Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 25 Octobre 2022
Les éditions Mangetsu ont beau n'exister que depuis le début d'année 2021, leur histoire d'amour avec le manga de sport se consolide encore un peu plus en ce mois d'octobre: après le football dans l'excellent Ao Ashi qui a marqué le lancement de l'éditeur, le tennis de table d'un point de vue décalé avec le très inégal et inachevé Ping Kong, et le judo via le sympathique All Free! c'est un autre sport qui s'invite au sein du label manga de Bragelonne: le basketball avec Deep 3, une série lancée au Japon en 2021 dans les pages du magazine Big Comic des éditions Shôgakukan, un magazine orienté seinen emblématique puisqu'il existe depuis 1968 et a accueilli un petit paquet d'oeuvres célèbres, dont Happy! de Naoki Urasawa pour rester sur le sport.
Cette série est réalisée à quatre mains, par deux auteurs qui étaient jusque-là inédits dans notre pays.
D'un côté, on trouve le scénariste Mitsuhiro Mizuno, journaliste né en 1976, qui a eu l'occasion de vivre deux ans aux Etats-Unis et qui, depuis 2010, oeuvre aussi en tant que scénariste de mangas. Concernant les origines de son désir de faire une histoire sur le basketball, l'auteur se révélera très bavard dans une passionnante postface où il revient notamment sur ses regrets passés, sur l'impact qu'au eu sur lui le joueur de basket japonais KJ Matsui, et sur sa volonté d'encourager les nouvelles générations à ne pas se décourager face aux obstacles, pour un beau texte apportant une vraie plus-value à ce début de série puisqu'on en saisit alors mieux la démarche et que l'on ressent l'être humain derrière l'auteur.
Et de l'autre côté, on trouve Ryôsuke Tobimatsu, mangaka de 35 ans qui a débuté en 2016, qui signe ici sa troisième série, et dont toutes les oeuvres à ce jour ont parlé de sport (le rugby dans la série en 3 tomes Bull Tackle, et le tir à l'arc dans l'oeuvre en 6 volumes Ten wo Iru). Lui aussi auteur d'un sympathique postface dans ce tome, il avoue humblement qu'à la base il n'a jamais fait de basket et qu'il n'y connaît pas grand chose, mais qu'il compte se donner à fond visuellement.
Deep 3 nous immisce auprès de Damian Kawai, un jeune garçon qui, tout juste entré au lycée Kirikami, compte bien faire ses preuves au sein du club de basketball, sport qui le passionne depuis toujours à tel point qu'il y consacre sa vie. Ce sport est tout pour lui, il s'est toujours entraîné sans relâche, il est déterminé à intégrer un jour la prestigieuse ligue américaine NBO (un équivalent fictif de la NBA. les droits, tout ça...), et sa mère n'a eu de cesse de lui répéter qu'il est, paraît-il, le fils d'Earvin Johnson, un basketteur renommé dont on on compte plus les titres en NBO. Pour son premier match, l'adolescent fait forte impression... mais deux ans plus tard, la situation a bien changé. Ayant connu une blessure au tendon d'Achille, il s'en est certes bien remis, mais a ensuite développé une terrible séquelle: un yips, trouble psychosomatique si complexe qu'on dit de celui-ci qu'il est incurable, si bien que nombre de basketteurs et de golfeurs ont dû arrêter leur carrière à cause de ça. Ainsi, désormais, dès que Damian s'approche trop du panier, ses bras se paralysent et il est incapable de faire quoi que ce soit. Pour un garçon ayant jusque-là voué sa vie uniquement au basketball, il y a de quoi céder au désespoir... du moins, jusqu'à ce que Damian ne se découvre une qualité spécifique sur le terrain, qui pourrait totalement le relancer...
