Autre moi (Une) : Critiques

Watashi to Watashi

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 30 Juin 2023

Quelques jours seulement après la très belle conclusion d'A Tail's Tale, la talentueuse Mizu Sahara revient déjà chez Noeve Grafx avec Une autre moi, pour notre plus grande joie. Ainsi, en comptant aussi la conclusion de Joker of Destiny chez Pika Edition, la mangaka aura connu en ce mois de juin une triple actualité française, et l'on ne va clairement pas s'en plaindre au vu de l'amour qu'on lui porte. Sorti au Japon en décembre 2017 chez l'éditeur Coamix sous le titre "Watashi to Watashi" (littéralement "Moi et Moi"), Une autre moi est un recueil qui, sur environ 190 pages, regroupe trois histoires courtes qui furent initialement prépubliées par l'autrice dans le magazine Comic Zenon

S'étirant sur environ 70 pages, la première histoire se nomme "Le captif du jardin miniature" et nous immisce auprès d'un homme que la société a rejeté depuis bien longtemps Reclus, au chômage, il se juge lui-même comme un parasite depuis qu'il a échoué aux examens d'entrée au lycée dix ans auparavant, au grand dam de sa brillante famille qui l'a alors renié. En plus de ça, ses rares sortis de chez lui ont lieu pour voler des selles de vélos, pour lesquelles il a développé une sorte de fétiche. L'homme n'a aucune attache, personne ne l'aime... et pourtant, un jour, une lycéenne du nom de Nao Sugita se présente devant lui en lui affirmant qu'elle l'aime. Mais comment une mignonne jeune fille comme elle pourrait être éprise d'un parasite asocial ? Notre homme en est persuadé: cette fille veut juste se foutre de lui, si bien qu'il cherche à l'intimider. Pourtant, jour après jour, elle revient le voir, attend qu'il se montre, même très tard le soir. Bientôt, il se laisse avoir par la jovialité apparente de cette fille. Elle le fait sortir, elle l'égaye, et lui-même semble s'adoucir et reprendre goût à la vie à l'extérieur, en montrant même certains de ses bons côtés. Néanmoins, il y a toujours chez notre homme: pourquoi lui en particulier alors qu'ils ne se connaissaient pas, et pourquoi est-elle comme ça ? La candeur apparente de la jeune fille pourrait bien, en réalité, cacher tout autre chose...

La deuxième histoire, intitulée "la princesse aux promesses", n'est grosso modo qu'un petit essai de 8 pages de la mangaka, avec d'ailleurs un style visuel très légèrement différent de ses habitudes, et où l'on suit brièvement Kiriko, une jeune fille au physique atypique qui est constamment dupée par les promesses des hommes. Mais ce qu'elle attend, c'est précisément l'instant où ces hommes ont rompu beaucoup trop de promesses, au point de ne plus pouvoir en faire sans que ça se finisse mal...

Quant à la troisième et dernière histoire, elle est à la fois celle qui donne son nom au recueil et celle qui est la plus longue du livre, avec ses deux chapitres pour un total d'un petit peu plus de 100 pages. On y découvre deux lycéennes d'une même classe qui sont en quelque sorte liées par un étonnant coup du destin: elles s'appellent toutes les deux Miwa Tanaka. Seulement, elles sont radicalement différentes: tandis que l'une est belle, élancée, a de grandes jambes et plaît facilement à ses camarades de classe sans avoir besoin de faire quoi que ce soit, l'autre est petite, enveloppée, est jugée laide, et ne cesse d'être qualifiée de boudin et de subir d'autres moqueries de ses camarades, au point d'être isolée et de trouver refuge dans son amour pour le dessin de vêtements de mode. Ainsi, l'une des deux semblent avoir bien plus de choses pour être heureuse... mais est-ce vraiment celle que l'on croit ? En effet, en dehors du cadre scolaire, la réalité est tout autre et particulièrement tragique pour l'une des deux filles, mais on vous laisse découvrir en quoi pour plutôt évoquer le lien à part qui unit ces deux Miwa, adolescentes n'étant pas amies au départ ais ayant l'occasion d'évoluer, mues par cette rencontre entre elles deux qui, peut-être, sera salvatrice pour chacune. Et à la clé, on retrouve deux idées souvent présentes dans les oeuvres de l'autrice. Tout d'abord, l'importance de saisir le bonheur à notre portée: jalouser ce que l'autre a, c'est prendre le risque d'oublier les choses précieuses que l'on possède déjà, et la Miwa moquée par ses camarades le comprendra en découvrant la vraie réalité de l'autre Miwa. Ensuite, l'essentialité de vivre en étant en accord avec soi-même malgré les difficultés (moqueries, etc), et c'est une chose qu'un autre personnage, Miyahara, véhiculera aussi très bien.

Vivre au mieux, est d'ailleurs, une idée présente dans nombre de personnages de ce recueil: chacun a ses faces tristes et dures dans sa vie, et est même proche d'alors commettre le pire, mais à l'arrivée il y a toujours une pointe d'espoir pour s'accrocher, et cet espoir se ressent de plus belle dans le bref épilogue du recueil. Néanmoins, il faut tout de même noter que, malgré l'infinie tendresse de sa jaquette et son habituel style visuel assez doux, Mizu Sahara livre une facette globalement plus sombre de son travail, avec son lot de moments réellement éprouvants et venant d'autant plus fendre le coeur que l'autrice a toujours ce don pour faire jaillir les émotions de ses personnages. Et cela se ressent aussi sur nombre d'éléments lui permettant de montrer toutes les manières dont la société peut exercer son poids sur les individus: le regard des autres, les médisances, l'apparence, la marginalisation, les dettes, le suicide, l'identité, l'impression d'être anonyme...

Nous faisant passer par toutes sortes d'émotions, Une autre moi est un recueil particulièrement fort et réussi qui, plusieurs années après "Un bus passe..." (sorti au Japon en 2005 et en France chez Kazé Manga en 2011), confirme que le talent de Mizu Sahara s'étend aussi pleinement dans le registre de l'histoire courte.

Concernant la qualité de l'édition française, elle est impeccable, dès la jaquette qui reste proche de l'originale japonaise, s'offre un logo-titre simple, et affiche de fins vernis sélectifs parfois translucides sur un beau papier légèrement granuleux. A l'intérieur la première page recto verso en couleurs sur papier glacé est très belle, le papier souple et opaque permet une très bonne impression, le lettrage d'Emma Poirrier est très propre, et la traduction d'Anaïs Fourny est excellent en sachant faire subtilement ressortir les émotions et le ressenti des personnages.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs