Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 19 Juin 2024
Le début de ce mois de juin a permis aux éditions Mahô d'accueillir dans leur catalogue un bien joli one-shot taïwanais au format manga: Le Fauve des nuées, sorti dans son pays d'origine en 2020 et signé Michael Shau. Supervisé par le Musée national de Taïwan et édité là-bas par Gaea Books, c'est ouvrage de près de 200 pages mais avant tout en valeur l'héritage naturel de l'île, a été recommandé par le ministère de la Culture de Taïwan en 2021 comme une lecture extrascolaire exceptionnelle, et a reçu le prestigieux Grand Prix aux Golden Comics Awards lors de cette même année.
L'oeuvre a pour figure centrale un animal emblématique de Taïwan: la panthère nébuleuse, une espèce très rare et très discrète si bien qu'elle est considérée comme éteinte aujourd'hui sur l'île, tandis qu'elle continue de subsister dans certains autres recoins de l'Asie du sud-est. On commence par suivre Tiaotiao, un représentant de cette noble espèce, à une époque bien éloignée de la nôtre, et alors qu'il vient d'atteindre l'âge adulte du haut de sa première année de vie. vivant paisiblement au fond de la forêt vierge, le fauve solitaire s'adonne à ses occupations: la chasse nocturnes pour subsister, la rivalité contre un autre mâle pour rester sur son territoire, la rencontre avec une femelle pour assurer sa descendance... En somme, on a là tout ce qui fait la vie simple d'un animal sauvage, tout du moins jusqu'à ce que l'espèce humaine finisse par apparaître sur ces terres, avec son lot de problématiques.
Au fil de ses cinq chapitres, l'auteur nous propose tout bonnement, à chacun d'eux, de nous plonger à une période différente de l'histoire de Taïwan, depuis des temps reculés où l'homme n'était pas encore sur l'île et jusqu'à nos jours, au fil de certaines des différentes générations de félins sauvages ayant succédé à Tiaotiao. Ainsi, alors que le premier chapitre s'apparenterait presque à un fascinant documentaire animalier nous présentant le mode de vie de la panthère nébuleuse, Michael Shau finit par évoquer bien d'autres choses: quelques étapes historiques de la présence humain sur l'île (notamment certains missionnaires et naturalistes), l'impact toujours grandissant de la patte humaine et de sa bêtise (guerres, querelles de pouvoir...) sur la nature de l'île et forcément aussi sur l'habitat du fauve... mais aussi, à travers des notes fantastiques/surnaturelles (les légendes, les croyances, les prédictions d'une humaine, ou l'omniprésence du fantôme d'une panthère dans les dernières dizaines de pages), une mise en valeur assez prégnante et un brin poétique de l'indéfectible lien que l'homme a avec la nature même quand il la malmène. Jusqu'à aboutir, dans la dernière partie, à l'abord des musées comme lieux essentiels pour transmettre et continuer de faire vivre un héritage parfois disparu (et forcément, on comprend tout de suite pourquoi le Musée national de Taïwan a supervisé l'ouvrage).
Pour mener ce beau et surprenant projet où le fauve devient le spectateur et gardien des évolution de l'île, l'auteur livre un travail visuel de toute beauté: en plus de croquer des décors soignés (de la nature et du musée, entre autres) et de mettre en valeur la panthère via un rendu assez riche et crédible, Michael Shau sait aussi glisser des notes plus légères via des designs plus relâchés et expressifs, ce qui semble pouvoir toucher plus facilement tous les publics, y compris les plus jeunes qui pourraient y trouver un aspect un peu éducatif sur certaines éléments de l'Histoire de Taïwan et, surtout, sur l'importance d'une coexistence harmonieuse entre l'espèce humaine et le règne animal.
Le Fauve des nuées est donc une très jolie pioche de la part des éditions Mahô, d'autant plus que l'oeuvre est servie dans une jolie édition: la jaquette attire l'oeil avec sa belle illustration et son logo-titre rehaussé d'un vernis sélectif, les huit premières pages en couleurs sur papier glacé sont un ravissement pour les yeux grâce aux ravissantes illustrations proposées, le papier à la fois assez souple, épais et bien opaque permet une très bonne impression, le lettrage est propre, et la traduction d'Emilie Gervaise est très claire.