Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 27 Mai 2025
Cela n'aura sans doute pas échappé à ma majorité d'entre vous: pour célébrer ses 25 ans en 2025, Pika Edition a décidé de mettre à l'honneur, tout au long de cette année, cinq séries incontournables de son catalogue à travers des éditions anniversaire de ses tomes 1, celles-ci étant exclusives à la France. Et après Fairy Tail au mois de février, la seconde série concernée en ce mois de mai est Blue Period de Tsubasa Yamaguchi, captivante série sur l'Art qui a remporté plusieurs prix au Japon et qui a été lancée dans notre langue en janvier 2021.
Vous ne connaissez toujours pas ce très bon manga, malgré son adaptation animée diffusée sur Netflix en 2021 ? Eh bien, laissez-nous vous faire un rappel détaillé de notre avis sur ce tout début de série. Blue Period (qui, soulignons-le tout de suite, est aussi le nom de la série au Japon, et non un anglicisme créé pour l'édition française comme les éditeurs tendent parfois trop à le faire) est arrivé dans nos contrées il y a un peu plus de quatre ans en étant précédé d'une solide réputation: lauréate de plusieurs prix dans son pays (notamment le Prix Manga Taishô 2020, et le Prix du manga Kôdansha 2020, sans compter de nombreuses sélections/nominations), l'oeuvre s'est également déjà installée plusieurs fois dans les tops vente nippons. Elle est en cours depuis 2017 dans le magazine Afternoon des éditions Kôdansha, magazine souvent qualitatif qui a vu ou voit encore passer un paquet d'excellentes séries comme Vinland Saga, Blame!, Bakuon Rettô, L'Habitant de l'Infini, Mushishi, A Journey beyond Heaven...
On doit ce manga à Tsubasa Yamaguchi, une artiste jusque-là inédite en France, mais qui a déjà à son actif au Japon quelques travaux depuis ses débuts professionnels dans la première moitié des années 2010, qui plus est dans des registres assez variés. Ainsi, si on l'a d'abord connue en 2014 pour sa participation à une anthologie collective autour de l'anime Aldnoah.Zero, elle s'est intéressée au manga sur l'Art dès 2015 avec Nude Model, une histoire courte ayant pour thème la peinture. On l'a ensuite retrouvée en 2016 avec Kanojo to Kanojo no Neko, one-shot adaptant le très beau court-métrage éponyme de Makoto Shinkai, puis avec Kokuhaku no Jikan, un boy's love en 3 chapitres. Actuellement exclusivement concentrée sur Blue Period, elle a un compte instagram où elle est assez active, mais aussi, chose particulièrement appréciable, un compte youtube où elle a posté plusieurs vidéos d'elle en train de dessiner les personnages de sa série phare, ce qui est un vrai plaisir à regarder.
Blue Period nous immisce auprès de Yatora Yaguchi, un lycéen en classe de première qui ne passe pas forcément inaperçu, d'autant que malgré son statut d'élève brillant il a une allure qui dénote un peu. Cheveux décolorés, piercing à l'oreille, fumant quelques clopes à l'occasion et faisant les 400 coups avec ses trois potes, il n'a pas forcément très bonne réputation auprès de pas mal d'élèves, qui le considèrent même comme un bad boy. Mais tout ceci n'est-il pas qu'une façade ? Tout semble avoir beau lui réussir dans l'ensemble, au point qu'il aime se placer un peu en hauteur par rapport aux autres, Yatora fait partie de ces adolescents un peu paumés, sans réelle passion ni vision de ce qu'il veut devenir plus tard. Sans forcément poser le mot sur cette impression, on sent qu'il étouffe, comme nombre de jeunes (et moins jeunes) dans une société formatée où la norme est reine. Et quand on lui parle d'orientation pour l'avenir, il suppose qu'il ira dans une université publique sans avoir vraiment de projet précis, hormis celui d'éviter à ses parents de faire trop de dépense vu que sa famille n'en a pas forcément les moyens. Alors, par défaut, Yatora suit le moule, étudie correctement sans trop savoir dans quel but... Du moins, jusqu'à ce qu'un tableau, découvert par hasard dans la salle d'arts plastique, le subjugue complètement, au point qu'il n'arrive plus vraiment à en détacher ses yeux. Quelques rencontres plus tard, le voici qui se surprend à adorer dessiner sur ses cahiers pendant les cours, avant qu'il ne décide d'intégrer le club d'arts plastiques de son lycée. En lui naît enfin la chose qui lui manquait tant: une passion. Et cette passion pourrait l'emmener très loin...
Blue Period nous parle donc d'Art et essentiellement de dessin et de peinture, chose qui n'est pas forcément nouvelle: ainsi, celles et ceux qui sont intéressé(e)s par le sujet peuvent également se ruer, entre autres, sur l'excellent manga Demande à Modigliani!, paru en France aux éditions naBan. Mais Tsubasa Yamaguchi a une manière différente et bien à elle d'aborder le sujet, car en nous invitant dans l'univers artistique à travers un héros néophyte comme Yatora, elle nous place un peu au même niveau que lui pour rendre son récit totalement accessible, afin de le rendre d'autant plus didactique au fil de ses nombreuses informations. Car l'un des enjeux de l'autrice à travers cette oeuvre semble bel et bien de décortiquer cet Art sous toutes les coutures: distillées avec clarté et parcimonie, de nombreuses informations techniques sont présentes sur bien des domaines (que ce soit les techniques de dessin et de peinture en elles-mêmes, les différents types de peinture, le matériel...), mais Yamaguchi n'est également pas avare en présentations sur la place de l'Art en milieu scolaire/lycéen et sur les écoles d'Arts japonaises, leurs spécificités, ou simplement leur difficultés d'admission, leur aspect financier et les perspectives qu'elles peuvent offrir.
Ces perspectives, Yatora, lui, ne les a évidemment pas au début, lui l'élève un peu paumé qui ne savait pas quoi faire de sa vie. Et c'est au fil de ce premier volume que l'on voit naître en lui ces choses qui lui manquait: un but à atteindre, un rêve à rendre accessible en devenant meilleur en Art... Choses qu'il doit à la Passion, Art et Passion étant intimement liés ici, chose que véhicule excellemment l'enseignante du club, femme ouverte, pouvant être sévère mais poussant toujours les jeunes vers l'avant (le genre de prof que l'on aurait tous aimé avoir). Et si la passion naît en lui, c'est aussi à travers la stimulation que lui procurent plusieurs autres jeunes autour de lui. On pense à la talentueuse présidente Mori, à l'intéressante Yuka qui véhicule même encore plus de choses autour de l'identité, ou à certaines rencontres faites en fin de volume.
Et puisque l'on parle d'identité, sans doute est-ce aussi ce qui manquait à notre héros, qui se conformait au moule sans vraiment en sortir, fumant quelques cigarettes pour faire genre, mais qui n'osait pas, forcément exprimer ce qu'il avait au fond de lui... Cela, la peinture devrait le lui permettre, en étant, comme tout Art, un moyen de s'exprimer et d'afficher sa personnalité, dans un monde qui tend souvent à trop étouffer celle-ci.
Visuellement, c'est assez personnel et, surtout, d'une limpidité exemplaire. Yamaguchi soigne beaucoup son découpage, ses angles, et sait faire ressortir à merveille l'Art et ses jeunes artistes en herbe. On adorera la pleine page de Mori peignant avec ferveur et intensité, ou encore les brèves petites métaphores visuelles où Yatora est comme immergés dans les paysages, ces paysages qu'il prend soin d'observer désormais comme jamais auparavant, posant un nouveau regard sur ce qui l'entoure. Soulignons aussi la participation, pour les dessins d'oeuvres d'Art, de nombreux artiste que l'autrice remercie tous à la fin de l'ouvrage. Les plus observateurs noteront que parmi tous les remerciement, il manque un nom, celui de Matsuba Yachigusa... qui est un anagramme de Tsubasa Yamaguchi. On imagine donc avec malice que ces quelques dessins d'oeuvres d'Art là ont été faits par la mangaka elle-même.
Et pour finir sur une autre anecdote, soulignons que le titre Blue Period n'est sans aucun doute pas choisi au hasard, la Période Bleue étant l'une des périodes artistiques de Pablo Picasso, dont le nom est mentionné dès le première page. Cette période correspondant, en plus, à tout un phase de la jeunesse du célèbre peintre, quand il avait tout juste 20 ans.
Redécouvrir les débuts de Blue Period est donc un immense plaisir, d'autant plus que l'édition anniversaire se veut assez généreuse voire originale, puisque sa principale spécificité est sûrement d'être imprimée entièrement en pantone bleu, ce qui offre souvent une atmosphère nouvelle aux planches, en plus de posséder une forte symbolique par rapport au début de la série et à son titre. En plus de ça, on trouve aussi une belle jaquette exclusive dominée elle aussi par le bleu (il est juste dommage que l'éditeur n'ai pas pu intégrer la jaquette classique au verso), un chapitre bonus de dix page sur le passé de Ryûji (l'un des personnages les plus marquants des premiers volumes), six pages de croquis préparatoires et de storyboards de certaines planches du premier chapitre avec quelques petits commentaires, une galerie de huit pages d'illustrations en couleurs de la mangaka, et trois pages de photos de son atelier. Au total, cela nous donne une trentaine de pages exclusives à cette édition anniversaire dont une bonne partie en couleurs. Pour un prix de 9,95€, il y a de quoi être satisfait de ce bel objet quand on est fan de Blue Period !
Un 17/20 pour le volume en lui-même (ce qui était déjà le cas dans notre chronique du tome 1 classique en 2021) couplé à un mérité 17,5/20 pour l'édition anniversaire.