Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 09 Décembre 2025
Les éditions Akata ont profité de la convention Y-Con pour publier, à la mi-novembre, quelques mangas boy's love dont celui qui nous intéresse ici: They said you won't come back. De son nom original "Shiosai no Futari" (littéralement "Le Bruit des Vagues"), cette oeuvre est signée Yorube Toasa, une autrice japonaise vivant aux Etats-Unis depuis 2013 et dont la carrière est un peu singulière. Connue également sous le nom de Velvet Toucher, elle était d’abord identifiée pour son travail en tant qu’illustratrice. Très active aussi dans le domaine de l’auto-publication, elle s’est fait connaître dans les milieux indépendants. They Said You Won’t Come Back a ainsi été d’abord publié directement en anglais par son autrice sur des plateformes telles que Webtoon ou Tapas. C’est finalement en 2020 que les éditions Kadokawa publient ce manga sous une forme "professionnelle" au Japon, alors que l’autrice est déjà dans la quarantaine. Depuis, elle a signé quelques autres récits.
Ancré dans le Japon des années 1990 et plus précisément en 1994, ce titre d'un peu plus de 200 pages démarre alors que Kôtarô Yashiki, un professeur de mathématiques qui travaillait auparavant en ville, arrive en tant que nouvel enseignant provisoire dans un collège d'une petite ville du bord de mer. Pour sa première année dans l'établissement, il se retrouve chargé d'assister Naoya Hinagishi, le professeur principal de la classe 2-B. Il a l'occasion d'entrevoir un enseignant très impliqué dans son travail, soucieux de ses élèves mais également capable d'être sévère, ce qui le rend dans l'ensemble parmi les profs les plus populaires de l'établissement. En somme, Hinagishi est un peu tout le contraire de Yashiki, ce dernier n'ayant pas spécialement suivi la voie du professorat par vocation, ayant débarqué dans ce "trou perdu" pour fuir des dettes et des problèmes qu'il a eus dans son précédent collège, se montrant plutôt dilettante dans l'attention accordée aux élèves... et ça, Hinagishi le capte très vite et se montre alors d'autant plus sévère avec son assistant, en voulant le pousser à changer. Alors qu'une sorte de tension s'installe entre les deux hommes, Yashiki, gay aux moeurs assez libres, se sent pourtant attiré physiquement par ce professeur bien sous tous rapports, hétéro et marié. Mais quand, un jour où il ne supporte plus les directives étouffantes de son aîné, le jeune homme le provoque en lui annonçant son homosexualité, en l'embrassant et en le mettant au défi de dénoncer à la direction ce qu'il vient de faire, la réaction de Hinagishi est loin d'être celle que Yashiki imaginait.
They said you won't come back, c'est l'histoire relationnelle, sexuelle et amoureuse contrariée de deux enseignants au départ bien différents et qui, par la force des choses, vont apprendre à se connaître et révéler chacun leurs failles, leurs blessures et leur fragilité. Ainsi Yashiki se voit-il rapidement percé à jour par Hinagishi et finit-il de lui-même par dévoiler ses tourments intérieurs, entre ses dettes liées au jeu, ses problèmes dans son collège précédent, sa part de désinvolture au travail, et surtout son homosexualité ainsi que ses difficultés à tenir une relation sérieuse, ses partenaire finissant généralement par le trouver froid et pas attaché à eux. Quant à Hinegishi, derrière son image proprette, il laissera de plus en plus entrevoir, lui aussi, ses soucis, liés principalement à un mariage qui a tout d'un échec et à une épouse qui n'en a plus que le nom, mais aussi à certaines pratiques sexuelles pouvant sembler étonnantes de sa part et qui pourraient tout à fait se poursuivre à travers d'autres découvertes, cette fois-ci avec Yashiki...
Oscillant entre confidents, sex friends et potentiels amoureux véritables, la relation entre les deux protagonistes est assez intéressante, en ceci qu'elle ne coche pas tout à fait la moindre case et échappe un peu au classicisme des relations de couple, ce qui a été nourri par leurs expériences respectives d'hétéro dont le mariage a foiré pour l'un et d'homo peinant beaucoup à s'attacher pour l'autre. Jusque dans un final et un épilogue qui déjouent un peu, là aussi, les habitudes de beaucoup de BL, la mangaka adopte une tonalité réaliste qui est encore renforcée par son très beau dessin intense (designs matures et un peu anguleux, décors photoréalistes omniprésents...), par les évolutions que les deux hommes connaîtront au contact l'un de l'autre (par exemple, Yashiki apprendra à devenir un homme plus digne de confiance et un professeur quand même plus responsable et soucieux), et par un portrait suffisamment immersif du Japon des années 1990. Sur ce dernier point, on aurait quand même pu imaginer un portrait d'époque encore plus prégnant et impactant, mais l'essentiel est quand même assuré via quelques références d'il y a 30 ans (l'émergence de la mode des loose socks, l'évocation de certains stars, émissions et séries dont une, "Dôsôkai", fut la première série japonaise à mettre autant au premier plan et dans un esprit d'ouverture des relations homosexuelles, entre autres) et à travers un petit regard sur le contexte de l'époque, notamment la rigidité du système scolaire japonais et l'image encore taboue que pouvaient avoir les relations homosexuelles.
Dans l'ensemble, nous voici donc avec un boy's love réussi, à la fois assez réaliste et mature (jusque dans ses scènes érotiques), dépeignant soigneusement les deux protagonistes et offrant un cadre intéressant avec cette petite ville côtière dans le Japon du milieu des années 1990. Et côté édition française, c'est du tout bon pour Akata: la jaquette est fidèlement adaptée de l'originale japonaise, le logo-titre imaginé par Clémence Aresu est propre et moins envahissant que dans la version d'origine, le papier est de bonne qualité et permet une qualité d'impression convaincante, la traduction assurée par Anaïs Fourny est très claire, et le lettrage effectué par Raf est propre.
13/11/2025