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Back to you : Critiques

Kako no Anata, Mirai no Kimi

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 30 Décembre 2020

Chronique 2 :

Cela fait désormais environ deux bonnes années que les éditions Akata cherchent à bien développer leur offre numérique à travers des titres proposés d'abord uniquement en dématérialisé chapitre par chapitre, parfois en simultrad, avant d'être voués à sortir plus tard en version papier. On pense notamment à Our Colorful Days, Magical Girl Site Sept, Running Girl... mais aussi à deux mangas féminins matures et à tendance érotisante qui sont d'abord venus enrichir le catalogue numérique de l'éditeur à partir de début octobre 2019: Back to You et Switch me On, deux récits issus du Comic Tint de Kôdansha, un magazine japonais exclusivement numérique, proposant des shôjo/josei plus mûrs avec des personnages adultes et réalistes, et lancé par la direction éditoriale des magazines Kiss et Be Love en avril 2018. Depuis, du temps s'est écoulé, et on peut découvrir les deux oeuvres en version papier depuis début octobre 2020. Et si Switch Me On reste un cas particulier en ayant été la première série du Comic Tint à avoir droit à une version papier au Japon (car le magazine était initialement voué à ne proposer que des séries exclusivement numériques), la parution papier de Back to You, elle, s'avère être une véritable exclusivité française ! Les éditions Akata ont d'ailleurs pas mal réfléchi sur comment publie cette oeuvre: en deux courts volumes, ou en un seul gros tome ? Après un sondage auprès des lectrices et lecteurs, c'est la deuxième solution qui a été retenue.

Publiée à rythme mensuel dans le Comic Tint entre juin 2018 et janvier 2019 sous le nom Kako no Anata, Mirai no Kimi, Back to You est donc une courte oeuvre, terminée en 8 chapitres pour un total d'environ 300 pages. L'oeuvre est la toute première publication française et le tout premier josei de Senmitsu, une jeune mangaka qui, depuis le début de sa carrière dans la première moitié des années 2010, n'avait auparavant signé que des boy's love. Notons que, depuis Back to You, l'artiste a signé deux autres oeuvres: en 2019 Miren ga Michitara, un one-shot boy's love, et tout récemment Renai Suimin wa Torokeru Yumenonakade, un josei érotique ne comptant pour l'instant que quelques chapitres et qu'elle dessine sous un autre nom, Moriyama Moka.

Dans Back to You, les choses s'ouvrent sur les brefs ébats d'un couple... et pourtant, il ne semble guère plus y avoir de passion dans leur acte. Si Sayako a tant crié, c'est peut-être moins par plaisir charnel que pour la joie d'avoir été à nouveau touchée par son compagnon Naohiko. L'acte semble avoir été plutôt banal, sans déplaisir ni vrai plaisir, la jeune femme semble plus occupée à remarquer que son conjoint soupire, et déchante un peu en le voyant aller décrocher le téléphone qui sonne plutôt que de la cajoler. Tout simplement, leur couple bat de l'aile. Voici dix ans, depuis l'époque du lycée, qu'ils sont ensemble, et deux ans qu'ils vivent sous le même toit. Une forme de routine, de lassitude, paraît s'être installée entre eux, et quand Sayako fait part de çà à ses deux meilleures amies elle n'en ressort pas forcément rassurée. Elle sait bien que Naohiko est très occupé par son travail dans l'immobilier, mais est-ce que cela peut suffire à expliquer qu'il ne lui accorde plus aucune réelle petite attention ?

Le récit étant globalement court puisqu'il ne comptera que 8 chapitres, Senmitsu a d'abord pour mission de poser vite et bien son contexte de départ, et elle s'en tire vraiment à merveille sur ce point, tant on ressent bien que la banalité du quotidien frappe ce couple en plein essoufflement, dans une atmosphère rendue très réaliste par des petits détails de société comme l'aspect éreintant du travail de Naohiko. Et pourtant, c'est une part moins réaliste, teintée de surnaturel, qui finit bien vite par impacter la vie de Sayako: en descendant un mystérieux escalier vieillot qu'elle n'avait jamais vu sur sa route habituelle, la voici replongée dix années en arrière, directement aux portes du lycée qu'elle fréquentait. Elle y retrouve bien vite le Naohiko lycéen, sprinteur pas très doué mais persistant, dont elle était tombée amoureuse.

Le contraste entre la morne lassitude du présent à 27 ans et l'idéal lycéen des 17 ans est assez réussi, la mangaka enveloppant vite l'événement étrange arrivant à Sayako dans un climat de rêve, puisqu'elle revoit le lycéen frais et jeune qu'elle aimait, que celui-ci se montre vite très attentionné envers elle alors qu'elle a dix ans de plus. Ce climat de rêve, il est aussi évidemment teinté d'une pointe de nostalgie, autour du plaisir qu'a Sayako de retrouver le jeune Naohiko bien sûr, mais aussi via la résurgence de petits souvenirs du quotidien, comme le délice des sandwichs et du pain perdu d'une boulangerie ayant fermé par la suite après le décès du propriétaire.

On sent alors Sayako comme enveloppée dans une certaine chaleur quand elle retourne dans cette année 2008 où elle était lycéenne... mais justement, lycéenne, l'est-elle toujours dans ce passé ? Y a-t-il une elle-même lycéenne sur place ? La réponse se dessine bien vite: les jeunes Naohiko et Misato (l'une de ses amies) ne la connaissent pas, sa maison a quelque chose de différent... On n'en dira pas plus pour ne pas trop spoiler cette donne, mais le résultat se développera de manière intéressante. Et en attendant, il y a aussi une autre question qui nous vient à l'esprit très vite: le présent de 2018 ne risque-t-il pas d'être un peu modifié selon ce que Sayako fera dans le passé de 2008 ? Là aussi, certains indices, comme le fait que la tache qu'elle s'est faite disparaisse quand elle retourne dans le présent, laissent deviner sans équivoque la réponse, liée à une version alternative de ce passé, les deux époques n'étant pas reliées. Et si cela pourrait, sur le coup, apparaître comme une petite facilité d'écriture pour que la mangaka n'ait pas à trop se creuser la tête dans la part surnaturelle de son récit, cet aspect alternatif du passé se révèlera en réalité utile pour l'introspection des personnages au bout du compte.

Car l'introspection est évidemment au coeur du récit, et passe essentiellement par notre héroïne, jeune adulte dont la relation de couple, comme pour beaucoup de couple dans la réalité, semble mise à l'épreuve du temps, de la routine, de la lassitude. En cela, le doute vient même assez vite par s'immiscer chez notre héroïne: Naohiko se serait-il lassé d'elle, au point de la tromper avec son amie Misato, elle aussi amoureuse de Naohiko à l'époque du lycée mais autrefois rejetée par celui-ci ? La jeune femme a-t-elle raison de se tourmenter autant ? Tandis que la nostalgie des débuts de sa relation la gagne en retrouvant le Naohiko adolescent et jeune, la jeune femme semble proche de l'errance, réécrivant en quelque sorte son premier baiser, s'interrogeant avec affection sur depuis combien de temps elle n'avait pas tenu la main de celui qu'elle aime... mais les événements servent non pas à tirailler bêtement Sayako entre les deux Naohiko, mais bien à lui faire reconsidérer sa vision de celui qu'elle aime dans le présent, un homme qu'elle réapprend à observer, qui est surtout fatigué par ses responsabilités au travail, mais dont les sentiments ne sont sans doute pas éteints. Là où Sayako aurait pu fuir le présent pour se replonger dans le passé, il en est heureusement tout autre, et l'issue nous fera notamment ressentir l'importance de la communication dans un couple, celle-ci pouvant parfois résoudre de manière simple certains tourments (comme le soupçon d'adultère qu'a notre héroïne).

Finalement, le seul bémol que l'on pourrait mettre provient de certains bouleversements de la dernière partie de l'oeuvre: les coups de l'accident et plus encore de la vague amnésie sonnent un peu comme des grosses ficelles, visant à précipiter un peu plus la résolution des problèmes sans beaucoup de subtilité, voire en cassant un brin le rythme introspectif du récit. Néanmoins, si cet aspect apparaît un peu facile, Senmitsu n'en fait pas trop, n'alourdit jamais la chose avec du surplus de drame qui aurait été malvenu ici, et tire quand même bien parti de ces dernières épreuves pour cristalliser la relation de ce couple qui se retrouve.

Sur le plan visuel, Senmitsu dévoile un trait agréable, fin et un peu anguleux, un tout petit peu dans l'esprit de GAME tout compte fait, mais avec un aspect un peu plus épuré et très pur dans les visages, pour un résultat se voulant assez mûr et adulte mais également assez lumineux quand il le faut. Les personnages affichent des expressions faciales communicatives mais sans exagérations, assez nuancées, tandis que les quelques décors clairs et soignés (maison, rue, banc, supérette...) amènent une pointe de réalisme supplémentaire.

Au final, Back to You souffre peut-être de quelques grosses ficelles dans sa dernière ligne droite, mais n'en reste pas moins un très bon récit, au fil duquel Senmitsu aborde avec réalisme sa part de surnaturel pour mieux aborder, avec une certaine profondeur, la question de la vie de couple à travers le temps.

Quant à l'édition papier, qui est donc une exclusivité française, elle s'avère particulièrement soignée, ne serait-ce que pour sa jaquette aux illustrations bien choisies et au logo-titre adéquat de Tom "spAde" bertrand, ou pour sa petite galerie de 4 illustrations en couleurs au début de l'ouvrage. Saluons aussi le papier souple permettant une prise en mains facile malgré l'épaisseur de 300 pages, l'impression de bonne qualité, et la traduction très fluide et mûre de Gaëlle Ruel.


Chronique 1 :

Les éditions Akata ont fait de la publication numérique un véritable pan de son catalogue, si bien qu'il est presque de coutume pour certains de lire une série en non physique avant de voir paraître le volume dans les librairies, et pourquoi pas ensuite réitérer l'expérience de lecteur avec l'ouvrage entre les mains. Et pour les non adeptes du numérique, il y a l'assurance de voir quasiment systématiquement (car les exceptions existent, telles que l'histoire courte "Kusakabe et moi" de Shûzô Ôshimi) le manga en livre poche classique pointer le bout de son nez quelques mois plus tard dans les différentes enseignes.

Et parmi les cas particuliers de cette pratique, il y a ces titres qui n'ont bénéficié que d'une sortie en dématérialisé au Japon, où il n'existe donc pas d'édition physique dans leur pays d'origine. Ce fut notamment le cas avec Par-delà les étoiles de Rie Aruga, Akata ayant alors négocié avec Kôdansha pour élaborer sa propre mouture physique. Une nouvelle exception de cet acabit a vu le jour au début du mois d'octobre 2020 : Le manga Back to You de Senmitsu. A l'origine, la mangaka Senmitsu a publié son histoire exclusivement en numérique, entre 2018 et 2019, sur le magazine dématérialisé Comic Tint de l'éditeur Kôdansha. Il n'existe donc pas d'ouvrage physique qui compile les 8 chapitres de la série au Japon, mais Akata est parvenu à négocier avec l'ayant-droits pour nous proposer un volume relié exclusif à la francophonie. En ce mois d'octobre, Back to You intègre donc la collection des one-shot d'Akata, puisque l'éditeur a compilé l'histoire en un épais pavé de plus de 300 pages.

Sayako et son petit-ami Naohiko sont en couple depuis près de dix ans, soit depuis leur rencontre au lycée. Malgré une légère séparation, ils se sont naturellement remis ensemble, preuve d'un amour fort. Sauf que la passion des débuts a désormais laissé place à la routine monotone. Les deux concubins font assez rarement l'amour et lors de l'un de leurs ébats, Naohiko s'arrête pour décrocher son téléphone pour un appel professionnel, son boulot lui demandant énormément de temps. L’enivrement des débuts n'est plus là, une époque que Sayako regrette. Lors d'une ballade, la jeune femme descend un escalier et se retrouve tout bonnement projetée dans un passé alternatif d'il y a dix ans, alors que Naohiko était encore lycéen. En le rencontrant, les chatouillis amoureux qu'elle ressentait autrefois font leur retour, et le jeune homme ne reste pas indifférent aux charmes de cette femme plus âgée qu'il ne connaissait pas jusqu'à présent. En remontant le fameux escalier, Sayako peut retourner à sa propre époque. Elle jongle désormais entre deux Naohiko, une expérience qui lui rappelle sans cesse la distance qui s'est creusée entre elle et son petit-ami...

Back to You joue sur une histoire amoureuse teintée de surnaturel, ici par la capacité de l'héroïne Sayako à revenir dix ans dans le passé en empruntant un simple escalier. Le rapport entre le temps et la romance n'est pas rare, et Akata en a été friand avec de très bons titres comme Orange et SOS Love. Seulement, la série de Senmitsu aborde la chose sous un angle différent, puisque le pitch du récit est un excellent moyen de traiter l'évolution d'un amour et la plus grande épreuve pour un couple : Celle du rapport au Temps. En 8 chapitres, la mangaka exécute efficacement l'exercice, ce grâce au quotidien étrange d'une protagoniste qui se remet en question à chacun de ses allers et retours entre les deux époques. Car ses rencontres avec le jeune Naohiko sont un moyen pour elle de repenser à autrefois, la candeur de leur relation naissante, et tout ce qui s'est perdu au fil des années. Par cette intrigue un poil fantastique, l'autrice met le doigt sur des tourments criants de vérité, faisant de Back to You un récit dans lequel bon nombre de personnes, en couple depuis un moment déjà, pourtant se reconnaître au moins par quelques aspects du traitement de la thématique.

Et dans ce récit plein de mélancolie viennent se greffer d'autres éléments, une rivalité amoureuse notamment. Celle-ci est d'ailleurs très efficacement traitée puisqu'elle place le lectorat en zone d'incertitude jusqu'aux dernières pages de l'histoire. Se pourrait-il que Naohiko trompe Sayako, et que cette dernière ait au final "perdu" face à son amie de lycée qui a autrefois encaissé un refus de la part de l'ancien adolescent ? Ce point du scénario est implanté rapidement et sera sans cesse mis en relief grâce aux retrouvailles de l'héroïne avec son époque d'autrefois, mais aussi un soudain événement qui survient sur le dernier tiers du pavé. Et si Senmitsu aurait bien pu créer du drame pour le drame avec ce choix de scénario, son idée bien pensée permet justement d'amener la conclusion à son point logique, une fin qui scelle la thématique tout en répondant aux quelques enjeux plantés dans tout le volume. D'une manière très globale, Back to You est une histoire rondement menée et portée à termes, qui sait traiter son sujet efficacement et s'achever de très belle manière. Akata ne s'y est pas trompé en nous présentant l'autrice avec un court récit maîtrisé du début à la fin.

Et en dehors de tout scénario, il y aurait beaucoup à dire sur le style même de Senmitsu. Celui-ci est fin et d'une grande pureté avec un maniement habile des nuance qui apporte une propreté de rendu. Il y a quelque chose de solennel dans la patté visuelle de la mangaka, une touche qui sied parfaitement à l'ambiance mélancolie de ce récit qui nous parle du conflit entre la nostalgie et le présent, sous un angle amoureux. Et puisque le trait de l'artiste est saisissant, on salue la présence de plusieurs pages couleur qui nous permet d'apprécier toute la portée du style de Senmitsu. On espère alors que le one-shot n'est qu'une porte d'entrée pour nous la présenter, et qu'on la reverra publiée dans nos contrées.

Enfin, l'édition est de très belle facture. Le volume, bien épais, profite des quatre fameuses pages couleurs sur papier couché brillant tandis que le récit profite d'un papier fin mais efficace. On apprécie aussi la présence du chapitre bonus autour de Naohiko, ce qui n'était pas forcément gagné vu que la version physique est une création française, ce qui a impliqué pour Akata des négociations avec l'éditeur nippon pour nous donner accès à ce court épisode. La traduction est signée Gaëlle Ruel, cette dernière proposant un texte en phase avec l'ambiance du récit.
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

15.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16.5 20
Note de la rédaction