Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 13 Avril 2023
Après un tour aux éditions Omaké avec la série Assistant Assassin (dont on aimerait bien avoir la suite un jour, l'éditeur ne donnant plus aucune nouvelle de cette oeuvre depuis 2021...), une incursion dans le catalogue des éditions Hana avec Akamatsu (et) Seven, et une publication chez Ki-oon avec Les racailles de l'autre monde (malheureusement en hiatus au Japon depuis environ deux ans, donc espérons que la série fera son retour un jour...), Hiromasa Okujima revient chez un quatrième éditeur français avec l'une de ses séries les plus récentes: Au Bain Les Yankees ! De son nom original Nyûyoku Yankees (littéralement "Les Yankees des Bains", la traduction française du titre étant donc assez proche et joliment tournée), cette oeuvre en trois tomes fut prépubliée au Japon en 2020-2021 sur le site Web Action des éditions Futabasha, aux côtés de titres comme All Free!, Wombs Cradle ou encore Badducks.
Lycéens de leur état, Tatsuya Matsui et Taiga Kuroda forment un duo de yankees assez insolite: tandis que le premier est toujours bavard, bagarreur et impulsif, le deuxième est bien plus silencieux et stoïque, et néanmoins redoutable quand il passe à l'action. A eux deux, ils forment l'un des duos de racailles les plus forts de Tokyo, en étant surnommés "Tigre et Dragon". Mais ce que personne ne sait, c'est que ces deux-là apprécient surtout d'utiliser la bagarre comme prétexte pour s'adonner à leur péché mignon: les bains publics ! Raffolant de ces lieux de détente ayant bien souvent un charme unique, ils font le tour des quartiers tokyoïte pour visite les bains de la capitale afin d'y dénicher les meilleurs.
Quiconque est habitué aux séries de cet auteur le sait bien: Okujima adore revisiter la figure du délinquant dans des contextes originaux et décalés: le personnage principal d'Assistant Assassin est assistant mangaka le jour tandis qu'il tue la nuit, dans Akamatsu (et) Seven le mangaka détournait la figure du loubard par le prisme du boy's love, avec les racaille de l'autre monde il surfait sur la vague isekai en propulsant ses adolescents furyo dans un autre monde... Et ici, on assiste donc à un mélange détonnant entre bastons de lascars et immersion dans les bains publics tokyoïtes où nos deux héros, loin des moments où ils font parler les poings, aiment se prélasser, se détendre, en profitant des spécificités et du charme propre à chaque établissement.
Sous l'habituel dessin bien typé furyo de l'auteur (mention spéciale à la banane à l'ancienne de Tatsuya, bien sûr) et assez brut, on se régale facilement du décalage de la situation, Okujima jouant assez bien sur cette pointe d'humour décalé, par exemple quand on a l'occasion d'observer le look bien différent et presque mignon de ces deux-là dans les bains. Mais le mangaka a surtout le mérite de ne pas s'arrêter strictement au côté décalé, car Au Bain les Yankees a, peut-être avant tout, encore un autre but: celui de nous faire découvrir le charme de différents bains tokyoïtes qui existent réellement et qui ont chacun leurs caractéristiques. Ainsi, chacun des six chapitres composant ce tome 1 reste globalement indépendant et nous plonge, par l'intermédiaire de son binôme principal, dans un nouvel établissement de bains publics, qui plus est à chaque fois dans une quartier différent: le Tatsuno-yu à Shakujidai, le Nukui yokujô à Nakamurabashi, le Benten-yu à Kichijôji... On découvre des bains ayant conservé des méthodes à l'ancienne (par exemple en faisant bouillir l'eau avec du bois de chauffage), entretenant un côté vintage, se voulant au contraire plus moderne, soignant leur décor, etc. Et au fil de ces escapades aquatiques, Okujima s'offre aussi l'occasion de présenter les vertus de différents types de bains, des bains très chauds aux bains médicinaux parfumés en passant par les bains mixtes eau chaude/eau gelée, les sources à haute teneur en gaz, les bains à impulsion... Ainsi, c'est une véritable immersion dans l'univers si spécifique et important là-bas des bains public japonais qui nous attend.
Et si la recette aurait rapidement pu devenir redondante, il n'en est rien pour le moment puisque le mangaka parvient, petit à petit, à esquisser quelques enrichissements. On pense à l'arrivée d'un personnage secondaire comme Katô (un kohai collégien de nos deux héros qu'il admire), à l'enjeu autour des Quatre Rois Célestes qui seraient les quatre meilleurs bagarreurs de la ville, et surtout à la découverte des origines de l'attrait de nos héros pour les bains publics, un attrait ayant rapport avec un mystérieux homme qu'ils recherchent. Mais même dans ces éléments plus orientés baston, Okujima ne se prend jamais trop au sérieux, comme en attestent la façon dont s'achève la confrontation au premier Roi Céleste, ou la manière dont nos loubards attendent sagement que le feu passe au vert pour aller se mettre sur la face !
A l'arrivée, ce premier volume est une vraie bonne petite surprise, dont le concept intriguait et se voit fort bien exploité par Okujima. Il suffit d'adhérer à ce concept pour passer un bon petit moment à la fois instructif et amusant, nous faisant découvrir les charmes de différents bains publics tokyoïtes dans une petite atmosphère furyo assez délectable.
Qui plus est, on peut dire de l'édition française qu'elle est tout à fait satisfaisante, en particulier pour la traduction d'Angélique Mariet qui trouve constamment le bon ton, entre dialogues dynamiques et assez naturels, parler assez crédible chez nos héros, ou même petits jeux sur les mots (dont un très fun entre "baigner" et "beigne"). A part ça, le papier assez épais et souple permet une honnête qualité d'impression, le lettrage de Corinne Luijten et Alexia Dupont est assez propre, et la jaquette s'offre un logo-titre soigné tout en restant assez proche de l'originale japonaise. On regrettera éventuellement une légère transparence du papier parfois ainsi qu'une couverture un peu trop rigide, mais rien qui ne ternisse vraiment le confort de lecture.