Dernier écho de notre existence (le) Vol.1 : Critiques

Ginga Rocket ni Ohagaki Kudasai

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 07 Août 2025

Illustre mangaka de science-fiction, bien connu entre autres pour les mangas Gundam Thunderbolt (inédit en France à ce jour), Moonlight Mile (partiellement sorti chez Panini autrefois) ou encore Front Mission - Dog Life and Dog Style (autrefois paru chez Ki-oon), Yasuo Ohtagaki a fait une incursion dans la collection Moonlight des éditions Delcourt/Tonkam le mois dernier avec une courte série en deux tomes pour laquelle il s'est associé à Yuuki Ohta, en charge du dessin, jamais publié(e) en France auparavant, mais dont la carrière au Japon dure depuis une quinzaine d'années en ayant été notamment marquée par sa version manga du célèbre anime Eve no Jikan/Time of Eve. De son nom original "Ginga Rocket ni Ohagaki Kudasai" (littéralement "Veuillez envoyer une carte postale à Ginga Rocket" ), Le dernier écho de notre existence a été prépublié dans son pays d'origine en 2015-2016 dans le magazine Big Gangan de Square Enix, et son titre français laisse déjà bien deviner la teneur de ce qui nous attend dans cette oeuvre qui, derrière son contexte de science-fiction, reste avant tout très humaine dans le portrait de ses personnages.

Tout commence par une journée qui semble totalement normale, puisque chacun vaque à ses occupations, à son quotidien, à sa routine... du moins, jusqu'à ce qu'un message gouvernemental, suite aux observations du centre de prévention des catastrophe de Saitama, n'annonce la terrible et inévitable fin de l'espèce humaine d'ici peu: dans dix mois, une météorite est vouée à balayer la planète Terre, à emporter avec elle toute forme de vie, et absolument rien ne pourra empêcher cela. Dans ce contexte qui devient naturellement vite chaotique, le gouvernement japonais a, de son côté, décidé de mettre au point la Ginga Rocket, une fusée ayant pour but de récolter les derniers messages de la population afin de les envoyer dans la Voie lactée et laisser ainsi une trace de leur existence, dans l'espoir qu'un jour une autre forme de vie intelligente tombe dessus et comprenne qu'autrefois l'espèce humaine a existé...

Prenant ici le parti d'offrir de la science-fiction au parfum d'apocalypse puisque la fin de la planète Terre et de toutes ses formes de vie est imminente, Yasuo Ohtagaki livre une histoire qui, loin de toute esbroufe, se veut en réalité réaliste et humaine avant tout.
Réaliste, car l'auteur s'applique à imaginer toutes les conséquences qu'un tel contexte pourrait avoir sur les hommes, sur leur comportement, et sur l'état de la société humaine de manière générale: ainsi, en toile de fond, notamment à travers les informations, il sera souvent question de choses comme les suicides qui se multiplient à cause du désespoir, les vols et autres exactions, l'inflation et autres aberrations économiques (comme l'augmentation drastique du coût de la nourriture, entraînant forcément les vols et autres choses), le chacun pour soi risquant de prendre ses droits à tout moment... ces aspects étant parfois voués à avoir un impact plus ou moins fort sur les personnages que nous serons amenés à suivre.
Et humaine car, justement, dans ce contexte où le chaos va crescendo, Ohtagaki vise avant tout à décortiquer, dans une atmosphère intimiste et assez posée, le ressenti et les choix d'une poignée de personnages qui ont chacun des choses touchantes à véhiculer.

Dans ce premier tome, ce sont avant tout deux personnages en particulier que l'on va suivre à tour de rôle, au fil de deux histoires différentes mais subtilement connectées puisque le personnage principal de la deuxième histoire est d'abord un personnage secondaire de la première, un procédé intelligent qui nous fera directement ressentir l'aspect humain en bien comme en moins bien puisque Takashi, qui pourrait d'abord sembler égoïste dans le premier récit, dévoilera bien d'autres choses lorsque l'oeuvre se focalisera sur lui.

On commence donc d'abord par suivre Hisae, une sage-femme qui, à l'heure où nombre de ses collègues arrêtent le travail et où même son petit ami la largue, continue sans faillir son boulot, aidant à donner naissance à des bébés, quand bien même ceux-ci semblent n'auront aucun avenir. Seule, ayant toujours tu au plus profond d'elle-même ses désirs suite à son passé familial que l'on découvrira vite et bien, elle n'a même pas envie de remplir la lettre pour le Ginga Rocket, car elle pense n'avoir rien à y dire. Mais quand elle comprend qu'elle vient elle-même de tomber enceinte, sa vision des choses risque de vaciller petit à petit... Y aurait-il un sens à mener autant que possible cette grossesse, alors même qu'elle sait qu'elle ne pourras pas accoucher avant la fin du monde ? Et de manière générale, quel sens donner au fait de continuer à donner la vie dans ce contexte où tout le monde mourra très bientôt ?

Quant à la deuxième moitié du volume, elle nous immisce auprès de Takashi, jeune homme qui, après n'avoir jamais trouvé sa place à Tôkyô, a décidé, pour ses derniers mois de vie, de retourner sur ses terres natales à Okinawa dans l'espoir de se réconcilier avec son père, un homme qui a autrefois refusé qu'il reprenne l'affaire de pêche familiale. Seul hic: face aux démissions d'une bonne partie du personnel de l'aéroport car chacun a forcément ses désirs pour ces derniers mois d'existence, les vols accumulent les retards, et il devra patienter plusieurs jours dans un terminal où la tension des clients montent sans cesse et où le personnel et de plus en plus réduit. Marqué néanmoins par l'obstination de quelques employés qui ne lâchent rien dans leur travail pour continuer d'aider autant que possible, Takashi risque bien de voir sa vision des choses bousculée, et même de comprendre enfin pourquoi son père n'a autrefois pas voulu lui laisser l'affaire familiale... Alors, y a-t-il encore un sens à travailler dans un tel contexte ? A l'heure où l'égoïsme a de quoi grandir, quelle valeur aura encore l'entraide ?

Ohtagaki pose ainsi, avec subtilité et retenue, beaucoup de questions très humaines, et touche sans avoir besoin d'en faire trop. Un rendu d'autant plus réussi que, de son côté, Yuuki Ohta livre un travail visuel adéquat, lui aussi sans esbroufe, où les décors photoréalistes et les différentes informations sur l'état de la société sont uniquement en toile de fond et servent avant tout à mieux faire ressortir les personnages que l'on suit vraiment au plus près. Le trait en lui-même est assez doux et nuancé dans les expressions, en soulignant de plus belle l'aspect plutôt intimiste de l'oeuvre.

Intelligent, troublant et riche en thématiques humaines, ce premier volume se révèle ainsi être une vraie réussite, en témoignant avant tout de toute la subtilité d'écriture dont est capable Ohtagaki. Et en prime, Delcourt/Tonkam nous livre tout ceci dans une qualité éditoriale aux petits oignons. A l'extérieur, on découvre une jaquette qui, si elle reprend bien l'illustration de l'édition japonaise d'origine, la tronque moins et, surtout, se pare d'un fond différent et beaucoup plus beau, avec un aspect étoilé et brillant qui colle bien à l'atmosphère de la série. Et à l'intérieur, on trouve une bonne qualité d'impression sur un papier souple et opaque, quatre pages en couleurs déchirantes en fermeture du prologue, une traduction soignée d'Essia Mokdad, et un lettrage très propre du Studio Charon.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction