Bounder - Actualité manga

Bounder : Critiques

Bounder ~ Saikyô no Shônen Kô U

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 23 Août 2019

Même si les mangas encrés dans la Chine d'il y a plus ou moins 2000 ans ne sont pas nouveaux en France, le succès de l'incontournable et excellent Kingdom dans nos contrées depuis l'année dernière chez Meian semble devoir faire des émules, à l'image des éditions Kurokawa qui ont décidé, en ce mois d'août, de publier Bounder, un manga signé Takumi Ohyama, un mangaka qui, avant cela, a signé au Japon une histoire alternative ancrée dans l'univers de Ghost in the Shell Arise.

Prépublié au Japon dans le Bessatsu Shônen Magazine des éditions Kôdansha en 2016-2017 sous le titre Bounder - Saikyô no Shônen Kô U, ce titre se déroule durant la même période que Kingdom (et non à l'époque de l'unification des Trois Royaumes, comme l'avait dit l'éditeur dans son live sur twitter au moment de l'annonce de l'acquisition... Il y a quand même environ 500 ans d'écart entre les deux périodes, c'est pas rien), mais n'a sans doute pas les mêmes ambitions (ou la même réussite ?) que son illustre aîné puisqu'il s'est bouclé vite fait après deux tomes. A vrai dire, l'éditeur français n'a visiblement lui-même pas trop cru en cette petite sortie opportuniste, en la balançant dans une édition intégrale (réunissant donc les deux tomes japonais pour un total de 370-380 pages) en format shônen (celui de FMA, One-punch Man, etc) que l'on va qualifier de "cheap": pas de jaquette ni même de rabats, des bulles régulièrement un peu prises dans la reliure (si bien qu'il faut parfois torturer son tome pour pouvoir lire des cases), une reliure qui du coup en pâtit, quelques problèmes de moirage dans l'impression, un logo-titre kitsch ne donnant aucune indication sur le thème (un sous-titre aurait pu être utile), une faute de conjugaison dès la première page... Pourtant, par la suite la traduction se révèle assez plaisante et comporte même quelques annotations utiles (sont-elles d'origine ou ont-elles été rajoutées ? Aucune idée), et le papier en lui-même est assez souple et dépourvu de transparence, mais il reste clair que l'édition fait globalement un peu pitié par rapport à ce que Kurokawa peut fournir, surtout pour un prix de 12€ (en guise de comparaison, les tomes doubles ou triples de certains mangas Pokémon sont beaucoup mieux, pour moins cher).

Bounder nous plonge donc dans la Chine du IIIe siècle avant notre ère, à une époque où Qin Shi Huang, le premier empereur de l'histoire du pays, s'est installé au pouvoir en commençant à unifier le pays sous ce que l'on appelle très logiquement la dynastie Qin. Resté dans l'Histoire pour certaines étapes d'unification essentielles, pour son armée redoutable ou pour diverses innovations, il fut également décrit comme un homme profondément tyrannique et violent, et c'est assurément sur ce dernier point que le mangaka se base le plus. Pour être sûr de ne jamais être embêté, Qin n'hésite pas à semer la terreur dans le sang, à massacrer toute une partie de la population qui serait un minimum susceptible de lui mettre un jour des bâtons dans les roues pour étouffer dans l'oeuf toute volonté de rébellion... et notre jeune héros, Yu, va en faire les frais, en voyant brutalement son père se faire découper et sa mère se faire trancher sous ses yeux, puis, un peu plus tard, en assistant à la décapitation injuste de sa toute jeune et innocente "petite soeur". Le ton est donné d'emblée: le récit sera brutal, sanglant, avec beaucoup de morts et de têtes et membres qui voleront, le tout étant toujours rendu de façon assez efficace et abrupte par un mangaka dont le trait se veut pais, dense et expressif, et dont la mise en scène ne prend jamais de gants (il y a des morts crues et des excès de violence qu'on ne voit clairement pas venir d'une age à l'autre).

C'est dans ce climat de tyrannie sans concession que va devoir grandir Yu, personnage ayant lui aussi réellement existé puisqu'il deviendra Xiang Yu, un général de l'époque. Ici, pas de demi-mesure pour l'auteur: face à la violente dictature poussée à l'extrême de Qin, il oppose une héros dont la jeune terrible fait qu'il est entièrement mû, au fil des années, par sa haine de l'Empereur et son désir de le tuer... Mais encore faut-il pouvoir l'approcher. Au fil de son parcours semé de combats et de moments durs, il est évidemment amené à se faire des alliés: un tuteur bienveillant dont il prend le nom, une jolie et habile guerrière ayant elle aussi une haine pour Qin depuis qu'il a mis à feu et à sang sa province pour unifier le pays, un fier et redouté bandit... dont certains ont, eux aussi, réellement existé. D'ailleurs, sur le plan historique, le mangaka se veut assez fidèle dans les grandes lignes, en respectant bien la plupart des dates importantes, des anecdotes ayant fait entrer Qin dans la légende (comme son fameux mausolée à Xi'an comportant 7 000 statues de soldats et de chevaux en terre cuite et constituant de nos jours une énorme attraction touristique en Chine), mais aussi différentes étapes véridiques de son règne, comme l'autodafé des livres de Confucius, l'exécution des personnes lettrées ou sa quête d'immortalité.

Mine de rien, le récit se veut donc parfois enrichissant, tout en assurant surtout un divertissement assez bourrin, au dessin intense et au rythme soutenu... mais il ne faut pas se voiler la face, il ne faut pas non plus en attendre grand chose. En seulement 370 pages, Takumi Ohyama couvre bien vite toute cette période charnière en allant vraiment à l'essentiel, quitte à prendre beaucoup de raccourcis et à ne jamais offrir de phases plus stratégiques (l'oeuvre se limite vraiment à l'accumulation de quelques alliés pour mener la révolte, et à de l'action aux morts brutales). Il en résulte donc deux choses: malheureusement c'est régulièrement rushé, et heureusement on ne s'ennuie jamais dès qu'on est plongé dedans. Le tout, jusqu'à une conclusion à l'image de l'oeuvre: elle est rapide, elle reste ouverte sur bien des choses, mais le conclut tout de même l'essentiel.

Au bout du compte, malgré son côté "Kingdom pour les fauchés" et son édition un peu moisie sur certains aspects, Bounder, à condition de ne pas en attendre trop, se révèle être un petit divertissement efficace et honorable, le temps de 370 pages. Et par son coup de crayon pouvant réellement faire des prouesses en intensité et en brutalité, Takumi Ohyama est un auteur qu'il ne nous déplairait assurément pas de revoir un jour.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
12.75 20
Note de la rédaction