Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 08 Février 2024
Riche de nouvelles expériences pour atteindre son objectif de créer un nouveau son de jazz, Dai peut quitter Portland et reprendre sa route vers le sud afin d'atteindre la première très grande ville de son périple américain: San Francisco. A peine a-t-il repris le volant de sa voiture qu'il retrouve une tête bien connue en auto-stop, le skateur Jason, ces retrouvailles aboutissant à un tout premier chapitre assez génial où Shinichi Ishizuka, au fil de pages muettes, met son talent graphique au service de tout ce que les deux hommes ont l'occasion de partager pendant ce bout de route ensemble, notamment en termes de goûts musicaux divers qui les font passer par toutes les réactions possibles. A l'arrivée, on sent facilement que le lien entre ces deux-là leur apporte des choses à tous les deux, à tel point que Jason finit par faire une étonnante proposition à Dai: et si, le temps de quelques étapes, il devenait l'agent de notre héros ?
C'est sur ce fait bien dans le ton de la série (à sa façon, le très libre Jason se laisse lui aussi porter par l'instant, comme un bon musicien de jazz) que le binôme arrive enfin à San Francisco, où le premier enjeu va être de voir comment Jason va s'y prendre pour "vendre" Dai auprès de clubs de jazz, afin de lui offrir une chance de se produire sur des scènes pas toujours très ouvertes à des musiciens peu connus aux USA. Et le résultat est intéressant, car Jason, quitte à être un peu roublard, se montre bien différent de Dai dans son approche des gens. La dynamique entre les deux personnages s'installe vraiment bien, tandis qu'en filigranes Ishizuka dépeint San Francisco comme une ville où règne avant tout la diversité, sur tous les plans : bords politiques, origines ethniques... mais cette diversité est-elle toujours une bonne chose ?
C'est là qu'entre en scène un nouveau personnage très intéressant en la personne d'Alex, rencontré par Dai lors d'une session en groupe. Jeune batteur dont la famille est originaire de Chine, s'adonnant de temps à autre à la musique sans en parler à ses amis quand il ne doit pas aider à l'épicerie familiale dans le Chinatown de la grande métropole, il n'affiche guère d'ambition particulière à la batterie, alors même qu'il semble aimer ça. Pourquoi donc ? Eh bien car selon lui, parce qu'il existe dans le milieu du jazz (et dans d'autres milieux) une barrière invisible qui risque forcément de toucher aussi Dai un jour ou l'autre: celles des origines. Que ce soit à l'épicerie familiale via certaines remarques de clients qui ne pensent pas forcément à mal mais qui sont dans les clichés, ou dans le cadre du jazz où il y aurait soi-disant une hiérarchie, Alex ressent en permanence cette barrière invisible, mais a-t-il raison de penser ça, ou y a-t-il un moyen de briser cette soi-disant barrière ? C'est évidemment là qu'intervient Dai, en prenant en quelque sorte le jeune garçon sous son aile pour le pousser à dépasser ça et à oser se lâcher en concert, le tout aboutissant notamment à des instants musicaux intenses, fous et vraiment vibrants, comme le mangaka sait si bien les faire via ses découpages qui ont si souvent du sens (on pense à cette planche où le batteur, tout en jouant avec hargne et larmes, redresse peu à peu la tête). Quant à la leçon assimilée par Dai dans cette étape franciscanaise, elle est évidente: le jazz dépasse les origines, et la diversité y est une force.
Difficile de ne pas vibrer au rythme de ce troisième volume rondement mené, où les personnages secondaires (Jason, Alex) sont pertinents,où les scènes musicales continuent d'être grattées avec virtuosité par l'auteur, et où l'exploration par Dai des possibilités du jazz continue de passionner. Vivement la suite !