Autre lui (L') - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 02 Juillet 2025

Spécialisées dans les créations originales, les éditions Nouvelle Hydre ont accueilli en mai une nouvelle oeuvre française en format manga: L'autre Lui, un one-shot riche d'environ 180 pages et proposé dans la qualité éditoriale habituelle de l'éditeur: grand format, papier assez épais, souple et opaque, impression convaincante effectuée en France chez Dupliprint, lettrage soigné, présence de six premières pages en couleurs sur papier glacé... Rien de spécial à redire, en somme.

Il s'agit du tout premier ouvrage de JUNE, une autrice autodidacte qui, plus jeune, admirait le style de Yoko Maki et de Kaori Yuki et était friande de manhwas typiques d'il y a une quinzaine d'années, ce dernier point se ressentant beaucoup à travers ses designs de personnages élancé, fins et un peu longilignes. C’est en participant à des concours de manière récréative qu’est née chez elle l’envie de réellement créer des mangas. Qui plus est, cette première oeuvre est présentée par ses soins un pied de nez à ses anciens collègues de travail pétris de stéréotypes sur la moindre personne qui passe, avec alors ici un désir de montrer qu'il est possible de s'affranchir des agressions physiques ou verbales qui nous touchent, pour un résultat inclusif prônant la tolérance. Pari réussi ? La réponse est clairement oui !

Dans une ville fictive pour laquelle l'autrice a puisé ses inspirations dans différents recoins d'Europe (France, Angleterre, Irlande, Suède, Europe de l'Est... Il y a de quoi s'amuser à essayer de repérer toutes les influences), on commence par découvrir Andy O'Connor, un comptable qui, à l'âge de 33 ans, reste mal dans sa peau et peu sûr de lui, la faute aux brimades qu'il a longtemps subies dans sa jeunesse à cause de sa rousseur. Plutôt introverti et se mésestimant physiquement, il recherche alors une forme de bien-être dans le travestissement: sous l'identité d'Erin, le maquillage et les vêtements féminins l'aident à se sentir un peu plus joli et à s'accepter... mais malheureusement, l'acceptation, c'est précisément ce qui manque la plupart du temps aux personnes prenant connaissance de son hobby. Il a beau ne rien faire de mal, Andy reste moqué par des personnes ne cherchant pas du tout à le comprendre un minimum, à l'image d'un petit groupe de sales types demandant à le rencontrer via une appli uniquement pour le dénigrer. Et c'est précisément quand ces gens-là s'apprêtent à s'en prendre à lui qu'il est secouru par une personne qu'il n'aurait jamais crue capable de ça: Marija Svensson, une collègue de travail de 30 ans qui ne le reconnaît pas sous son accoutrement féminin. Habituellement discrète, sérieuse et un peu solitaire au travail, Marija passe alors plusieurs heures avec Andy/Erin, et les deux personnes se sentent vraiment bien ensemble. Pour la première fois, Andy se sent précieux pour quelqu'un autre que ses parents. Quant à Marija, bisexuelle n'ayant jamais eu de chance avec les hommes, elle se sent rapidement très attirée par sa nouvelle amie, au point de vite lui proposer d'essayer de sortir en semble. Mais que se passerait-il si Marija découvrait qu'Erin est non seulement un homme, mais qu'en plus il s'agit de son collègue en train de lui mentir sur son identité ?

Sous l'angle d'une romance douce, sensible et positive avec un petit paquet de jolis moments (le feu d'artifice complice, la façon dont ses deux personnages centraux courent dans la nuit en se lâchant...) qui nous font facilement sentir à quel point Andy et Marija se sont bien trouvés, l'autrice livre un très juste message d'ouverture d'esprit que ces deux-là, simplement heureux d'être ensemble, véhiculent fort bien en apprenant petit à petit à faire fi du regard des autres, ce regard qui peut si souvent nous freiner et nous handicaper. Car en toile de fond, ce sont bien ce regard et ces jugements extérieurs qui sont pointés du doigt par JUNE, sous de nombreux angles différents: diktats de la beauté telle que la "norme" l'entend (ce qui vaut notamment à Andy d'être brimé dès l'enfance simplement parce qu'il est roux), rejet de la différence, souci des apparences, besoin de certaines personnes de sans cesse juger et rabaisser autrui comme pour mieux se rassurer sur leur propre "valeur"... On sent que l'artiste avait des comptes à régler, et elle pour cela elle a trouvé le plus bel angle possible, avec ce qu'il faut de douceur, d'optimisme mais aussi de réalisme car elle n'enjolive rien.

En résulte une lecture engagée belle, fine, sachant toucher juste dans ses émotions et dans l'abord de son important sujet de société, et confirmant encore un peu plus que la création française de mangas a normalement de beaux jours devant elle en continuant petit à petit de mieux se diversifier !


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction