Blooming Girls Vol.1 - Manga

Blooming Girls Vol.1 : Critiques

Araburu Kisetsu no Otomedomo yo

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 06 Avril 2023

Chronique 2 :


Nao Emoto est assurément une dessinatrice talentueuse, dont le trait à la fois doux, sensible et pétillant est capable de servir à merveilles le registre de la tranche de vie dans lequel elle s'est spécialisée pendant ses premières années de carrière. Après l'avoir découverte en France chez Pika Edition à partir de 2021 avec Fragments d'elles qui est la première série de sa carrière, on a pu la retrouver en 2022 chez Delcourt/Tonkam avec Josée, le Tigre et les Poissons, jolie adaptation du film d'animation éponyme dont elle avait elle-même signé le character design original. Et pour cette année 2023, l'éditeur ne lâchera pas l'autrice ! Ainsi, en attendant de découvrir à partir du mois de juin sa dernière série en date New Authentic Magical Girl où elle adapte un light novel du réputé NisiOisiN (et où elle s'essaie pour la première fois à autre chose que la tranche de vie), Delcourt/Tonkam a lancé fin mars ce qui reste à ce jour la plus longue et la plus réputée série de l'artiste: Blooming Girls.

Riche de 8 volumes au total, cette série a été initialement prépubliée au Japon de 2016 à 2019 dans le Bessatsu Shônen Magazine des éditions Kôdansha sous le titre Araburu Kisetsu no Otomedomo yo. Et sa popularité, elle la doit en partie à son adaptation animée réalisée en 2019 et connue à l'international sous le nom O Maidens in Your Savage Season. Bien que très joli, cet anime reste étrangement toujours inédit de manière légale en France, ce qui est vraiment dommage. Comme pour les trois autres séries de sa carrière jusqu'à présent, Emoto n'est pas seule aux commandes ici: elle met en image une histoire imaginée par la célèbre Mari Okada, une scénariste renommée et prolifique en manga et surtout en animation, domaine où elle a travaillé sur un bon paquet d'oeuvre populaires comme Toradora!, AnoHana ou encore Maquia.

Blooming Girls nous immisce dans le club de littérature d'un lycée japonais dont les cinq membres, toutes des filles, ont pris pour habitude de donner leurs impressions sur des lectures qu'elles font à voix haute. Or, depuis peu, elles s'intéressent à un type de littérature plus sensuel voire érotique, dont les passages les plus olé-olé ne manquent pas de susciter en elles des réactions diverses, entre choc, embarras, intérêt ou même excitation. Aussi, quand l'une d'elles, Niina, affirme que si elle devait mourir bientôt elle aimerait faire l'amour, c'est le début de troubles de plus en plus profonds pour ces cinq filles qui, chacune à leur manière, seront amenées à se confronter à leur désir.

C'est une évidence: les sujets du sexe et du désir sont partout dans notre société, et il s'agit de quelque chose de naturel. C'est d'ailleurs quelque chose que les deux mangaka ne manqueront jamais de souligner, tant les camarades de classe de nos héroïnes en parlent régulièrement, à leur âge où ils/elles ont quasiment tout à découvrir dessus. Cependant, aborder ce sujet dans une oeuvre par le prisme de personnages adolescents peut être aussi casse-gueule que bénéfique selon l'angle choisi. Blooming Girls ayant été prépublié au Japon dans un magazine shônen (donc d'abord à destination d'adolescents masculins), le manga aurait facilement pu déraper s'il n'avait pas été porté par deux mangakas de sexe féminin. Et à l'image de l'anime, le résultat est on ne peut plus prometteur dans l'ensemble, en osant plus particulièrement aborder avec un certain réalisme le sujet trop peu mis en avant du désir et du sexe à l'adolescence depuis un point de vue féminin.

Ou, plutôt depuis plusieurs points de vue féminins, puisque l'on devine bien que nos cinq héroïnes vont se frotter à la chose de manières différentes, Okada et Emoto installant ici fort bien les premières caractéristiques de chacune d'entre elles. Ainsi Niina Sugawara, celle-là même qui a déclaré qu'elle ferait l'amour si elle devait bientôt mourir, est-elle présentée comme une fille belle, féminine et populaire auprès des garçons, si bien que cela lui a déjà joué des tours (nous y reviendrons). Hitoha Hongô, elle, est du genre neutre et cash, et s'intéresse de près au sexe à des fins littéraires, en essayant de comprendre objectivement l'attrait de la chose pour écrire son premier roman. Cheffe du club, Rika Sonezaki est ultra sérieuse et considère les filles parlant de sexe comme des obsédées, mais elle se retrouvera peu à peu déstabilisée par le dénomme Shun, qui voit de la beauté en elle quand les autres la critiquent à cause de son comportement de "coincée". Décrite par ses propres soins comme banale, l'adorable Momoko Sudô est pour l'instant la plus discrète des cinq. Quant à la plus en vue dans ce début de série en étant la figure principale du tome 1, il s'agit de Kazusa Onodera.

Kazusa, jusqu'à présent, était une passionnée de littérature dont les lectures penchaient plutôt sur les grands auteurs classiques du XXe siècle: Dazai, Akutagawa, Tanizaki... si bien que la découverte d'une littrature plus "adulte" l'ouvre maladroitement vers un autre univers, univers qu'elle risque bien de devoir développer en prenant peu à peu conscience de ses sentiments pour son ami d'enfance Izumi, garçon qu'elle voyait comme un petit frère autrefois et qui a désormais bien grandi en devenant même très populaire auprès des filles. A présent, "son" Izumi qui n'appartenait qu'à elle a grandi, et fait des choses qu'elle n'aurait jamais imaginées. Ajoutons à cela ses découvertes littéraires et ce qui se passe tout autour d'elle, et on obtient une Kazusa qui, naturellement, devra à son tour s'interroger sur son désir, quitte à avoir l'impression d'être soudainement catapultée dans le monde des adultes.

Que dire d'autre sur ce premier volume de mise en place ? Eh bien, qu'Okada et Emoto savent aussi profiter de leurs héroïnes pour évoquer certaines autres choses, notamment autour du physique, du corps et bien sûr du désir quand ils sont confrontés à notre rapport aux autres. De ce côté-là on a surtout une Niina qui souffre de sa beauté car elle a toujours attiré les pervers et a ainsi été plongée dans les questions liées au sexe très tôt. Et son cas rappelle de se méfier des hommes louches et, évidemment, de ne pas le faire avec n'importe qui. On peut également citer les moqueries à l'égard de Rika qui se retrouve traitée de mocheté, ou le brimades vécues autrefois par Kazusa simplement parce qu'elle est l'amie d'enfance du populaire Izumi. Sans oublier les sujets de la virginité et du rapport à son propre corps, qui pointent aussi le bout de leur nez.

Mais il faut également parler du dessin d'Emoto, particulièrement adapté à ce récit. On retrouve le don de la mangaka pour offrir des designs tout doux et expressifs, avec des héroïnes qui ont toutes une allure bien différente, jusque dans la forme et l'encrage de leurs yeux. Les dialogues ont beau être assez cash quand il le faut pour bien nous montrer que les filles ne sont pas des petites princesses toutes candides, les visuels, eux, savent vraiment rester dans une certaine pudeur pour trouver un bon équilibrer, quand bien même certaines situations saugrenues sont un peu grosses. Emoto est également capable de quelques élans aussi fougueux que l'adolescence. Et sa mise en scène s'avère travaillée quand il le faut, par exemple quand Kazusa apporte le bouillon à Izumi: les plans sur certaines parties du corps du jeune garçon montrent bien l'intérêt que l'adolescente lui porte et qu'elle a du désir pour lui, alors qu'elle-même n'en a pas encore vraiment conscience.

Attendu au tournant après une très belle adaptation animée, ce tome 1 de Blooming Girls accomplit bien son rôle d'installation dans l'ensemble. Il y a quelques instants qui peuvent décontenancer sur le coup, mais dans l'ensemble Mari Okada et Nao Emoto parviennent à aborder l'éveil d'adolescentes au désir et au sexe tout en douceur et en attentions portées aux différentes héroïnes. Delcourt/Tonkam ayant eu la bonne idée de publier le tome 2 en même temps que ce premier volume, on va vite pouvoir se faire un avis plus précis.

Enfin, abordons l'édition française, qui s'avère être de très bonne qualité, notamment parce que l'éditeur est allé dénicher une traductrice expérimentée et fine en la personne de Géraldine Oudin, celle-ci proposant un travail vraiment satisfaisant et bien équilibré entre les aspects plus francs et ceux plus pudiques du récit. Souple et suffisamment opaque, le papier permet une qualité d'impression tout à fait honnête. Quant au lettrage de Laurence Grateau, il est lui aussi très soigné. Enfin, signalons une belle surprise pour le premier tirage des tomes uniquement: la présence de deux jaquettes, l'une basée sur l'édition physique nippone et l'autre sur l'édition numérique. Il ne s'agit pas de jaquettes réversibles, mais bel et bien de deux jaquettes indépendantes, ce choix s'expliquant par le fait que les jaquettes sont imprimées sur un papier de création type Canson, sur lequel il était impossible de faire un recto verso. Le rendu des jaquettes est d'ailleurs très joli sur ce papier, d'autant plus que le logo-titre est finement travaillé.



Chronique 1 :


Mari Okada est l'une des scénaristes d'animation japonaise les plus prolifiques. Ponctuellement, elle touche aussi au manga, comme le prouve le manga Blooming Girls, né d'une collaboration avec l'artiste Nao Emoto que nous connaissons pour Fragments d'elles, et pour la version manga de Josée, le tigre et les poissons. Delcourt/Tonkam s'intéresse aujourd'hui à sa carrière, en publiant Blooming Girls, et en prévoyant dans son catalogue New Authentic Magical Girl, son dernier manga en date qui adapte le roman de NisiOisiN.

Mais revenons-en à Blooming Girls. La série fut initialement publiée entre 2016 et 2019 dans la revue Bessatsu Shônen Magazine des éditions Kôdansha, sous le titre original Araburu Kisetsu no Otome-domo yo, et totalise 8 volumes. En 2019, le manga fut porté en une série animée de 12 épisodes par le studio Lay-duce, sous la réalisation de Masahiro Ando et de Takuro Tsukuda. Malheureusement, cette adaptation n'a, à ce jour, jamais été proposée chez nous, malgré l'implication de Mari Okada qui a repris sa propre histoire pour la scénariser au format anime et en rédiger les scripts, rien que ça ! Notons, aussi, une adaptation en un drama de 8 épisodes, en 2020, pour lequel Mari Okada signe encore la composition de l'histoire.

Dans Blooming Girls, Kazusa est une lycéenne qui appartient au club de littérature de son établissement, un endroit où elle peut s'épanouir librement. Un jour, l'une des membres du groupe, Niina, évoque que sa dernière volonté serait de faire l'amour. Il n'en faut pas davantage pour chambouler le club dont Rika, sa leader, sévère et stricte, qui ne veut plus aborder le thème du sexe au sein de l'assemblée. Mais c'est trop tard. Chacune à leur manière, les quatre adolescentes sont marquées par cette intervention. Concernant Kazusa, cela va concerner sa relation avec Izumi, son voisin et ami d'enfance devenu le beau garçon du lycée...

Si les comédies sentimentales shônen ont régulièrement un côté aguicheur, le rapport charnel n'est finalement que rarement abordé. Il constitue régulièrement un moyen de créer de l'humour coquin, mais n'est que peu exploité comme une thématique adolescente, dans son entièreté et son sérieux. Ce qui est presque normal dans un manga pour jeunes garçons, qui ne doit pas franchir certaines lignées rouges. Mais parce que le Bessatsu Shônen Magazine s'adresse à des adolescents un poil plus murs (L'Attaque des Titans et XXX Holic y furent publiés, tandis qu'Arslan paraît actuellement en ses pages), Mari Okada a eu le loisir d'y développer son histoire, en comptant sur la finesse du trait de Nao Emoto, ce qui n'aurait probablement pas pu être le cas dans le Shônen Magazine classique, ou dans sa version mensuelle.

C'est par le chemin croisé de quatre amies, les membres du club de littérature, que l'idée est traitée sous son optique la plus pure, celle de l'adolescence. Par question d'en faire un ressort comique grivois ou d'aguicher le lectorat, l'objectif étant de développer une tranche de vie sentimentale et légère, en abordant la question de la puberté, des premiers émois, et de la naissance de la libido chez un individu dans la fleur de l'âge. Exercice complexe s'il en est, tant la chose implique de ne pas franchir certaines limites, mais le binôme s'en sort habilement dans ce premier tome qui plante les psychologies diverses des quatre protagonistes, et les interactions qui les pousseront à se questionner davantage sur leur perception de la sexualité.

Pour l'heure, ce traitement est porté par deux des quatre héroïnes : Kazusa et Rika. L'une cherche à se faire discrète par rapport à son ami d'enfance, le beau Izumi, mais va faire face à ses sentiments tout en se rendant compte que, comme bien des ados, son ami s'intéresse au sexe. Quant à Rika, c'est sa sévérité qui provoquera des heurts avec sa classe, elle qui n'admet pas la libido à leur âge, mais se liera d'amitié à un garçon qui reconnaîtra son charme. Tout un programme, croqué avec finesse et avec humour, le trait et la narration de Nao Emoto étant particulièrement propices pour jongler entre les tons tout en restant expressif et vecteurs d'émotions variées. Sa patte prend une force toute particulière sur ce premier tome qui se doit d'être équilibrée, de par le sujet qu'il aborde, un pari honoré comme il se doit, pour le moment.

C'est par ces instants de quotidien, au sein du club comme à l'extérieur, que cette histoire revêt un charme adolescent certain, sans jamais être vulgaire ou grivoise gratuitement. Si le sujet du sexe est sur toutes les langues parmi les personnages présentés, c'est bien dans l'optique de traité cette thématique avec nuances, par des portraits variés, plus que pour piquer la coquinerie du lecteur. Néanmoins, au terme de la lecture, on demande à en découvrir plus, notamment parce que deux des quatre amies demeurent très discrètes et méritent d'être développées plus en profondeur. Les autrices évoquent déjà leurs traitements, mais on aimerait les connaître davantage, et observer de quelles manières leurs traitements complèteront ceux de Kazusa et de Rika.

Alors, Blooming Girls nous séduit aisément sur ce premier tome drôle et léger, abordant son thème avec finesse et sans aucune vulgarité, rendant ce pur récit adolescent touchant comme il se doit. Et parce qu'on reste curieux d'en découvrir plus de cette histoire de Mari Okada, Delcourt/Tonkam a eu la bonne idée de publier les deux premiers tomes, en simultané.

Notons justement que l'édition proposée est de belle facture, lettrée efficacement par Laurence Grateau, sur la traduction juste de Géraldine Oudin. Côté finition, le travail est honorable, exploitant un bon papier, tandis que le papier type canson utilisé en couverture donne le rendu d'un bel ouvrage. Pour le lancement, l'éditeur propose deux jaquettes différentes, superposées l'une sur l'autre, permettant au lecteur de choisir entre la couverture imaginée par Delcourt/Tonkam, et l'illustration de l'édition japonaise. On ne pourra que trop conseiller de choisir l'une ou l'autre, plutôt que de laisser les deux sur le volume, pour un meilleur confort de lecture.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

15.25 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs