Cicatrices Vol.1 : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 08 Février 2024

Continuant d'assez bien se développer après quelques années d'existence (et ça devrait continuer voire s'accélérer, au vu de leur partenariat récemment annoncé avec l'éditeur japonais Kadokawa), les éditions Vega-Dupuis comptent visiblement, désormais, s'intéresser également un peu plus à ce qui peut se produire en dehors du Japon en terme de manga. Nous en avions déjà eu un exemple avec la série Team Phoenix de l'auteur espagnol Kenny Ruiz, et en ce début d'année 2024 c'est du côté du Chili que l'éditeur est allé chercher un nouveau talent avec le lancement, le 19 janvier dernier, de Cicatrices.

Cicatrices est la toute première série de Brandon Arias. Né en 1997 à Santiago, celui-ci se passionne d'abord pour la musique punk en jouant dans un groupe, avant de découvrir le manga qui le passionne, au point de le pousser à apprendre à dessiner en autodidacte à l'âge de 21 ans et de concevoir des histoires courtes qu'il publia en ligne sur différentes plateformes. Affirmant un fort intérêt pour les portrait sensibles et complexes des relations humaines notamment à l'adolescence, il cite dans ses influences les plus marquantes trois noms: Shuzo Oshimi, Keigo Shinzo, et surtout Inio Asano, artiste avec lequel il a découvert le manga seinen ainsi que des sujets profonds bien plus déprimants et mélancoliques que la moyenne. Ainsi, ce n'est peut-être pas un hasard si la couverture sous la jaquette du tome 1 de Cicatrices, en affichant une photo presque anecdotique, nous rappelle les couvertures de certains mangas d'Asano.

Dans Cicatrices, tout commence par une peur: celle du jeune Kyônosuke Watanabe, adolescent de 15 ans, à l'idée de devoir retourner au lycée, ses parents ne pouvant plus se permettre financièrement de lui payer ses cours particuliers. le jeune garçon semble effectivement souffrir d'une certaine phobie scolaire, et l'on peut assez facilement (et malheureusement) deviner pourquoi: avec la grande cicatrice parcourant son visage, il a dû, par le passé, être le sujet de bien moqueries. A peine arrivé au lycée en tant que nouvel élève, cette dure réalité se rappelle immédiatement à lui: il a beau espérer pouvoir s'intégrer, les messes-basses fusent déjà sur son physique, on se met à lui donner des surnoms insultants ("face de zombie", "Frankenstein", "le streum"...), et il se retrouve même victime de racket quotidien de la part du dénommé Kenta, un camarade de classe qui semble tout avoir de la petite frappe violente. Préférant cacher la vérité à ses parents pour ne pas les inquiéter, Kyônosuke entame un quotidien solitaire et douloureux...

Mais parfois, il suffit d'une personne pour que le quotidien s'illumine un peu plus, et pour lui cette personne prend bientôt les traits d'Akira, mignonne adolescente à lunettes qui n'hésite pas à le défendre face à ses tortionnaires et qui, derrière ce premier abord où elle lui apparaît forte, ne le juge pas. Akira a beau être elle-même régulièrement la cible de moqueries, d'insultes et de brimades physiques, un lien fort se crée, petit à petit, entre les deux jeunes gens qui ont le sentiment de se comprendre sans avoir besoin d'en dire trop, et qui se mettent à passer ensemble des petits moments de bonheur aussi doux que précieux, jusqu'à ce que des sentiments plus profonds que l'amitié commencent naturellement à s'en mêler. Pourtant, dès lors que le secret d'Akira se dévoilera, la cruelle réalité de la nature humaine les rattrapera de plein fouet...

"Je voulais raconter une histoire brute, et la chose la plus brute est la réalité". Telle est la réponse que donne Brandon Arias quand on lui demande ce qu'il souhaite raconter dans Cicatrices, et cela dit déjà tout du portrait humain et social sans concession qui va nous être fait à travers l'histoire de Kyonosuke, d'Akira mais aussi, quelque part, de Kenta, ce dernier n'étant pas devenu une petite frappe violente par hasard et ayant lui-même ses profondes douleurs. Et si l'on va soigneusement éviter d'en dire beaucoup plus afin de ne pas spoiler, signalons tout de même qu'il sera question ici de beaucoup de choses: harcèlement/brimades, violence parentale, transidentité, orientation sexuelle, rejet familial... avec, en permanence, un abord cru du rejet de la différence et de la toxicité que peut avoir notre environnement dans ce genre de cas. Or, quand tout s'effrite, même le cocon familial, où trouver refuge ?

Pour porter son histoire, l'auteur dévoile une patte visuelle assez impressionnante pour une première oeuvre, en entremêlant deux ambiances opposées. Il y a, dans les moments bénéfiques passés ensemble par les deux personnages principaux, quelque chose de vraiment très doux, notamment parce que Brandon Arias a une manière de dessiner les visages (surtout les yeux) et les ombrages qui nous rappelle volontiers une mangaka comme Mizu Sahara, l'autrice des bijoux A Tail's Tale et My Girl entre autres. Cela rend d'autant plus impactantes les nombreuses scènes violentes au fil desquelles le dessinateur a clairement à coeur de graver dans notre rétine les instants les plus durs, à l'image d'une gifle paternelle si soudaine qu'elle a de quoi laisser dans l'incompréhension. Et alors que l'on aurait pu trouver certains personnages un peu caricaturaux/excessifs dans leur part de violence, cela ne fait que mieux mettre en avant le propos de l'auteur sur la dure réalité que traversent ses personnages et que traversent aussi sans aucun doute nombre de gens à travers le monde.

A l'arrivée, il semble difficile de rester insensible à la lecture de ce premier volume coup de poing où, via des jeunes personnages dont la douceur des sentiments se confronte de plein fouet à la brutalité du monde qui les entoure, Brandon Arias brasse déjà avec impact nombre de sujets qu'on attendra avec crainte et intérêt de voir se développer. Une chose est néanmoins déjà sûre: on tient là un des tomes 1 de manga les plus marquants de ce début d'année 2024. Et au vu du nombre d'excellents premiers volumes sortis en ces premières semaines de l'année, c'est dire.

Côté édition, Vega-Dupuis a bien fait les choses: la jaquette sobre bénéficie d'un beau petit effet granuleux, les six premières pages en couleurs sur papier glacé ouvrent joliment la lecture, le papier est souple et agréable à manipuler malgré une légère transparence, l'impression est convaincante, le lettrage est soigné, et la traduction effectuée par Frédéric Toutlemonde est très claire, assez sensible et bien dans le ton. Enfin, on appréciera quelques pages bonus nous faisant découvrir certaines recherches graphiques de l'auteur ainsi qu'une mini-interview de lui.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs