Chien qui voulait voir le sud (le) - Manga

Chien qui voulait voir le sud (le) : Critiques

Shônen to Inu

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 08 Mars 2024

Avec des oeuvres comme Daisy, lycéennes à Fukushima (bijou qui vient justement de ressortir en une intégrale en grand format), Je reviendrai vous voir ou Colère Nucléaire, les éditions Akata ont déjà souvent pris soin, à leur manière, d'aborder sous différents angles la catastrophe ayant touché le nord-est du Japon en mars 2011. Alors, à seulement quelques jours du triste 13e anniversaire de la tragédie, il n'y a rien d'étonnant à les voir récidiver avec la publication du one-shot Le Chien qui voulait voir le Sud. Derrière ce manga, on retrouve Takashi Murakami, mangaka qui nous avait bouleversés, il y a quelques années, avec L'Oiseau Bleu aux éditions Ki-oon, et surtout avec son chef d'oeuvre Le chien gardien d'étoiles, autre manga canin autrefois paru aux éditions Sarbacane et qui a été réédité par les éditions Pika en tout début d'année.

Pour ce récit d'environ 200 pages paru au Japon en 2022 aux éditions Bungei Shunjû sous le titre "Shônen to Inu" (littéralement "Le Garçon et le Chien"), Murakami, cette fois-ci, se basse sur une oeuvre déjà existante, à savoir le roman éponyme disponible en France aux éditions Picquier depuis février 2023. On doit ce roman à Seishû Hase, un écrivain multi-récompensé dans son pays, qui est d'habitude largement plus connu pour ses romans policiers souvent ancrés dans l'univers des yakuzas, et dont les talents ne s'arrêtent pas aux romans puisqu'il a notamment signé aussi les excellents scénarios des jeux vidéo Yakuza et Yakuza 2.

L'oeuvre commence en 2011, dans le nord-est du Japon, peu de temps après la terrible catastrophe ayant tout ravagé. Au milieu des décombres, la silhouette d'un chien debout se dresse, la tête dirigée vers le sud. Cette destination, il entreprend inlassablement de l'atteindre, allant toujours plus vers le sud, en quête d'un objectif que lui seul connaît. Mais son voyage sera loin, très loin d'être de tout repos: quand il ne doit pas faire face à des épreuves comme la faim, l'épuisement et les animaux sauvages, il est recueilli par des humains qui sont souvent meurtris par des épreuves personnelles et auxquelles il va apporter un peu de réconfort,comme un vrai porte-bonheur. Pourtant, il n'oubliera jamais sa mystérieuse destination, la tête toujours tournée vers celle-ci.

Dans un premier temps, le récit se focalise surtout sur les rencontres humaines que fait Tamon. Des rencontres auprès desquelles il reste temporairement comme pour leur offrir le soutien dont ils ont besoin dans l'immédiat, et qui sont autant d'occasions pour les auteurs d'esquisser nombre de problématiques sur les errances de la société ou sur la condition humaine: l'obligation de participer à des délits pour protéger ses proches quand la société n'est plus en mesure d'apporter une aide, la situation des immigrés au Japon, les conditions de vie catastrophiques dans d'autres pays où les droits humains restent bafoués, la condition des femmes face à la misère et aux mensonges des hommes, la maladie et la fin de vie... Au vu de la brièveté du récit par rapport au nombre de rencontres, il ne faut pas toujours s'attendre à des développements très poussés, et en plus de ça certains d'entre eux restent plutôt caricaturaux, et les issues de la plupart de ces rencontres sont volontairement très tragiques. Néanmoins, Hase et donc Murakami parviennent à y esquisser des thématiques fortes, et surtout ils parviennent, à chaque fois, à mettre en lumière la faculté du chien à soigner le coeur, au crépuscule de leur vie, de ces gens souvent imparfaits, ayant généralement commis des choses terribles pour x raison, et restant pourtant très humains.

C'est d'autant plus efficace que l'on a ici une approche narrative différente de celle du Chien gardien d'étoiles: là où dans ce dernier on suivait souvent les pensées candides et poignantes du héros canin, dans Le Chien qui voulait voir le Sud c'est l'inverse: on découvre le long périple de Tamon uniquement à travers les rencontres humaines qu'il fait, et on n'est absolument jamais dans la tête de l'animal, qui se contente d'être là comme une présence très réconfortantes pour les gens qu'il croise, et dont l'objectif du voyage reste alors totalement inconnu pendant longtemps.

Alors justement, sa fameuse destination, quelle est-elle ? On finira évidemment par la découvrir dans le dernier chapitre, avec une dernière rencontre qui joue quand même sur quelques facilités avec des gens qui sont là au bon moment, mais où ce qui brille vraiment, c'est la loyauté du brave toutou, ce qu'il va encore amener aux humains, et finalement une mise en valeur touchante de ce que ces boules de poils peuvent décidément nous apporter.

Et pourtant, dans tout ça, il y a un "mais", à savoir treize dernières pages qui apparaissent de trop. Elles esquissent pourtant une bonne idée en faisant écho à une autre catastrophe ayant eu lieu dans le pays, mais elles précipitent une fin un peu rushée et surtout irrémédiablement trop cruelle, en voulant trop forcer sur le pathos. Sans ces dernières pages, on aurait eu une conclusion tout à fait satisfaisante, belle et ayant du sens. Mais là, ces 13 malheureuses pages, c'est le coup de trop, le truc qui veut nous déprimer toujours plus sans que ça se justifie vraiment.

Peut-être est-ce parce que Murakami se contentait cette fois-ci d'adapter une histoire déjà existante, mais Le Chien qui voulait voir le Sud ne restera pas, alors, parmi ses récits les plus maîtrisés. Pourtant, malgré les quelques limites évoquées (sujets simplement esquissés et parfois caricaturaux, toutes dernières pages inutilement cruelles), les thématiques restent fortes et souvent importantes, l'approche narrative est vraiment excellente, et le style graphique habituel du mangaka fait mouche.

Enfin, du côté de l'édition française, la copie est très bonne. A l'extérieur, on a une jaquette fidèle à l'originale japonaise, et un logo-titre sobre et collant bien à la tonalité de l'oeuvre, ce logo ayant été conçu par matice•design sous la supervision de Tom "spade" Bertrand. Et à l'intérieur, on trouve un papier assez épais et opaque permettant une très bonne qualité d'impression, un lettrage très propre signé Adween, et une très bonne traduction d'Alexandre Goy qui souligne bien le ressenti et les tourments des personnages avec naturel.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs