Fool Night Vol.1 - Manga

Fool Night Vol.1 : Critiques

Fool Night

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 04 Mai 2022

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les éditions Glénat ont su nous séduire avec leurs deux premières nouveautés seinen de 2002, à savoir Le Livre des sorcières et L'oiseau d'or de Kainis (même si ce dernier a été classé dans la jeune collection shôjo+ de l'éditeur), deux récits assez originaux et élaborés, en plus de nous avoir permis de découvrir en France deux mangakas prometteuses. Et en ces premiers jours de mai, l'éditeur semble vouloir récidiver en proposant de découvrir la toute première série d'un certain Kasumi Yasuda: Fool Night, une oeuvre au pitch on ne peut plus intrigant et qui a notamment reçu des éloges de la part des mangakas Shuzo Oshimi et Sui Ishida (rien que ça). Lancée en 2020 dans les pages du magazine Big Comic Superior de Shôgakukan (magazine dont sont aussi issues les séries Pour le pire, Les liens du sang et La Danse du Soleil et de la Lune, entre autres), cette oeuvre suit toujours son cours, avec trois tomes parus au japon à l'heure où ces lignes sont écrites.

Fool Night nous plonge dans un futur assez lointain, où les conditions de vie humaines ont bien changé. Voilà une centaine d'années qu'un épais nuage, sans doute dû à l'activité humaine, empêche le Soleil d'éclairer la planète Terre, avec tout le mal que ça peut impliquer. Dans ce monde qui serait constamment plongé dans le noir s'il n'y avait pas l'électricité, la nuit et l'hiver se prolongèrent donc indéfiniment, si bien que les végétaux, si nécessaires à la vie, périrent. Pour pouvoir continuer de respirer et de vivre, l'espèce humaine mit alors au point la technique de la "transfloraison", un procédé permettant de transformer les humains en plantes, petit à petit, afin que ceux-ci puissent pallier au manque de végétaux. Il suffit de semer une graine spéciale à l'intérieur du corps d'un individu proche de la mort pour que, peu à peu, son corps et son âme soient consumés en servant de terreau au végétal. Il faut environ deux ans aux humains transflorés pour devenu intégralement une plante prenant alors le nom de "sanctiflore", en générant ainsi de l'oxygène et de l'air pur permettant la survie de l'humanité, non sans perdre toujours plus l'usage de la parole jusqu'à ne plus pouvoir être compris par les humains. il s'agit donc d'une sorte de sacrifice, mais qui n'est pas ouvert à tout le monde: seule les personnes très malades ou en fin de vie peuvent faire ce choix sur justification du mal qui les ronge, et évidemment rien n'est obligatoire et il faut le consentement de la personne concernée. Mais pour permettre aux transflorés de passer leurs deux dernières années de vie humaine comme bon leur semble, l'Etat verse une indemnité de dix millions de yens aux volontaires, et c'est précisément cette indemnité que vise Toshiro. Jeune homme que rien de bon n'attend dans la vie entre un travail où il est exploité, une mère sénile et agressive dont il peine à payer les soins, et une pauvreté totale, il décide de porter sa candidature auprès de Yomiko, une amie d'enfance sérieuse qui travaille pour l'institut de transfloraison. Mais alors que la jeune femme rejette d'abord la demande de Toshiro car il est encore jeune et n'est pas gravement malade, le jeune homme désespéré insiste au point de la faire céder. Mais quelque temps après que son opération a eu lieu, Yomiko recroise dans la rue un Toshiro toujours aussi mal en point, mais qui semble avoir acquis une capacité qu'elle n'a jamais vue: il peut comprendre la langue et ressentir les états d'âme des autres transflorés...

Kasumi Yasuda nous immisce donc dans un univers assez original et intrigant puisque humains et végétaux s'y confondent. Et cela, l'auteur parvient à nous le faire ressentir à merveille dès les premières pages où l'on suit simplement deux adolescentes marchant et parlant avec entrain de choses tout à fait banales alors que, sur les côtés, leurs pas son jonchés d'être inanimés, humains en train de connaître depuis plus ou moins longtemps leur transformation en plante, le tout dans des designs qui se veulent assez élaborés et qui peuvent apparaître tour à tour aussi déstabilisants et glauques que beaux et fascinants. Et puisque l'on parle déjà de l'aspect visuel, autant continuer dessus, en soulignant les qualités d'un dessinateur qui, pour une première oeuvre, impressionne plus d'une fois: si l'on appréciera ses designs de personnages assez fins, expressifs et plutôt personnels, on saluera tout autant sa gestion des décors immersifs à souhait avec des angles de vue soignés ainsi qu'un travail très propre sur l'encrage et les trames. mais surtout, il y aura de quoi se régaler face à une gestion des cases régulièrement ambitieuse, entre plusieurs scènes assez cinématographiques découpant à merveille l'action des personnages sur des décors fixes, et quelques moments ayant une certaine audace (à l'image d'un zoom jusqu'à l'intérieur de l'oreille de Toshiro lorsqu'il tâche de percevoir le ressenti des transflorés).

Un excellent travail visuel, donc, au service d'un univers qui se pose vite et bien dans les premières pages et qui ne cesse ensuite de s'enrichir au fil du parcours de Toshiro. Le jeune homme, du fait de son don unique et qui pourrait se révéler utile, parvient à se faire embaucher à l'institut de transfloraison en tant qu'employé à part, a ainsi l'occasion d'enfin obtenir un salaire décent, mais se voit également confier des premières tâches intéressantes. Et tandis qu'un fil rouge semble se dessiner avec la recherche d'une jeune fille transflorée ayant décidé d'atteindre le Pôle Sud, dans l'immédiat notre héros se voit confier par Yumiko un premier vrai travail délicat, centré sur le désir d'une jeune pianiste prometteuse de retrouver la trace de son père, qui a disparu de la circulation après avoir été transfloré pour payer les études de sa fille. La jeune femme affirme vouloir retrouver ce père pour lui rendre hommage, mais qu'en est-il en réalité ? Tout en rendant son récit captivant par la manière dont Toshiro communique avec ces plantes qui étaient autrefois des humains, Yasuda parvient aussi à sonder certains tréfonds de l'âme humaine et de certains de ces problèmes, entre les soucis initiaux de Toshiro et ensuite le ressenti que la jeune pianiste a réellement envers un père castrateur.

Pour le premier volume de Fool Night et le premier volume de sa carrière, le jeune mangaka Kasumi Yoshida frappe fort, en installant parfaitement, sous un style visuel très travaillé, un univers plutôt original et captivant, dont les enrichissements sont déjà multiples entre le principe-même de l'oeuvre et les premiers développements humains. Une oeuvre à suivre de près, assurément.

Côté édition, Glénat nous offre une copie soignée, en premier lieu grâce à la traduction vraiment claire de Hana Kanehisa et où les différents termes spécifiques (transfloraison, etc) ont été retranscrits en français avec une certaine logique. Bien que fin, le papier ne montre aucune transparence et permet une qualité d'impression tout à fait honorable. Enfin, le lettrage du Studio Charon est propre, la jaquette reste proche de l'originale japonaise, et les quatre premières pages en couleurs constituent un petit plus sympathique.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs