Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 29 Janvier 2024
Quiconque suit d'assez près les publications des éditions Akata ne peut ignorer la volonté de celles-ci de mettre en avant, parmi bien d'autres sujets de société actuels, le handicap sous ses différentes formes: de Perfect World à A sign of affection en passant par Running Girl ou encore The Sound of my Soul, les exemples ne manquent pas. Et c'est précisément ce sujet important qui est, une nouvelle fois, évoqué dans la toute première nouveauté de l'éditeur pour cette année 2024, année justement importante sur le sujet avec l'arrivée prochaine des Jeux Paralympiques de Paris: Fends le vent !, une série qui est achevée en 5 volumes et que l'on doit à Wataru Midori, une mangaka jusqu'à présent inédite en France mais qui, au Japon, a déjà eu l'occasion de s'essayer à différents registres depuis ses débuts professionnels en 2016. De son nom original Atarashii Ashi de Kakenukero (littéralement "Courir avec de nouvelles jambes"), cette oeuvre a été lancée dans son pays d'origine au sein du très bon magazine Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan (magazine ayant vu passer plusieurs mangas d'Inio Asano, Taiyou Matsumoto ou encore Keigo Shinzo, entre autres) en 2019 (soit un peu avant l'été 2020 qui devait être marqué par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tôkyô, ce qui n'est pas anodin vu le sujet de la série), et s'est achevée en fin d'année 2020.
L'histoire nous immisce auprès de Shôta Kikuzato, un adolescent qui, encore quelque temps auparavant, n'avait pas de souci. Sportif, et même star du club de football au collège, il avait pris soin de s'inscrire dans un lycée réputé pour son club dédié au ballon rond, et aurait dû théoriquement bien s'y intégrer. Mais malheureusement, le sort en a décidé autrement: après avoir perdu sa jambe gauche, il n'a finalement jamais eu l'occasion de jouer dans le club. Et après des mois de rééducation, il a forcément perdu une année scolaire, ses anciens camarades qu'ils connaissait à peine sont passés en deuxième année tandis que lui repique la première, et les élèves de sa nouvelle classe restent plutôt distants avec lui, comme s'ils ne savaient pas comment se comporter vis-à-vis de sa jambe perdue et de la prothèse qui la remplace. Depuis ces événements que l'on devine forcément très douloureux à vivre, Shôta se contente de vivre au jour le jour sans se projeter dans l'avenir, et en n'ayant pas vraiment de goût pour grand chose... du moins, jusqu'à ce qu'un coup de pouce du destin place sur sa route le dénommée Chidori, un homme qui a repéré sa prothèse sous son pantalon, qui a été épaté par un sprint qu'il a réussi à faire avec, qui est justement orthoprothésiste, et qui a un projet à lui soumettre: l'aider à tester une prothèse d'un tout autre genre, à savoir une lame de compétitions d'athlétisme. L'univers du handisport pourrait bien, alors, s'ouvrir en grand pour le jeune garçon...
Ce pitch de base vous rappelle pas mal un autre manga d'Akata ? Ce ne serait pas du tout étonnant, puisqu'il est ici difficile de ne pas penser à Running Girl, joli shôjo en 3 tomes de Narumi Shigematsu qui est sorti en France en 2020, et qui narrait la course d'une attachante adolescente amputée pour participer, à l'aide de la lame remplaçant sa jambe, aux compétitions d'athlétisme des Jeux Paralympiques de Tôkyô. Le sujet de base est tellement similaire que l'on pourrait se dire que Fends le vent ! sera une sorte de penchant plus masculin de Running Girl et que les deux oeuvres se feront écho (ce qui, en passant, souligne à nouveau la cohérence du catalogue d'Akata). Toutefois, la série de Wataru Midori semble déjà, dans ce premier tome, prendre une voie un peu différente, histoire de ne pas avoir un sentiment de "copié-collé" entre les deux séries.
En effet, ici, tout commence alors que Shôta a déjà été amputé, a déjà effectué sa rééducation et a déjà réintégré le lycée, ce qui nous fait rater nombre d'étapes importantes sur le délicat thème d'apprendre à se relever d'un tel drame (mais si vous voulez un manga traitant avec force de la rééducation sportive suite à ce genre de drame, on ne peut que vous renvoyer vers le cultissime Real de Takehiko Inoue, disponible aux éditions Kana). une part du lectorat trouvera peut-être cela dommage, mais au moins l'autrice s'offre l'occasion de lancer plus vite ce qui semble l'intéresser le plus, à savoir le parcours que va désormais essayer de se forger Shôta dans l'athlétisme pour les personnes handicapées. Et de ce point de vue là, ce tome de mise en place se révèle classique dans son déroulement, voire un petit peu maladroit sur certains points très secondaires, mais franchement efficace dans l'ensemble.
Classique, car l'enchaînement des premiers événements va vite, voire manque de quelques à-côté pourtant assez cruciaux (par exemple, il aurait été logique et intéressant d'avoir un peu le point de vue des parents de Shôta sur la voie qu'il commence déjà à suivre), et parce qu'on nage sur des choses très courantes du genre au niveau de thématiques très universelles (le dépassement de soi pour se relever et se reforger un goût pour la vie) et des premiers enrichissements (à l'issue du tome, l'inévitable rival stimulant semble d'ores et déjà en place). Un peu maladroit, car certains petits comportements presque laxistes de Chidori peuvent faire légèrement tiquer (le bonhomme semble plus penser à tester ses lames qu'au bien-être de son "cobaye", par moments). Mais efficace car, concrètement, tout est bien mis en place, mais aussi parce que l'autrice propose un dessin qui se veut soigné et donc documenté sur le sujet (on pense surtout au rendu des lames), parce que les premiers petits éléments techniques là-dessus sont suffisamment intéressants (même si la mangaka reste très peu explicative pour l'instant), et parce que l'on ressent avec suffisamment de force le renaissance qui commence à s'opérer en Shôta, une véritable admiration/passion commençant à naître en lui face à cet univers de l'athlétisme handisport, si bien que l'on se laissera sans doute facilement emporter par ses enjambées dans les volumes suivants.
Ce premier tome est donc assez réussi dans l'ensemble, ne serait-ce que pour son sujet important qui ne sera jamais assez mis en valeur. On attend un peu plus de profondeur sur le sujet par la suite, mais dans l'immédiat on reste bien accroché aux débuts du parcours de Shôta, et c'est bien là l'essentiel.
Côté édition, on a droit à l'habituel format seinen d'Akata pour cette série qui rejoint le label Medium de l'éditeur: le papier est bien épais et assez opaque même s'il y a parfois une légère transparence, l'impression est très bonne, les trois premières pages en couleurs sont à saluer, le lettrage assuré par San-G est très propre, la traduction de François Boulanger est claire, et la jaquette reprend fidèlement l'illustration de la version japonaise tout en s'offrant un logo-titre bien plus dynamique, percutant et dont très bien imaginé de la part de Tom "spAde" Bertrand.