Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 20 Juin 2025
Annoncé en novembre 2023 par les éditions Akata, avec une avant-première numérique chapitre par chapitre qui a débuté dans la foulée, le manga La Belle & la Racaille vient tout juste de démarrer sa parution française en format papier, avec la sortie de son premier tome (sur un total de trois) cette semaine. Au Japon, cette toute première série de la carrière de Fujichika a été prépubliée entre 2020 et 2024 sur le site Web Action des éditions Futabasha. Et pour bien la lancer, l'éditeur a eu la sympathique idée de lui offrir une campagne de précommande permettant de récupérer des goodies autour de la série, à savoir un ex-libris aléatoire parmi deux illustrations, un marque-page recto/verso et un sticker. Autant dire qu'Akata semble croire beaucoup en l'oeuvre et vouloir la chouchouter... mais la série mérite-t-elle tout ça ? Au vu du premier tome, on a envie de dire que la réponse est un grand oui !
Prenant place dans le Japon des années 1980, La Belle & la Racaille nous immisce auprès d'Atsuko Nagumo, une lycéenne qui, dans son allure et dans son comportement, a à la base tout d'une sukeban, les sukeban étant un terme désignant les adolescentes délinquantes assez typiques des 80s et 90s (en quelque sorte le penchant féminin des furyo, pour schématiser). Avec son physique imposant, son regard sévère, sa jupe longue typique des sukeban, sa coupe de cheveux sortant de la norme, et surtout sa force physique faisant qu'elle est très douée en baston, elle est approchée par très peu de monde et est même surnommée "la tueuse au million de victimes". Et pourtant, depuis peu, une drôle de fille n'arrête pas de lui tourner autour: mignonne à souhait, super avenante, amusante avec ses loisirs étonnants, tirant un flot de bonnes bouilles, ne faisant pas du tout attention à ce que les gens peuvent penser d'elle, totalement naturelle, rayonnante... les mots peuvent être nombreux pour qualifier Riri Kanzaki, nouvelle venue dans le lycée, qui semble à la base être l'exact contraire d'Atsuko. Mais le fait est que, sous un prétexte inattendu et tout mignon (régulièrement, Riri demande à Atsuko de lui prononcer des mots mignons sélectionnés par ses soins), les deux filles passent de plus en plus de temps ensemble, se découvrent, s'apprécient... jusqu'à devenir de plus en plus inséparables et même à réfléchir sur la nature de leur relation, sous l'influence de certaines épreuves comme des loubards venant s'en prendre à Atsuko (mais bon, faut voir la dégaine rigolote des loubards en question) ou encore la jalousie Tamako Hôshô, admiratrice d'Atsuko qui saura sortir très vite et avec bienveillance de son statut de rivale de Riri.
Avec ces quelques lignes, vous avez normalement déjà une bonne idée de la nature de cette tranche de vie à la fois sentimentale et humoristique, qui suit un schéma somme toute classique du genre où les deux héroïnes devront comprendre peu à peu leurs vrais sentiments et la réelle nature de leur relation, mais qui régale vraiment grâce à deux éléments dont le premier n'est autre que l'aspect très lumineux et feel-good. Entre une Riri totalement naturelle et expressive et une Atsuko vraiment pas aussi méchante et violente qu'on pourrait le croire, l'autrice met en place un binôme attachant à souhait, que l'on adore très vite observer en détails (ne serait-ce que quand Riri dit franchement à Atsuko qu'elle est irrésistible, et que notre chère sukeban affiche un tas de délicieuses réactions gênées) et qui fait beaucoup de bien.
Quant à l'autre grande qualité et spécificité de l'ouvrage, il s'agit évidemment de son ancrage dans les années 80, et même de son hommage au Japon de cette époque-là, Fujichika allant jusqu'à offrir un style graphique rétro très expressif, léger et vibrant qui puise directement son inspiration dans tout un pan de comédies romantiques souvent shôjo de cette période à base de jeunes filles douces mais piquantes et de bad boys pas si méchants que ça (on en a peu d'exemples parus en France, mais on pourrait citer les mangas de Kazuko Makino parus aux éditions Black Box). Fujichika s'est beaucoup appliquée à retranscrire le Japon de cette époque, parvient même à évoquer certains sujets de société comme la place que pouvait avoir l'homosexualité il y a 40 ans là-bas (il suffit de voir le passage où l'héroïne cherche la définition du mot "amour" dans le dictionnaire), le tout dans une atmosphère très légère que l'on pouvait retrouver dans un bon nombre de comédies romantiques de cette période faste pour le japon, juste avant la bulle économique qu'a connue le pays.
Servi dans une jolie édition (jaquette proche de l'originale nippone, logo-titre soigneusement adapté, papier souple, assez épais et opaque, bonne impression, traduction bien vivante et claire de Blanche Delaborde, et lettrage soignée de yoske-san), ce premier tome est ainsi un vrai plaisir, très positif et communicatif. On découvrira avec bonheur les deux autres volumes !