Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 12 Mars 2025
Depuis le grand succès de Switch Girl!! qu'elles publièrent lors de leurs années de collaboration avec les éditions Delcourt, les éditions Akata n'ont jamais lâché la mangaka Natsumi Aida qui, encore aujourd'hui, reste une artiste emblématique de leur histoire, avec qui elles entretiennent un lien à-part. Avec le bijou Ugly Princess puis le très sympathique Analog Drop, cette belle histoire a évidemment continué après qu'Akata s'est émancipé de Delcourt pour devenir éditeur à part entière en 2014, et elle se poursuit en cette première partie d'année 2025 avec l'arrivée chez nous de la dernière série en date de la mangaka: "Tôdai-kun to Moto Gal-san ~Kakusakon Royale~" (littéralement "L'étudiant de l'université de Tokyo et l'ex-Gyaru : le mariage royal de la disparité" ) , renommée dans notre langue Le Bourge et la Cagole. Achevée en sept tomes, cette série a été prépubliée au Japon entre 2021 et début 2024 dans le magazine Be Love, en ayant alors marqué la toute première collaboration de l'autrice avec les éditions Kôdansha (jusque-là, elle était 100% fidèle aux éditions Shûeisha). Et pour l'occasion Akata ne fait pas les choses à moitié puisque Natsumi Aida, en ce mois de mars, est une nouvelle fois invitée par Akata, cette fois-ci à la Foire du Livre de Bruxelles, après être passée à Japan Expo à Paris en 2012 et à Polymanga à Montreux en 2017.
Tout commence alors que Shûtarô Tôjô, 36 ans et responsable financier à la banque Izuho, est en pleine déprime car, depuis toujours, il sent peser sur lui le fait que personne ne reconnaisse sa valeur, malgré tous ses efforts, à commencer par son parcours d'exception à Tôdai, l'université la plus prestigieuse du Japon. La raison ? Eh bien, notre homme est le riche héritier d'une firme au chiffre d'affaires s'élevant à 80 milliards de yens, fait donc partie de la crème de la crème, et les gens le renvoient alors sans cesse à ce statut sans chercher à le connaître. Sa voie est déjà toute tracée, il n'a aucune emprise sur son avenir, il a beau être "bien né" il n'est alors aucunement heureux... du moins, jusqu'à ce jour où, en ratant son arrêt de train, il descend à Hachiôji dans la banlieue de Tokyo et y découvre un univers dont il ignore tout, loin du cadre élitiste dans lequel il a toujours vécu. Là, ses pas l'amènent à entrer dans un petit restaurant à l'ambiance chaleureuse, et à y rencontre une serveuse qui va changer sa vie: Manatsu Atsui, 30 ans, ex-gyaru avec tout ce que ça implique de franc-parler et de manières populaires, est la première à réellement l'écouter, à l'inviter à dire ce qu'il a sur le coeur, à faire attention à lui, dans un beau mélange de chaleur, de douceur et de force.
Depuis, Shûtarô a pris l'habitude de fréquenter le bistrot où elle travaille aux côtés de Masa, un ancien camarade de classe et collègue qui a toujours le béguin pour elle alors qu'il s'est fait jeter, et du patron, frère aîné de Masa. De fil en aiguille, Shutarô s'est beaucoup rapproché de Manatsu, au fil des repas au restaurant et des sorties lui ayant permis de découvrir plein de facettes de cette femme... et de naturellement en tomber amoureux. Prenant son courage à deux mains pour faire la première déclaration d'amour de sa vie et demander à Manatsu de l'épouser, il est aux anges lorsque celle-ci, touchée, accepte ! Et les choses semblent d'autant plus idéales que Shûtarô est accueilli avec simplicité et chaleur humaine par Haruo et Fubuki, les parents de Manatsu, eux-même issus de deux mondes différents puisqu'à l'époque de leur rencontre il était flic et elle était délinquante. Toute cette complicité, cette chaleur et cette bienveillance à naturellement de quoi toucher et réconforter... mais ce que Shûtarô ne sait pas, c'est qu'il y a un gros pépin dans l'équation: Yuriko, 60 ans, qui n'est autre que sa propre mère, et qui n'entend aucunement laisser son fils se marier avec une "gueuse" de la plèbe ! Et pour arriver à ses fins, celle-ci, tout en prenant soin de rester devant Shûtarô la mère douce et aimante qu'il connaît, ne reculera devant aucun coup bas...
Après des premières dizaines de pages qui font chaud au coeur et qui installent parfaitement l'osmose qui naît entre Shûtarô et Manatsu, en plus de poser avec attachement leur personnalité et leur background, Natsumi Aida lance réellement son histoire avec l'entrée en scène de Yuriko, délicieux cliché de la belle-mère démoniaque et que l'on va vite adorer détester, au vu de son statut de manipulatrice lâche et perfide faisant ses coups en douce pour tenter par tous les moyens (y compris en utilisant la jalousie de Masa) de séparer les deux personnages principaux et de briser la confiance qui règne entre eux... en oubliant peut-être de se questionner sur l'essentiel: où se situe le bonheur de son fils ?
Evidemment, la mangaka joue à fond la carte des mondes opposés: au milieu guindé et élitiste de la famille Tôjô répond le côté plus populaire, familier et simple dans lequel Manatsu a grandi, chose d'autant plus efficace que notre héroïne est une ex-gyaru, et qu'elle a gardé de cette époque une franchise à toute épreuve, jusque dans son parler ! Sur ces bases, l'autrice aborde intelligemment son sujet de société autour des différences de rang social, par le prisme d'un humour omniprésent qui joue beaucoup sur ces différences de valeur et où elle se moque également avec malice de son "antagoniste" (mieux vaut ne pas parle à Yuriko de ses rides...).
On s'amuse ainsi beaucoup à la lecture de ce premier tome, mais on s'émeut également plus d'une fois en voyant l'impact que peuvent déjà avoir les sales coups de cette démoniaque future belle-mère. Des sales coups bien rodés, où elle exploite à fond son influence de grosse richarde sans scrupules, en mettant déjà à mal la relation si attachante de Shûtarô et Manatsu... On ne peut que leur souhaiter d'être assez forts pour se sortir de tout ça et pour affirmer de plus belle leur confiance mutuelle et leur amour !
Enfin, au niveau de l'édition, la copie proposé par Akata est excellente en tous points, ne serait-ce que pour son contenu bonus, à savoir une postface de l'autrice conçue exclusivement pour le public francophone, et une page de présentation par celle-ci de Manatsu puis de Hachiôji, la ville où elle-même est née et a grandi jusqu'à l'âge de dix ans. A part ça, le papier et l'impression sont de bonne qualité, le lettrage d'Adween est très propre, la traduction de David Pollet est excellent en offrant beaucoup de dynamisme et de naturel et en jouant très bien sur les différences de langage avec pas mal d'expressions fleuries chez Manatsu, et la jaquette est soigneusement adaptée de l'originale japonaise avec un logo-titre bien conçu par Lucie Archambault.