Au fond de l'océan : Critiques

Umi no soko

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 19 Avril 2023

Avec Au fond de l'océan, le catalogue des éditions Hana a accueilli en France en octobre dernier la toute première (et à ce jour unique) série d'une mangaka se faisant appeler Jnnkleeche. De son nom original Umi no soko (dont le titre français est une traduction proche), ce récit a d'abord vu le jour en numérique, avant d'être publié au japon en 2021 par les éditions Kasakura en un unique tome d'environ 190 pages qui regroupe les 5 chapitres initiaux ainsi que le chapitre 0.

Au fond de l'océan donne la couleur d'emblée puisque, dès les premières pages, on assiste au coït de deux hommes, à savoir nos deux héros. L'un, Wakashio, est le plus jeune fils du chef du village côtier des requins cannibales, une tribu que les traditions ont rendu agressive et crainte, notamment parce que les hommes y pratiquent brutalement l'esclavagisme et n'hésitent pas à tuer les étrangers qui les gênent. L'autre, Yakaze, est un commerçant venu d'un village forestier. Ces deux-là sont naturellement tombés amoureux, comme un coup de foudre, et ont pris pour habitude de se retrouver en secret pour se donner du plaisir ensemble, le tout dans le plus grand secret, car il va de soi que si ça venait à être découvert les requins cannibales liquideraient immédiatement Yakaze... et c'est malheureusement ce qui arrive. Quand les deux hommes sont surpris par Sakashio, le grand frère de Wakashio, Yakaze est brutalement tué par celui-ci sans la moindre hésitation, puis son cadavre est jeté dans l'océan, laissant Wakashio non seulement désemparé, mais aussi à la merci de son frangin qui, pour le punir de sa trahison, a le droit de lui faire ce qu'il veut. Cette tragique histoire aurait pu s'arrêter là, mais il s'avère que sous l'eau, non loin du village, se trouve une grotte servant de passage entre le monde des vivants et celui des morts, ce qui permet à Yakaze de revenir voir son bien-aimé, mais sous une forme un peu particulière...

Ce manga nous propose donc un récit fortement teinté de surnaturel, en se situant à la frontière du monde des vivants et de celui des morts. Et cette pointe d'originalité permet avant tout à la mangaka de s'en donner à coeur joie dans des scènes érotiques assez peu communes. Celles-ci sont en effet quasiment omniprésentes dans l'oeuvre, en étant sans aucun doute le principal leitmotiv de l'autrice. Et de ce côté-là, on peut dire qu'elle se fait plaisir, entre des originalités graphiques via le design très particulier de Wakashio une fois mort, mais aussi des expérimentations érotiques à travers les pratiques que permet cet étonnant physique (sorte de vagin pouvant laisser place à un gigantesque pénis, langue étrange pouvant procurer des plaisirs nouveaux...). Ce côté un peu "monstrueux" ne plaira sans aucun doute pas à tout le monde, mais au moins on ne peut pas enlever à Jnnkleche un réel désir de sortir des carcans et de pousser assez loin dans l'érotisme son concept, d'autant plus que la seule censure et le blanc à la place des sexes, et que le dessin bénéficie de certaines recherches visuelles et d'un style bien à lui.

Là où, en revanche, l'oeuvre pèche, c'est sur le reste, car une fois passé l'érotisme surprenant et foisonnant, il ne reste malheureusement pas grand chose, tant les possibilités de l'histoire sont sous-exploitées. Le fond de croyances ancestrales et d'esprits bien présents n'est là qu'en surface, les quelques tourments de notre couple principal (leur relation entre vivant et mort, l'idée que Wakashio puisse mourir pour rejoindre Yakaze, son rapport à son village) restent bien trop lisses et expédiés, et des idées comme la guerre du nord et le complot de Sakashio sont tout simplement non-exploitées.

Il faut donc se rendre à l'évidence: l'histoire d'Au fond de l'océan reste très faiblarde par rapport à ses possibilités, et n'est qu'un prétexte pour que la mangaka s'adonne à un érotisme qui, lui, est loin d'être inintéressant au vu des petites originalités et expérimentations visuelles. A vous de voir ce que vous attendez d'un univers de ce type.

Côté édition, rien à reprocher: la jaquette est proche de l'originale japonaise, le papier d'assez bonne facture permet une impression convaincante, la première page en couleurs sur papier glacé nous offre une jolie illustration, le lettrage est soigné, et la traduction de Leonore Carrascosa fait le job.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
12.75 20
Note de la rédaction