Si le monde du basket, comme tout sport, est très compétitif, c'est tout autant le cas dans le registre du manga de basket, qui possède déjà son petit lot de fiers représentants. On pense bien sûr à Slam Dunk, à son intensité incroyablement épique et à ses prouesses visuelles, mais aussi à Dream Team qui aborde les choses de façon plus technique et surtout plus humaine, ou même, dans un tout autre style, au surréaliste Kuroko's Basket qui a aussi une solide niche de fans. Sans oublier le sublime Real qui aborde avec une humanité folle le handi-basket. En passant après ces mastodontes, Deep 3 aura forcément un gros challenge à relever pour s'imposer et prouver son unicité, chose qui va se dessiner petit à petit au fil du volume.
Pourtant, les débuts ne sont pas forcément plus encourageants que cela, à cause d'une chose: tout y va très, très vite. Il n'y a pas vraiment de phase d'installation, pas de présentation spécifique du contexte dans lequel évolue notre héros (on sait juste que sa mère vit aux USA, qu'elle dit qu'il est le fils de Johnson, et basta), ni de personnages secondaires se dégageant vraiment du lot même si quelques figures comme Sôma de Kirikami et Neito et Ryô de Gonô Kôgyô ressortent un petit peu, et l'ellipse de deux ans arrivent dès les premières pages avant que les auteurs n'expliquent brièvement les épreuves vécues par Damian. Bref, il y a un petit manque d'immersion au départ, et un sentiment que tout est rushé... mais cela semble bel et bien voulu par les auteurs, plus encore après lecture de la postface du scénariste qui, dans son désir de proposer un message encourageant, a peut-être voulu éviter de trop se concentrer sur les phases plus difficiles afin de mieux faire ressortir la passion de son héros ainsi que son désir de ne rien lâcher pour vivre son rêve. C'est un choix qui se tient, même si une partie du lectorat (dont moi) pourra regretter que, justement, les problèmes comme la blessure de Damian et surtout son yips ne soient pas plus approfondis que ça dès le départ, ce qui aurait sans doute rendu encore plus forte la détermination de notre héros.
Mais quoi qu'il en soit, le message sur l'importance de se faire confiance et de croire en soi-même malgré les épreuves passe bien, et est appuyé par deux autres éléments prometteurs.
Tout d'abord, la narration qui s'écoule plutôt bien. Malgré la rapidité de l'ensemble, on n'est jamais perdu et on cerne bien le parcours de Damian pendant ces années lycéennes à Kirikami.
Ensuite, le dessin de Tobimatsu, qui fait déjà assez bien le job. Certes, on sent que le dessinateur novice en basketball tâtonne un peu, notamment via les moments de matchs qui se résument généralement à quelques actions plutôt bien découpées. On est donc très loin, par exemple, d'un Dream Team où le mangaka Takeshi Hinata décortique passionnément et longuement les actions techniques des matchs. Mais à travers de belles petites montées d'intensité et des designs assez denses et impactants (d'autant que certains adversaires, bien qu'un peu caricaturaux, sont un peu grandes gueules), on sent qu'il y a tout un potentiel à développer sur le plan graphique. Et puis, dans un sens, cette façon de ne pas trop détailler la technique rend sûrement l'oeuvre plus accessible pour des personnes qui ne seraient pas plus portées que ça sur le basket et qui veulent plutôt suivre le parcours déterminé et passionné de Damian face aux épreuves.
A l'arrivée, Deep 3 n'est pas encore la claque espérée sur ce premier volume, mais pose des bases et un message qui se consolident petit à petit malgré la rapidité de toute cette introduction. On sent vraiment que Mitsuhiro Mizuno veut expédier vite fait bien fait toute la phase d'installation pour entrer rapidement dans le vif du sujet, chose qui sera bel et bien le cas dans un tome 2 qui est déjà un gros cran au-dessus et sur lequel nous reviendrons très vite, puisque Mangetsu a eu l'excellente idée de le publier en même temps que le premier opus afin de bien nous en montrer le réel potentiel.
Enfin, quelques mots sur l'édition française, qui est vraiment de belle facture: la traduction de François Boulanger est efficace, les quelques astérisques sont assez utiles, le lettrage de Céline Olive est particulièrement convaincant, le papier souple et sans transparence permet une impression de bonne facture, et la jaquette reste très fidèle à l'originale nippone jusque dans son logo-titre.