Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 24 Novembre 2023
Voici déjà plus d'une décennie que les éditions IMHO s'évertuent à faire découvrir en France le travail rare mais précieux de Shin'ya Komatsu. Avec Tohu Bohu (sorti en France en 2012), Souvenirs de la mer assoupie (2018) et Un été à Tsurumaki (2021), sans oublier une histoire courte dans l'anthologie AX sortie chez Le Lézard Noir en 2011, on a déjà pu apprécier à plusieurs reprises le petits univers poétique de cet artiste qui a justement fait ses débuts dans la célèbre revue AX en 2004. Et en cette année 2023, c'est peut-être l'oeuvre majeure de Komatsu qu'IMHO nous propose de découvrir, puisque Bâillements de l'après-midi ("Gogo no Akubi" en version originale) est une série que l'auteur poursuit tranquillement au Japon, au gré de ses petites idées, depuis 2014 pour la revue féminine PHP Special de l'éditeur Akishobo, avec à ce jour trois volumes parus là-bas en novembre 2017, juillet 2020 et juin 2023.
Le principe de l'oeuvre est simple: au fil des saisons (printemps, été, automne et hiver se succèdent dans ce premier tome), on suit le quotidien d'Awako, jeune employée des éditions Marmelade, dans la petite ville où elle vit. Mais ce quotidien est un peu particulier, car cette ville possède une frontière très minime entre l'ordinaire et l'extraordinaire, et tous les habitants semblent très bien s'en accommoder, voire s'en émerveillent volontiers.
Chaque toute petite saynète, en seulement 4 pages, nous propose une petite situation de départ différente, situation semblant au premier abord banale: un raccourci à prendre pour ne pas arriver en retard au travail, une séance lecture sur le toit de l'immeuble, un coup de barre dans le bus, s'occuper du surprenant animal de compagnie d'une collègue, la participation à la cérémonie annuelle des offrandes, la présence d'un seul nuage dans le ciel, l'observation d'une hirondelle qui vole trop bas, un marché estival de la mousson, une longue pluie ininterrompue, l'achat d'un granité sur un stand de la place, une dégustation de boisson pétillante, la fête des lampions, un passage à la surprenante rue des libraires puis à un bazar dans la forêt... Mais à chaque fois, l'extraordinaire et l'inattendu viennent s'inviter de bien des manières, que ce soit via un chat qui parle et négocie sa récompense, des mots qui s'échappent d'un livre pour faire leur vie, l'acquisition d'un étonnant objet aspirant la fatigue, une femme ayant une cage à oiseau à la place de la tête, la vision d'un monde sous-marin à travers un parapluie, le recueil d'un petit nuage, un vendeur ours blanc...
Il ne s'agit là que de quelques petits exemples parmi une multitude de cas, et on va arrêter la liste là car vous avez normalement compris l'idée: tout le plaisir ici est de découvrir comment, à chaque petite situation a priori anodine, Shin'y a Komatsu va incorporer sa part de fantaisie, de merveilleux, sans que ça choque le moins du monde les habitants qui semblent très bien accepter et apprécier cette part d'extraordinaire venant animer le quotidien. Il n'est pas question ici de s'étonner face à des animaux qui parlent ou à des éléments qui semblent vivants, et c'est bien là que la magie de l'auteur opère en nous invitant simplement à vagabonder, en même temps qu'Awako, dans les recoins de cette ville aux mille merveilles, pour un résultat qui fait beaucoup de bien sous le dessin doux et faussement enfantin typique de Komatsu, avec ses designs naïfs, ses décors riches et poétiques, et évidemment ses innombrables petites trouvailles.
Servi dans une bonne qualité d'édition typique d'IMHO (grand format sans jaquette ni rabats, papier souple et assez opaque permettant une bonne impression, première page en couleur, lettrage soigné, et très bonne traduction d'Aurélien Estager qui avait déjà traduit les trois précédents ouvrages de l'auteur), ce premier tome de Bâillements de l'après-midi est, alors, un vrai petit bonheur à parcourir, grâce à l'infinie poésie avec laquelle Shin'y a Komatsu distille le merveilleux dans le quotidien.