Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 18 Avril 2025
C'est un nouveau manga historique qui intègre le catalogue des éditions Soleil en cette mi-avril 2025 avec Dans l'Ombre de la Reine - L'histoire de William Cecil, une série particulièrement prometteuse puisqu'elle a pour personnage central une figure historique qui reste relativement mal connue par chez nous, ne serait-ce que parce qu'elle était précisément dans l'ombre d'autres personnalités de l'époque bien plus célèbres. De son nom original "Cecil no Joô" (littéralement "La Reine de Cecil"), cette oeuvre suit son cours au Japon depuis 2021 dans le magazine Big Comic Original des éditions Shôgakukan et est la toute première publication française d'Ai Kozaki, autrice qui est active dans son pays d'origine depuis le milieu des années 2000, qui est principalement connue là-bas pour la série-fleuve multi-récompensée en 34 tomes Asahinagu (inédite en France à ce jour) et qui, pour la petite anecdote, est la petite soeur de Yusuke Kozaki.
Cette série nous immisce à une période cruciale de l'Histoire d'Angleterre, alors que le pays, encore relativement modeste, va bientôt connaître de grands bouleversements religieux et politiques, alors qu'à cette époque Dieu était encore au centre du monde. En 1533, William Cecil, jeune garçon plein d'entrain et de volonté tout juste âgé de douze ans, est sur le point de faire son entrée au palais du roi Henri VIII par l'intermédiaire de son père courtisan Richard. L'enfant a des rêves plein la tête et s'imagine déjà servir dignement le monarque, mais tombe rapidement de haut en voyant son père s'écraser face au roi et, surtout, en découvrant en ce monarque quelqu'un de particulièrement brutal et violent. Et comme si ça ne suffisait pas, il verra rapidement à quel point la cour peut être un véritable nid de vipères où, entre les jalousies, les magouilles et les tromperies, chacun ne pense qu'à son ascension.
A l'heure où la naïveté de William vole petit à petit en éclats, le principal réconfort qu'il trouve se situe alors en une figure aussi inattendue qu'importante: Anne Boleyn, nouvelle épouse du roi, qu'il a prise pour femme en attendant d'elle qu'elle lui donne l'héritier masculin qu'il n'arrivait pas à avoir avec sa précédente épouse Catherine d'Aragon. Utilisée par les membres de sa famille pour gravir les échelons, détestée par les nobles qui la voient comme une rivale à abattre, exploitée par le roi qui ne la voit que comme une machine à enfanter, Anne n'a pas forcément demandé sa situation, mais affiche malgré tout un caractère résolu face aux dérives de son époque. Et quand bien même, elle affirme elle-même ne pas être la femme bien que William voit en elle, elle affiche envers lui une telle bonté que cela convainc le jeune garçon de tout faire pour la protéger et pour servir fidèlement son futur enfant à naître... et cela, que cet enfant soit un garçon ou une fille.
Le moins que l'on puisse dire est que, au fil d'une narration très limpide et exposant bien tout ce qu'il faut du contexte, et en s'appuyant sur un dessin expressif et soigné à la fois dans ses vêtements d'époque et dans ses designs crédibles (la plupart des figures historique se voulant graphiquement assez fidèles à la réalité), Ai Kozaki propose un début de série immédiatement riche, fluide et immersif, où il y a de quoi se régaler sur plusieurs plans. Tout d'abord, la mangaka marque déjà les esprits dans le portrait qu'elle fait des trois personnages centraux de ce tome, entre un roi Henri VIII brutal, instable et tyrannique, une Anne Boleyn qui ne se laisse pas abattre face aux réalités de la cour de l'époque (notamment concernant la place des femmes, généralement vues avant tout comme juste bonnes à enfanter), et un William que l'on voit petit à petit s'affirmer face à ses désillusions concernant l'image naïve qu'il se faisait du roi et de la cour. Ensuite, autour de ce trio, l'autrice prend déjà largement soin d'installer d'autres figures historiques vouées à prendre un importance majeure par la suite au vu de l'Histoire, à l'image de Jane Seymour et, surtout, du célèbre Thomas Cromwell, ministre voué à devenir l'un des principaux acteurs de la Réforme. Enfin, Kozaki expose également avec clarté tout ce qu'il faut sur les grandes lignes du contexte politique, religieux et de la cour de l'époque.
A l'arrivée, on a affaire à un premier opus accomplissant impeccablement son rôle. Derrière le petit cours d'Histoire, Ai Kozaki livre un début de fresque passionnant, soigneusement écrit, dont les différents enjeux sont très bien posés, et au fil duquel la mangaka peut alors aussi se permettre d'aborder d'autres choses comme la condition féminine au sein de la cour de cette époque. Tout est en place pour un manga captivant, d'autant plus que les dernières pages nous laissent déjà sur des événements forts.
Enfin, du côté de l'édition française, Soleil nous gratifie d'une copie très convaincante, avec une jaquette fidèle à l'originale japonaise tout en se parant d'un logo-titre joliment travaillé par Solène Pichereau, une traduction très appliqué et limpide de Guillaume Mistrot, un lettrage propre de Studio Charon, un papier souple et assez opaque, et une impression très correcte.