Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 28 Décembre 2023
Série achevée en deux tomes et dont le premier volume est paru en France au début du mois de novembre dernier, Country Diary fut la dernière nouveauté de 2023 pour les éditions Akata, et est la toute première publication française d'Aya Isino, une mangaka active au japon depuis presque vingt ans, essentiellement dans le domaine du yaoi/shônen-ai mais pas que. L'oeuvre dont il est question ici a initialement été prépubliée au japon dans les pages du magazine Opera des éditions Akaneshinsha, un magazine déjà bien connu dans notre pays pour un petit paquet d'oeuvres de qualité et portés par des auteurs réputés, comme la saga Doukyusei d'Asumiko Nakamura, Le patron est une copine et The Wize Wize Beasts of The Wizarding Wizdoms de Nagabe, ou encore Tout au bout du chemin et A fool's love song de Jyanome.
Ici, tout commence en pleine campagne par un désir: celui de Giichi Usa, un jeune homme robuste, bricoleur et sportif, de racheter une vieille bâtisse délabrée en marge du village afin d'y installer son atelier. Alors, quelle n'est pas sa surprise en apprenant que la fameuse bâtisse en question a tout récemment été rachetée par quelqu'un d'autre ! Mais qui donc aurait été assez fou pour racheter une demeure dans un si mauvais état ? Pour le savoir, Usa décide de se rendre sur place et y fait la connaissance du nouveau propriétaire, Junnosuke Kurumizawa, dont il ne tardera pas à apprendre qu'il était auparavant professeur d'université. Loin de tout ce qu'il aurait pu imaginer, ce dernier, trentenaire qui en paraît beaucoup moins, se révèle être un homme venu tout droit de Tôkyô avec le désir de s'installer là définitivement, mais qui méconnaît absolument tout de la vie en campagne. Touché par toute la bonne volonté de cet homme qui lui demande conseil et qui a clairement le désir d'apprendre la vie dans un cadre rural, Usa accepte alors de l'aider à retaper petit à petit la bâtisse afin d'en faire un lieu vivable, tout en observant l'acclimatation de Kurumizawa dans son nouveau quotidien.
Série au sujet de laquelle il peut être bon de noter tout de suite qu'elle ne comporte absolument rien d'érotique malgré sa prépublication dans un magazine yaoi (c'est à peine s'il y a quelques très vagues sous-entendus sur une possible évolution sentimentale entre les héros, c'est dire à quel point l'oeuvre a le mérite d'être tout public), Country Diary a donc pour première vocation de nous dépeindre un quotidien en milieu rural assez paisible, par le prisme d'un citadin qui a tout plaqué pour venir vivre dans une campagne dont il a tout à découvrir. Et le pitch de base a beau être un peu cliché, le résultat est là, en premier lieu grâce au travail narratif et visuel de l'autrice. La principale originalité de ce premier tome voyant défiler les saisons printanière et estivale est, tout comme dans son édition originale nippone, d'être entièrement imprimé avec une encre tendant très discrètement vers le vert, ce qui amène d'emblée un certain cachet en collant plutôt bien aux saisons mais aussi, bien sûr, au cadre campagnard où la verdure est omniprésente. A cela, derrière des designs de personnages assez simples mais bien reconnaissables et soignés, il faut ajouter une très bonne gestion des décors: Isino a beau limiter son nombre de traits la plupart du temps, ses paysages de nature, de montagne, de forêt, de terres de culture sont immersifs (surtout quand elle met en valeur certaines plantes et cultures au premier plan, en soulignant alors bien l'immersion des personnages dans celles-ci), mais peut-être la dessinatrice brille-t-elle encore plus quand elle décortique, via des angles de vue très soignés et un certain souci du détails dans les murs, charpentes et décorations, l'intérieur de la bâtisse qu'Usa prend soin de retaper petit à petit.
C'est dans ce rendu visuel convaincant que l'on suit alors les débuts de la nouvelle vie de Kurumizawa, dans une atmosphère assez calme et positive, ne serait-ce que parce que le trentenaire montre beaucoup de bonne volonté pour apprendre à vivre sur place, mais aussi car, en conséquences, les habitants ont à coeur de bien l'accueillir et de l'aider à leur manière, à l'image d'une femme qui lui donne tout naturellement des légumes et des oeufs en trop. Lui qui ne sait rien de la vie à la campagne au départ, on le sent bien s'épanouir peu à peu, notamment face à certaines petites épreuves. Il y a peu de bus qui passent dans ce coin reculé? Ca le motivera à enfin passer son permis. Il peine à reconnaître les plantes sauvages quand il part en cueillette ? Il lui suffira d'apprendre à les reconnaître peu à peu en étant aiguillé par des jeunes du coin, entre autres. La météo n'est pas propice aux plantation ? Quoi de mieux, dans ce cas, que de faire quelque chose que beaucoup de monde tend à oublier: attendre, et en profiter pour profiter d'autres choses, à commencer par ce que la campagne à offrir : de grands ciels nocturnes totalement étoilés car peu touchés par la pollution lumineuse, le plaisir de se réveiller sous le chant des oiseaux... Et si on voit bien que Kurumizawa s'acclimate bien à ce nouveau quotidien et à ce nouveau cadre de vie, c'est encore plus le cas quand on observe ça à travers les yeux de Saikawa, un de ses anciens élèves qui est initialement venu lui rendre visite pour le convaincre de revenir à Tôkyô, mais qui va vite constater que l'université est loin de manquer à son ancien enseignant, que celui-ci ne s'ennuie aucunement, et que c'est peut-être ça le vrai Kurumizawa.
Ce premier tome de Country Diary se présente alors comme une tranche de vie rurale tout simplement agréable, joliment croquée et portée par un personnage central qui, loin du tumulte de la ville, semble bien trouver sa place dans une ruralité où il semble bien être lui-même. Autant dire que l'on attendra avec plaisir de découvrir la suite et déjà fin de cette sympathique oeuvre dans le deuxième et dernier tome, d'autant plus qu'au niveau de l'édition Akata nous offre une excellente copie, la jaquette reste proche de l'originale japonaise, le logo-titre imaginé par Tom "spAde" Bertrand est parfaitement dans le ton de l'oeuvre, le lettrage d'Elsa Pecqueur est très soigné, la traduction effectuée par Gaëlle Ruel est très claire, et le papier bien épais, souple et opaque permet une excellente impression.