Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 06 Octobre 2023
Nous y voici enfin: la conclusion de Cesare avec ce tome 13, quasiment deux ans après sa parution au Japon, et presque quatre années après la publication française du volume 12. Le délai de parution proposé par Ki-oon fut donc étonnamment long, sans que l'on sache trop pourquoi (la rigueur demandée pour la traduction, peut-être ? Celle-ci restant par ailleurs excellente jusqu'au bout), mais ne boudons pas notre plaisir en pouvant enfin découvrir le final de l'excellent et très riche manga historique de Fuyumi Soryo et de son superviseur Motoaki Hara.
Suite au décès de sa sainteté Innocent VIII, le tant attendu conclave a été lancé en ce mois d'août 1492, mais les récents événements ont un peu chamboulé le jeu des alliances: suite au décès de Lorenzo de Médicis, son successeur Piero, bien moins capable, a décidé d'abandonner l'alliance tripartite pour se rapprocher de la famille Orsini à Naples, ce qui pourrait faire le jeu de Della Rovere qui fait précisément partie du camp napolitain. Les votes restent donc très incertains pour le moment, si bien qu'après trois votes la majorité des deux tiers, soit 16 votes, n'est toujours pas atteinte, avec 10 voix chacune pour le cardinal Carafa qui est neutre ainsi que pour le cardinal Michiel qui est du camp de Naples, et 8 voix pour le cardinal Borgia...
C'est sur cette considération que débute un tome dont l'enjeu principal est alors clair: montrer chaque camp faire des pieds et des mains pour rallier des cardinaux à sa cause en vue du 4e vote, chose que Fuyumi Soryo exécute avec beaucoup de talent, en décortiquant tout ce qu'il faut: entre les incertitudes des partisans de la neutralité, les différentes formes de conviction, de persuasion ou de manipulation plus ou moins fine (si Borgia joue volontiers la carte des arrangements, Della Rovere avec des plus gros sabots en proposant une forme de pot-de-vin). Et dans ce contexte, l'un des éléments cruciaux est à chercher dans les intérêts des différentes villes pour ne pas se mettre à dos le futur pape: Florence où Giovanni de Médicis se retrouve tiraillé entre son amitié pour les Borgia et la nouvelle alliance censée l'obliger à choisir le camp de Naples, Milan qui est proche de se laisse apitoyer par la situation compliquée de Carafa, Venise, et bien sûr Naples en tant que principal adversaire de Borgia, devront constamment revoir leur plan jusqu'à choisir la solution la meilleure pour les uns ou la moins pire pour les autres, et c'est une chose que l'autrice décortique soigneusement au fil de blablas nombreux mais toujours limpides, l'oeuvre restant décidément très bien écrite (et très bien traduite). Si bien que, quand l'issue arrive au sein de ce conclave aux allures de huis-clos, les ultimes petits suspenses (notamment pour les votes de Della Rovere et de Giovanni de Médicis) font facilement leur effet. Et en cerise sur le gâteau, alors que l'on pourrait trouver que le récit s'éloigne de Cesare, on découvre avec beaucoup d'intérêt qu'il n'a pas été inactif de son côté, en glissant au cardinal Gherardi une habile stratégie qui a fonctionné à merveille.
Point d'orgue de l'oeuvre qui était annoncé dès le tome 1 et qui a été soigneusement préparé tout au long de la série, le conclave voué à mettre Borgia sur le trône de pierre en tant qu'Alexandre VI est donc excellemment mené, mais Soryo ne s'arrête pas là en prenant soin de décortiquer un petit peu l'après-conclave, certaines de ses conséquences, et la place que sont voués à prendre certains personnages désormais: le fait de revoir divers personnages secondaires comme Miguel, les soudaines convoitises que suscite la douce et jeune Lucrezia en tant que nièce du nouveau Pape, le possible rapprochement avec Aragon, le sort de Giovanni de Médicis, sa relation avec Angelo, et évidemment la place nouvelle prise par ce dernier auprès de Cesare, sont autant de choses que l'on suit avec intérêt dans une sorte de long épilogue soigné.
Ajoutons à ça d'ultime pages bonus bien fournies de la part de Motoaki Hara, et on referme ce dernier volume sur un grand sentiment de satisfaction. Sans faillir, Fuyumi Soryo soigne son oeuvre jusqu'au bout, alors qu'on sait que la conception de ce très ambitieux manga historique a été très éprouvant pour elle, au point de faire plusieurs pauses pour se documenter de plus belle. A l'heure actuelle, la mangaka n'a pas encore lancé de nouvelle oeuvre au Japon, en ayant sans doute pris une pause bien méritée, mais il va de soi que l'on a hâte de la revoir sur un nouveau projet. En attendant, celles et ceux ne connaissant pas encore son chef d'oeuvre Mars ont l'occasion de le découvrir via une nouvelle édition lancée par Panini le mois dernier. Et si les éditions Glénat pouvaient prochainement offrir une nouvelle édition à son merveilleux polar ES Eternal Sabbath, on ne dirait clairement pas non !