nous offre déjà des visions d'horreur très complètes, tant Ito y joue sur différents créneaux... y compris dans les ambiances-mêmes, parfaitement servies par un travail graphique souvent ingénieux quand il s'agit de nous faire ressentir des sensations de malaise très variées. Ainsi, comment ne pas suffoquer à l'idée d'être aspiré de force par des canalisations, ne pas avoir un certain dégoût à l'idée d'avoir des fruits gorgés de sang nous parasitant le cou (partie du corps vraiment bien choisi par l'auteur, tant elle est importante et sensible), ou ne pas être complètement pétrifié en voyant le ciel envahi de ballons meurtriers à visages humains et parmi lesquels il y a forcément notre propre visage ? Sur ce dernier point, difficile de ne pas saluer, en particulier, toute la maestria des "Ballons Pendus", histoire souvent citée parmi les meilleures d'Ito, que l'auteur considère lui-même comme une de ses préférées dans sa pourtant riche carrière, et où il pousse toujours plus loin sa très sinistre interprétation du motif du doppelgänger, du double, du sosie.

En somme, difficile de mieux achever la vaste anthologie d'histoires courtes de Junji Ito, tant Froid Glacial regroupe un bon paquet des aspects étranges, angoissants et horrifiques que l'on peut aimer chez Junji Ito. Il s'agit d'un beau pavé de 400 pages qui se dévore et qui, comme ses prédécesseurs, est proposé dans l'habituelle belle édition luxueuse typique de la collection. Et si l'on notera l'absence de préface cette fois-ci (très gadget, de toute façon), on saluera à nouveau le travail de Morolian qui, pour son ultime postface, offre un beau travail en se basant notamment sur "Terroriser - La méthode Junji Ito", ouvrage sorti en France cet été.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs